En pleine crise du logement, quelle place pour les résidences secondaires ?

En pleine crise du logement, quelle place pour les résidences secondaires ? © Peter Slovacek

En pleine (grave) crise du logement, les maires cherchent le bon équilibre entre résidences secondaires et à l’année. La réglementation évolue et les élus sont décidés à faire revenir les locaux sur leurs territoires.




Des emplois non-pourvus faute de logement, des journées entières consacrées à la recherche d’une chambre en location ou encore des habitants obligés de partir de leur village natal devenu trop chic… En pleine crise du logement, les résidences secondaires ne sont pas vraiment observées d’un bon œil. L’écart se creuse entre les deux mondes. À titre d’exemple, la ville de Paris enregistre 9 % de résidences secondaires alors que dans le même temps, la suroccupation des logements (plus d’habitants que de pièces) atteint 23 % selon les chiffres de l’Apur (Atelier parisien d’urbanisme).

Toutefois, depuis deux ans et la prolongation de la crise du bâtiment, on observe une mutation profonde de la politique des élus sur l’ensemble du territoire français. Ces derniers mettent en place des initiatives inédites pour trouver un juste équilibre entre résidences secondaires et résidences principales.

 

 

 

Deux raisons qui mettent la pression sur les résidences secondaires

Comment expliquer le focus sur les résidences secondaires ? Car à y regarder de plus près, leur part dans le parc de logements est restée relativement stable ces dernières décennies, passant de 9,6 % en 1983 à 9,8 % en 2023 selon l’INSEE. En termes absolus dans le même temps, nous sommes passés de 2,3 millions de résidences secondaires à 3,7 millions, à + 57 %, soit une augmentation équivalente à celle des résidences principales (+ 55 %).

Mais deux paramètres pourraient changer définitivement la place qu’occupe la résidence secondaire sur nos territoires. Le premier, d’ordre conjoncturel, résulte directement de la crise du bâtiment et du logement que nous vivons. Les 250 000 logements mis en chantier en 2024 restent bien en deçà des 450 000 préconisés pour répondre à la demande de la population française par an. Le second, qui intervient à plus long terme, concerne la disponibilité du foncier. Sans même évoquer les limitations de construction qu’implique la loi ZAN (Zéro Artificialisation Nette), certaines communes de France n’ont tout simplement plus d’espace pour de nouvelles constructions.

"Bourg-Saint-Maurice compte 8 000 résidences secondaires sur les 12 000 logements et nous avons un déficit de 400 logements car le moindre logement vacant est pris", témoigne le maire de cette commune des Alpes. À des kilomètres plus au sud, au-dessus de l’eau turquoise des côtes corses, l’adjoint à l’urbanisme de la ville très touristique de Bonifacio, Patrick Tafani, dresse un constat similaire : il "n’y a plus de logements disponibles pour les locaux. Ces derniers doivent habiter à 20 ou 25 kilomètres. Mon fils a construit sa maison dans mon jardin car j’avais la chance d’avoir un terrain assez grand."

 

Carte des zones tendues en France, selon le classement Pinel (violet = zone A bis, rouge = zone A, orange = zone B1, vert = zone B2). Paris, les littoraux, le massif alpin, la Corse et les grandes métropoles sont particulièrement concernés. ©

 

 

 

Le succès de la loi Le Meur

Les élus de la commune de Bonifacio ont alors pris une décision radicale fin avril : interdire purement et simplement la construction de résidences secondaires. "C’est une mesure inédite en Corse", poursuit l’adjoint à l’urbanisme. Très récemment, d’autres communes des quatre coins de la France ont également franchi le pas : Chamonix, Royan ou encore Bidart dans le Pays-Basque. La liste s’allonge au fil des mois.

Les interdictions de constructions de nouvelles résidences secondaires ne constituent pas le seul levier pour les communes. Publiée en novembre 2024, la toute récente loi Le Meur a considérablement accru le pouvoir des élus pour réguler le logement sur leur territoire. Recensement obligatoire, plafonds de recettes sur les meublés touristiques, abaissement des durées maximales de location touristiques… "Cela faisait 13 ans que nous militions en faveur d’une telle loi", retrace Patrick Tafani. "Avec notre maire, on a essayé à travers nos députés de faire passer cette loi depuis 2012." 

Certaines mairies n’ont pas encore connaissance de la loi Le Meur, comme a pu le découvrir Batirama au cours de ses interviews, mais son succès se diffuse. "Avec mon collègue de Chamonix, on s’en est saisi très rapidement", explique le maire de Bourg-Saint-Maurice. "C’était un soulagement car on avait enfin des outils disponibles à la main des maires pour garantir à nos habitants le plus de possibilités d’habiter sur la commune."

Contacté par Batirama, le ministère de l’Aménagement du territoire confirme le succès de la nouvelle loi. "Nous avons effectivement été régulièrement sollicités par des communes, mais aussi par des parlementaires, pour renforcer ces mesures. La loi du 19 novembre 2024 est d'ailleurs née d'une initiative parlementaire, soutenue par le Gouvernement. Il faut désormais que les collectivités s’approprient ces nouveaux outils, ce que certaines ont déjà fait."

 

 

 

Posséder le foncier pour mieux le gérer

Les élus utilisent en même temps plusieurs leviers pour favoriser le logement à l’année. La communauté de communes de l’île d’Oléron, par exemple, réfléchit à instaurer une prime de conversion pouvant atteindre 10 000 € pour tout meublé touristique transformé en location à l’année. De son côté, la commune de Bourg-Saint-Maurice a cumulé plusieurs mesures, comme l’autorisation d’un seul meublé touristique par foyer, la mise en place de clause de logement social via des bailleurs mais également la création d’une société d’économie mixte (SEM) pour construire et gérer les logements. Avec cette dernière mesure, la mairie serait donc propriétaire d’une partie du parc.

"La SEM est un outil très intéressant", explique Guillaume Desrues. "Val d’Isère l’ont mis en place depuis plus de 40 ans. Nous allons construire 60 logements en 2026 et avec les loyers, nous allons investir dans de nouveaux projets prévus pour 2026 et 2027". Les SEM gagnent en popularité auprès des communes qui souhaite posséder le foncier pour maitriser la spéculation.

 

Bourg-Saint-Maurice au cœur des Alpes, a instauré une batterie de mesures pour réguler le nombre de résidences secondaires et touristiques. La ville savoyarde compte 8 000 résidences secondaires pour 12 000 logements. © Manu Reyboz

 

 

Il est intéressant d’observer qu’outre-Manche jusque dans les années 80, le gouvernement anglais possédait une part importante du parc immobilier résidentiel à travers les council houses. Ce programme avait permis de loger les Anglais en contrant la spéculation, tout en réalisant des rentrées d’argent pour l’État avec les loyers.

 

 

 

Les résidences secondaires, un apport fiscal non-négligeable

À ne pas s’y tromper : si les élus se débattent pour offrir plus de logements à l’année, ils ne se déclarent pas en guerre contre les résidences secondaires, dont la taxe d’habitation contribue significativement aux comptes locaux. Pour rappel cette taxe présente, selon le ministère, trois composantes :

– la taxe d'habitation sur les résidences secondaires (THRS), applicable dans toutes les communes ;

– La majoration de celles-ci pour les communes concernées par la taxe sur les logements vacants ;

– Et pour les autres communes, la taxe d'habitation sur les logements vacants (THLV).

 

Selon la direction générale des collectivités locales, ces trois taxes ont rapporté aux communes trois milliards d'euros en 2024, contre 2,8 milliards en 2023. "Je ne fais pas la chasse aux résidences secondaires : il y a un apport économique indéniable", reconnait Guillaume Desrues, le maire de Bourg-Saint-Maurice. "Mais l’important est que les nouvelles constructions ne soient pas basculées en résidences secondaires." Nombreuses sont les communes de France qui ont fait grimper la taxe d’habitation jusqu’au plafond de 60 %, autorisé depuis 2015. Pour Bonifacio, le taux a été remonté jusqu’à 40 %, ce qui a permis d’engranger 450 000 euros. "Sur le total de notre budget, c’est significatif", estime Patrick Tafani.

À côté de la taxe d’habitation, le débat porte également sur le partage des coûts des infrastructures, notamment pour l’eau. "Les résidences secondaires servent majoritairement à la location l’été, pour les touristes", poursuit l’adjoint corse à l’urbanisme. "Nos infrastructures pour l’eau sont donc calibrées pour accueillir une population qui triple pendant l’été. Mais le reste de l’année, ce sont les 3 000 habitants qui supportent l’entretien. C’est pourquoi on a décidé de d’instaurer une majoration sur le prix de l’eau pour les résidences secondaires."
Malgré cette inflation du rêve de la maison secondaire, la demande ne faiblit pas. Interrogées les agences immobilières le confirment : "La fiscalité n’a pas beaucoup d’importance pour nos clients. Tant que la vue est belle avec du soleil !"

 



Source : batirama.com / Roman Epitropakis / © Peter Slovacek

L'auteur de cet article

photo auteur Roman Epitropakis
Roman Epitropakis est journaliste, spécialisé dans l'industrie et l'économie. Il couvre les thématiques de l'économie du BTP, les techniques de construction et la transition vers la construction durable et l’urbanisme durable.
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