ViliaSprint2, le premier immeuble d'habitation imprimé sur site en France

La structure porteuse du plus grand bâtiment européen utilisant l’impression 3D béton directement sur le chantier se construit à Bezannes (Marne) ©EJH

Empreinte carbone et nuisances chantier réduites, amélioration des conditions de travail, gain de temps à la construction, performance du bâti : l’impression 3D béton in situ démontre tout son intérêt.




Plurial Novilia réalise à Bezannes, près de Reims, une opération novatrice et ambitieuse : la construction d’un immeuble de 12 logements sociaux en R+2, dont la structure porteuse est réalisée en impression 3D béton directement sur chantier, à l'aide d'un portique robotisé. Murs de façades et intérieurs des trois niveaux seront achevés en juin 2025 (livraison prévue au premier trimestre 2026). L’impression de murs porteurs sur site constitue une étape cruciale pour le déploiement de la fabrication additive dans le secteur du bâtiment.

Imaginé par HOBO Architecture, ViliaSprint2, large de 10 mètres, long de 30 mètres et haut de 9 mètres, sera le premier en France et le plus grand immeuble d’appartements imprimé en 3D d’Europe (surface brute de 300 m2 par niveau, totalisant ainsi 800 m2 habitables).

Pour rappel, Plurial Novilia, filiale du groupe Action Logement, gère près de 39 000 logements locatifs sociaux et intermédiaires en Champagne-Ardenne et Île-de-France. Le bailleur social avait déjà fait preuve d’innovation en 2022, avec ViliaSprint1, cinq maisons dont les murs avaient été imprimés en 3D en usine et assemblés sur place (technologie de Xtree).

 

 

 

Un “laboratoire” sur site

En parallèle de cette construction, Plurial Novilia construit en béton banché un bâtiment à peu près équivalent à quelques mètres de distance, ce qui permettra de comparer les performances du nouveau procédé constructif 3D avec la méthode traditionnelle, aussi bien en phase de conception et de construction qu’en phase d’exploitation.

Les 12 logements du bâtiment en 3D et les 18 du bâtiment classique représentent 1 900 m2 de surface ; des logements intermédiaires et sociaux à parts égales. Le projet global est de 4,5 millions d’euros, soit un surcoût de 30 % par rapport à une construction béton traditionnelle, lié à la technologie et aux travaux de recherche et développement.

"Un véritable collectif s’est créé, avec des partenaires aux fortes compétences techniques qui ont permis de concrétiser cette opération audacieuse. Trois ans de travail ont été nécessaires pour mettre au point et certifier la technologie", indique le dirigeant de Plurial Novilia, Johnny Huat, "il s’agit maintenant de transformer l’essai en développant et massifiant ce mode constructif, qui va nous permettre de construire plus rapidement et plus durablement."

 

Johnny Huat, directeur général de Plurial Novilia : "l’innovation est une réelle vision stratégique méthodologiquement développée par notre entreprise." © EJH

 

 

 

Un gain de temps notable

En automatisant une bonne partie du gros œuvre, cette technique permet notamment de réduire les délais de construction et d’améliorer les conditions de travail sur le chantier.

Les infrastructures et la fabrication du plancher haut du sous-sol (commun aux deux bâtiments) ont été réalisées de septembre 2024 à mars 2025. Fondations, planchers et cages d’escalier et d’ascenseur sont préfabriqués en usine avec du béton bas carbone.

La phase d’impression en elle-même aura duré moins de trois mois, au rythme d'un étage imprimé en quatre semaines maximum. Soit un délai réduit de deux mois sur la superstructure du bâtiment imprimé, comparé à une opération traditionnelle équivalente.

 

Outre les deux opérateurs d’impression, deux à trois compagnons préparent le béton dans la centrale malaxeur (à gauche), contre six pour construire le bâtiment voisin en béton banché, plus le personnel préparant le béton en centrale et l’acheminant sur le chantier. © EJH

 

 

 

Technique validée par une ATEX

Pour valider ce mode constructif, inédit à l’échelle d’un immeuble collectif, un important travail d’études et d’essais d’impression a été mené sur plus d’une année par les entreprises et les bureaux d’études (Amodis) et de contrôle (Socotec). L’équipe s’est notamment assurée des performances structurelles et thermiques du béton afin que le bâtiment présente une très bonne inertie.

Efforts récompensés en mai dernier par l’obtention une certification ATEx (Appréciation Technique d’Expérimentation) délivrée par le CSTB (Centre Scientifique et Technique du Bâtiment) - ATEx qui garantit l’assurabilité du chantier et la mise en location des logements.

 

 

 

Abaisser l’empreinte carbone : d’abord penser frugalité des matériaux

L’empreinte carbone de la structure du bâtiment ViliaSprint2 sera largement améliorée par rapport à son équivalent en construction béton traditionnelle.

Ne serait-ce que la conception compacte et les formes arrondies (sur les pièces de séjour), rendues possibles par les outils numériques, permettent d’économiser environ 10 % de béton par rapport à une construction béton traditionnelle, à surface habitable équivalente. "La technique d’impression permet d’agir directement sur le coefficient de forme, qui au niveau de la conception architecturale est le premier impact sur l’empreinte carbone", précise Yann Champion, architecte associé Hobo. "Nous avons diminué l’enveloppe autant que possible pour réduire la quantité de matière. Puis, à partir de la forme générale, nous avons optimisé les logements, qui sont traversants et orientés au mieux pour plus de confort."

Yann Champion souligne que "l’enveloppe gère à la fois la structure, l’isolation et l’étanchéité du bâtiment. Le béton est utilisé pour ses caractéristiques structurelles, son bon comportement au feu et pour sa capacité inertielle, utilisée pour conserver la fraîcheur. Alliée à la double ou triple orientation des logements, qui favorise la ventilation, cette capacité à conserver les frigories est favorable au confort d’été."

 

Une fois le portique réglé, la tête d’impression se promène sur le pourtour d’une demi-section de bâtiment (150 m2). © EJH

 

 

 

Un béton “vertueux”

Le béton imprimable a été développé par Holcim qui a adapté son “encre” TectorPrint. Ce béton de classe de résistance C40/50 - XF1 - XC0 est renforcé par des macro-fibres synthétiques pour un comportement structurel ultime, ainsi que par des microfibres synthétiques augmentant la résistance au feu des éléments imprimés.

Il s’inscrit dans la gamme ECOPact de bétons bas carbone d’Holcim qui permet une réduction des émissions CO2d’au moins 30 %, par rapport à un béton traditionnel. Il est formulé à partir du ciment bas carbone ECOPlanet et confectionné directement sur site à partir d'un prémix intégrant du sable et des granulats de grande taille, sourcés localement (groupe Moroni) et non préséchés afin de réduire encore davantage son empreinte carbone (économie de ciment, de transport et de séchage).

Le calcul des quantités de béton réellement consommées est en cours ; globalement, le projet vise 30 % d’économie de matière.

 

 

 

Peri 3D Construction, partenaire clé

La technologie d’impression a été développée par l’allemand PERI. Son COBOD BOD2, portique robotisé de 12 mètres de largeur sur 11 mètres de hauteur, permet de “promener” la tête d'impression 3D mobile au-dessus de la moitié du gabarit du bâtiment.

Une double peau est créée : à raison de 25 cm par seconde, le robot dépose un premier cordon de béton de 8 cm de large et haut de 2 cm, puis un second accolé au premier lors d’un deuxième passage, ce qui permet de former un voile de 16 cm d’épaisseur. Une peau extérieure de 8 cm de large est imprimée au troisième passage, déportée de 20 cm du mur porteur. La cavité ainsi créée recevra les gaines techniques et l’isolation (la perlite est versée niveau par niveau. Ces paillettes de roche volcanique expansée constituent un matériau hydrophobe et fluide qui remplit tous les interstices. Dans les zones chaînage, le bourrelet est plus large pour recevoir les aciers de ferraillage. Certains éléments à l’intérieur du bâtiment sont eux-aussi imprimés in situ.

 

Deux opérateurs seulement gèrent l’impression 3D. Au fur et à mesure de l’avancement, des connecteurs en fibres de verre isolants (développés par Schöck) sont déposés entre les deux parois pour lier et ainsi rigidifier la structure. © EJH

 

 

 

Une technologie adaptée au cas par cas

Le groupe allemand Peri, leader dans le coffrage et l’échafaudage (10 000 salariés), a créé une équipe de 20 personnes pour l’impression 3D. Basé près d’Ulm (Allemagne),Peri 3D Construction travaille sur cette technologie depuis huit ans. L’entreprise a réalisé son premier projet in situ en Allemagne en 202O. ViliaSprint2 est son 16e projet en Europe et le plus haut (9 m). Peri a également expérimenté la technologie aux États-Unis.

Certains bâtiments à un ou deux niveaux ont été construits avec des portiques installés sur chemins de roulement (ce qui évite le montage-démontage). Plus la construction est haute, plus le robot doit être stable. Ici, la hauteur sera de 9 mètres. Un maximum théorique de 12 m de haut est actuellement possible avec ce portique : au-delà, le mur risque de se déformer et de s’affaisser. Pour éviter le tassement, le béton peut être imprimé au maximum sur 50 cm de hauteur par heure. Sur ce chantier, les murs du demi-périmètre s’élèvent de 80 cm par jour.

 

Ce modèle de portique est le plus large dont dispose Peri 3D Construction. L’entreprise propose trois portiques à la location et en a vendu quelques-uns à des clients décidés à déployer ce mode constructif. © EJH

 

 

 

Des ajustements sur le terrain

Le béton imprimé sèche plus rapidement que du béton classique. "Une fois sec, le matériau est parfaitement continu. La difficulté a été d’obtenir la consistance de béton adaptée : à la fois être fluide pour passer dans la buse et sécher rapidement mais pas trop, pour faire la cohésion avec la couche précédente", précise Jérôme Florentin, directeur de la maîtrise d’ouvrage.

De nombreux essais ont été réalisés pour éprouver la formule. Celle-ci est ensuite corrigée à la marge sur le chantier, pour l’adapter aux conditions d’hygrométrie et de température, en dosant les accélérateurs ou retardateurs de prise.

 

Le chantier avance par demi-niveaux : toutes les deux semaines, le portique est déplacé sur l’autre demi-section de bâtiment. Deux journées sont nécessaires pour déplacer le portique, ancré sur des plots de béton. © EJH

 

 

 

L’impression 3D fait évoluer les métiers du bâtiment

À l’image de Demathieu Bard Construction, qui a mandaté ses équipes locales pour intégrer la technique auprès de Peri 3D Construction, les entreprises locales peuvent s’approprier l’impression 3D sur site et louer ou acheter un robot.

En engageant moins de manutention, moins de déchets (3 % versus environ 10 %) et de nuisances sonores (deux camions de matériaux livrés par semaine), l’impression 3D sur site réduit drastiquement la pénibilité et les risques d’accident et améliore les conditions de travail des équipes. "La seule contrainte sur site est de bien gérer la coactivité avec la machine", note Nicolas Bouillard, le directeur adjoint de l’agence Champagne Demathieu-Bard, "et former au pilotage du robot est simple et rapide. Ce nouveau mode constructif peut contribuer à l’attractivité du métier pour les jeunes."

 

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Les deux techniciens ou ingénieurs du bâtiment détachés par Peri sont formés à manipuler le robot via une tablette. © EJH

 

 

 

Bâtiment à très haute performance environnementale

Outre le procédé vertueux de l’impression 3D béton in situ, ViliaSprint2 fait appel à des matériaux bio et géosourcés (la perlite, distribuée pour la première fois en France, et le bois employé pour la structure portante des balcons de l'immeuble), s'inscrivant ainsi dans une démarche architecturale harmonieuse, qui privilégie l'utilisation du "bon matériau au bon endroit".

Le bâtiment sera équipé d’une pompe à chaleur collective pour l’eau chaude sanitaire et le chauffage. L’orientation du bâtiment et 500 m2 de panneaux photovoltaïques apportent une autonomie énergétique estimée à 60 %.

Le bilan carbone optimisé du projet lui permet d’être conforme aux objectifs du palier 2025 de la RE2020.

 

 

 

Adapter et massifier le procédé

Ce premier chantier va permettre d’optimiser le process sur chantier pour gagner encore du temps, par exemple en incorporant l’isolant à l’avancement, et en intercalant le ferraillage en temps masqué.

Plurial Novilia entend démontrer la viabilité de son mode constructif afin de le faire passer du stade expérimental actuel à un stade pleinement opérationnel et reproductible. L’industrialisation du procédé d’impression 3D doit permettre à terme de construire des logements plus rapidement et à prix maîtrisé. "Cette technologie de rupture sera exportée vers nos filiales dans les endroits où il est urgent de construire vite, comme à Mayotte" affirme Bruno Arcadiane, le président d’Action Logement. La technique devra être adaptée aux conditions locales (météo, granulats, etc.) et faire l’objet d’une nouvelle ATEx.

La ZAC de Bezannes, qui se veut territoire pionnier pour expérimenter des méthodes constructives audacieuses, a déjà accueilli plusieurs projets innovants signés Plurial Novilia ces dernières années. Pour Arnaud Robinet, le président du Grand Reims et conseiller régional, ViliaSprint2 n’est pas qu’une expérimentation.  "C’est aussi et surtout une base de réflexion et d’action pour d’autres collectivités qui veulent bâtir autrement. Avec l’État, les collectivités, les entreprises locales et internationales, il s’agit maintenant de passer en mode projet."

 

Voué à servir de référence pour d’autres projets à venir, ViliaSprint2 ouvre ainsi la voie à de nouvelles approches constructives sur l’ensemble du territoire national. © Plurial Novilia.

 


Source : batirama.com / Emmanuelle Jeanson / © Emmanuelle Jeanson

L'auteur de cet article

photo auteur Emmanuelle JEANSON
Collaboratrice de longue date de Batirama, elle est journaliste indépendante dans la presse pro du bâtiment et de l’énergie depuis ses débuts dans le métier (qui remontent à la dernière décennie du siècle dernier !). Ses sujets de prédilection : tout ce qui contribue à une construction plus soutenable ; les techniques anciennes remises au goût du jour ; les énergies renouvelables ; aller à la rencontre des artisans et de leur quotidien, mais aussi comprendre les enjeux de l’activité industrielle.
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