Pour la première fois, les Rencontres ont eu lieu en région parisienne, alors que les premières éditions affichaient un penchant rural que la progression de la fréquentation ne permet pas de satisfaire ni de générer. Avec une édition lorraine d’octobre 2024 réussie dans la métropole de Nancy avec 450 participants et de très nombreux parcours de visite, Paris promettait un nouveau record, si ce n’est que la jauge de la Serre Wangari est fixée à 500. D’ailleurs, la journée du samedi, cœur des Rencontres, a dû monter des barnums pour loger ses nombreux ateliers parallèles. Un risque météorologique assumé comme pour les nombreux parcours de visite à pied le vendredi 26, ou à vélo le dimanche 28 après la clôture, sous l’égide du Forum International Bois Construction.
L'équipe de maîtrise d'oeuvre publique de Rosny-sous-Bois explique sa démarche lors de la première journée des Rencontres. Plus tard, comme le montre l'image d'ouverture, l'itinéraire 2 (sur 15 !) visite le chantier de Bison Füté accueilli par Canal Architecture. © Jonas Tophoven
Paris et sa banlieue n’ont sans doute jamais connu un tel programme de visites architecturales sur toute la journée, avec de surcroît une aussi bonne fréquentation. La première journée des Rencontres fut un grand succès, servi par une très bonne présentation des circuits. Les bénévoles de la frugalité parisienne ont accompli un gros travail et les architectes des ouvrages, souvent frugaux eux-mêmes, se sont prêtés au jeu des visites guidées avec bienveillance. Il fallait parfois emporter sur tout le trajet des EPI comme dans le cas de la visite du siège de Bison Fûté revu par Canal Architecture. En se demandant ensuite en quoi ce projet est frugal, sinon qu’il se trouve dans la municipalité de Rosny-sous-Bois.
La Serre Wangari, un lieu en adéquation au milieu d'un quartier des Docks de Saint-Ouen qui ne témoigne pas du ménagement prôné par la revue Topophile, très proche de la Frugalité. © Jonas Tophoven
Chez les frugaux, pas de querelle de chapelle techniques ni d’exclusions. Le tempérament montré lors des sketchs est plutôt anti-béton et anti-BTP traditionnel au profit du btp, le bois-terre-paille. Ici, le béton bas carbone peine à évangéliser. Et il ne s’agit pas d’un groupuscule, les regroupements régionaux de la frugalité se multiplient tout comme les publications dédiées.
Fondé à partir du Manifeste de la frugalité heureuse et créative des trois rédacteurs Philippe Madec, Alain Bornarel et Dominique Gauzain-Mueller, le Mouvement a l’audience des jeunes architectes. Il ne demande qu’à s’étendre en Europe et sur les autres continents à la faveur des DROM-TOM. Si ce n’est qu’il faudra trouver l’équivalent du mot frugalité.
Pendant le parcours à vélo (Parcours Philléas Olympique) proposé en off des Rencontres et placé en clôture, l'ingénieur Antoine Baugé explique la passerelle de Dugny qui, malgré ses goujons collés et son BLC, se distingue sans doute comme l'un des ouvrages le plus "frugal" des installations pour les JOP 2024. © Jonas Tophoven
D’ailleurs, que signifie ce terme de frugalité ? Comme l’explique Dominique Gauzain-Mueller, il se dérive de la démarche Négawatt, qui s’est désormais étendue à celle de Négamat, ce qui veut dire que la meilleure énergie est celle qu’on ne dépense pas, et les meilleurs matériaux ceux qu’on n’utilise pas. Pour les frugaux, réduire l’impact environnemental n’est pas une contrainte mais une opportunité créative et une source de plaisir, car l’architecture parvient ainsi à se renouveler. Elle ne se place pas en contradiction avec les objectifs climatiques, et parvient à résoudre l’équation économique, sociale et climatique.
Cette posture rejoint d’autres initiatives constructives européennes, comme le low tech, mais quitte la sphère technique, et peut buter sur le débat politique. Aux Rencontres, on a senti poindre l’envie, dans la phase de synthèse du dimanche matin, d’associer la frugalité à une démarche anticapitaliste. Mais pour l’instant, les trois génies tutélaires veillent et ils sont confortés par des acteurs et observateurs français et étrangers qui soulignent l’apport de ce mouvement tel qu’il est, en dehors d’une instrumentalisation politique qui en sonnerait sans doute le glas.
Pour l’heure, l’autogestion des Rencontres accorde une grande place aux sujets sociaux et les multiples visites du vendredi ne débouchent pas sur une mise en perspective technique que personne sans doute ne serait aujourd’hui en mesure de donner. Et cela se comprend, car la pratique technique bute perpétuellement sur une politique normative et sur des paramètres économiques qui l’opacifie. On en reste donc la plupart du temps à un consensus sur le choix des matériaux, parfois associés à la ventilation naturelle, et à la limitation de la production de carbone à la construction et à l’usage. Personne ne vient servir la soupe aux participants, et au détour de tous les ateliers, la libre parole fait émerger, de la part d’acteurs sachants, des éléments de compréhension que chacun peut intégrer dans sa pratique.
En complément des Rencontres, le OFF organisé avec l’aide de l’un des trois génies tutélaires de la frugalité, Alain Bornarel, offre une illustration de cas concrets, la prochaine édition démarrant partout en France en Février 2026.
L’ICEB, également appuyée par Alain Bornarel, creuse des thématiques techniques. Quant au Forum International Bois Construction, dont la thématique dépasse le bois, ses conférences illustrent, d’année en année, les démarches frugales concrètes dans son vaste programme d’ateliers et de conférences.
Après environ sept ans d’existence, le Mouvement garde sa fraîcheur, ce qui est en soi un exploit. Il ne parvient certes pas à inverser la tendance actuelle de remise en cause des objectifs climatiques, mais voit son aura grandir, tandis que les réalisations portent de plus en plus souvent la marque frugale et fondent une nouvelle architecture qui ne demande qu’à s’exporter et contribue au smart power français.
À présent, il s’agit de convaincre partout les équipes municipales, notamment par une présence de la Frugalité au Salon des Maires, et le développement de la nouvelle formule des Frugatours, inventée par les frugaux du Grand Est, est destinée précisément aux équipes municipales locales. C’est un beau combat qui s’annonce. Le Mouvement mérite donc plus que jamais ses attributs "heureux" et "créatif".
Construction Durable
Les 6e Rencontres de la frugalité heureuse et créative se sont déroulées à la Serre Wangari, dans les ex-docks de Saint-Ouen, du 26 au 28 septembre 2025. Le détricotage climatique a un adversaire en croissance.