Interview de François Guérin (Cetih) : en marche pour une filière solaire française

Interview de François Guérin (Cetih) : en marche pour une filière solaire française

La création d’une filière française de l’énergie solaire est un atout maître, à l’heure de la transition énergétique. François Guérin, Président directeur-général de Cetih, détaille les enjeux du projet Bélénos.




Légende : François Guérin, Président directeur-général de Cetih : « La création d’une filière française de l’énergie solaire est stratégique à l’heure de la transition énergétique ».

 

Porté par deux groupes industriels français de poids - Cetih et Strub - via leurs filiales spécialistes des solutions photovoltaïques - Systovi et Voltec Solar - le projet Bélénos vise la création d’une vraie filière française de l’énergie solaire.

 

La création d’une filière française de l’énergie solaire est en effet un atout maître pour renforcer le dynamisme des territoires et leur éviter de dépendre du monopole chinois. Président directeur-général de Cetih, François Guérin répond à nos questions sur les enjeux de Bélénos.

 

Batirama : A quel moment avez-vous commencé à réfléchir au projet Bélénos ?

 

François Guérin : En 2018, lorsque j’ai pris la direction de Systovi, j’ai entrepris un tour d’horizon de tous les acteurs de l’univers photovoltaïque pour mieux cerner ce marché, très complexe, très compliqué et qui est dominé par l’hégémonie chinoise.

 

Et puis, j’ai rencontré les dirigeants de Voltec Solar, entreprise basée en Alsace, dont l’activité est orientée vers les grandes centrales solaires alors que celle de Systovi, implantée à Carquefou (44), touche le résidentiel et les petites et moyennes toitures industrielles. Nous ne sommes donc pas vraiment concurrents mais plutôt des confrères sur ce marché. Nous avons plutôt intérêt à unir nos forces pour tenter de faire face à la concurrence chinoise.

 

Nous avons alors décidé de travailler ensemble sur certains sujets. Et c’est lors du premier confinement qu’est née une réflexion : à l’époque, on parlait beaucoup de souveraineté, d’une façon générale et de ré-industrialisation et de toutes les dépendances que nous avons construit au fil du temps.

 

Je me suis dit : « Sur le photovoltaïque, si nous devons reconstruire quelque chose, c’est à nous - derniers acteurs qui restent - qu’il appartient de prendre la main ». Nous nous sommes complètement alignés avec Voltec Solar sur cette ambition de construire un acteur important de l’énergie solaire, en France et en Europe.

 

 D’où le projet Bélénos… Nous avons deux sites industriels et nous avons de la place pour mettre en œuvre des moyens supplémentaires : c’est faisable et c’est viable, surtout si le marché est un peu plus réglementé car si l’on s’intéresse uniquement au prix, nous ne parviendrons pas à nous battre et nous ouvrirons la porte toute grande aux panneaux chinois. Il faut que l’on prenne en compte plusieurs aspects, à commencer par le critère carbone, ce qui peut nous aider face à la concurrence des panneaux low-cost chinois.

 

 

Doté des attributs “brillant”, “brûlant”, “resplendissant” et “éclatant”, Bélénos est un dieu gaulois lumineux et solaire, complémentaire de Lug. C’est la raison pour laquelle son nom a été accolé au projet. Installation photovoltaique de 36kwc©sovec :

 

 

Sommes-nous technologiquement très en retard par rapport aux acteurs du photovoltaïque chinois ?

 

François Guérin : Oui et non. Nous produisons aujourd’hui des panneaux photovoltaïques de 330 watts alors qu’arrivent d’Asie des panneaux de 300, 330, 380, 400 et même 500 watts. Donc, effectivement, il y a eu un pallier de franchi, à la fois important et très récent. En fait, les acteurs chinois ont provoqué une bascule très rapide sur de nouvelles cellules alors que nous avons un délai de mise en œuvre sur les nouvelles technologies. Nous avons subi cette évolution brutale en 2021 alors que nous l’attendions plutôt en 2022.

 

Reste que notre retard sur les entreprises chinoises se compte en mois mais pas en années. Et nous allons le combler très bientôt. Voltec Solar et Systovi ont en effet investi dans de nouvelles lignes de fabrication et nous disposerons - après l’été pour Voltec Solar et en fin d’année 2021 pour Systovi - de panneaux de même puissance que la concurrence asiatique. Nous adoptons les meilleures technologies existantes, c’est-à-dire des panneaux en demi-cellule, de taille M6, M10 ou M12. Nous serons plutôt centrés sur le M10 avec des panneaux de 400 watts.

 

Je précise que nos actuels panneaux de 330 watts correspondent encore à la performance de la majorité des panneaux qui sont vendus sur le marché. Il est donc faux de dire que nous sommes en retard de 4 à 5 ans, de même qu’il est faux de penser que nos technologies d’assemblage ont entre 3 et 5 ans de retard sur celles provenant de Chine. Nous sommes conformes sur ce plan.

 

Les industriels chinois ont énormément investi sur le photovoltaïque - soutenus par leur politique d’État et l’effet dumping sur les prix. Ils bénéficient donc d’usines gigantesques, très automatisées. Leur avantage est lié à la massification mais pas à la technologie. Nous achetons nos machines en Europe et ils font de même, en maintenant en Chine des technologies identiques.

 

« Nous allons essayer de nous différencier sur des niches techniques »

 

Aujourd’hui, par cet effet de massification, les acteurs chinois produisent pratiquement 80 % des panneaux photovoltaïques sur le plan mondial. Ils se sont concentrés sur du panneau assez standard. Nous, nous allons essayer de nous différencier sur des niches techniques qu’ils ne couvriront pas.

 

Par exemple, le panneau aéro-photovoltaïque est une innovation brevetée de Systovi qui apporte à la fois de l’électricité et de l’air chaud : vous ne trouverez pas ce type de panneau en Chine. Nous allons apporter des petits “plus” par rapport aux panneaux chinois. Ne parlons pas de “retard technologique” mais plutôt d’un décalage dans la massification : il résulte autant de la volonté de l’État chinois que d’un manque de volonté politique de l’Europe pour soutenir une vraie filière solaire.

 

S’agissant de la R&D, sommes-nous au même niveau que les entreprises chinoises ? Par exemple, sur l’augmentation de production des panneaux solaires via l’hétérojonction et les perovskytes ?

 

François Guérin : En France, l’hétérojonction est une technologie portée par l’INES, dépendant du Commissariat à l’Énergie Atomique et aux Énergies. Elle est connue mais elle est restée au niveau du laboratoire pendant des années alors que les industriels chinois ont commencé à l’adopter : il y a déjà une petite production en hétérojonction en Chine.

 

Il y en a aussi en Europe avec les projets du fabricant suisse de modules solaires Meyer Burger qui a investi en Allemagne et qui produit selon le principe de l’hétérojonction ou celui du fabricant italien Enel qui fabrique aussi des cellules en hétérojonction. Cette technologie, inventée en Europe, a été développée et industrialisée en Chine. Elle commence à être industrialisée en Europe.

 

Quant aux perovskites, c’est encore aujourd’hui une technologie de laboratoire. Cela nécessitera encore quelques années - au moins 5 ans - avant que nous ayons une technologie complètement stable, robuste et qui permettra de vendre des panneaux en nombre. Là aussi, les laboratoires européens ne sont pas en retard. Mais la question demeure la même, en Europe : quand y aura-t-il un transfert entre le laboratoire et l’industrie pour que nous ayons une massification industrielle ?

 

 

Sistovi et Voltec solar ont mené deux investissements récents : 2,5 millions d’euros chez Voltec Solar et 1,5 million d’euros chez Systovi "pour se mettre à jour sur les technologies de cellules qui ont évolué assez rapidement" selon François Guérin. Site de production Cetif Energie

 

Très concrètement, qu’attendez-vous des pouvoirs publics aujourd’hui ?

 

François Guérin : Deux choses… Premièrement, une règlementation qui permette à un panneau de fabrication française d’être compétitif en se positionnant via deux critères majeurs : le contenu local et le carbone.

 

Si l’Europe finance massivement la transition énergétique, il est dommage que nous financions en même temps des produits exportés vers l’Europe. Regarder le contenu local dans tous les produits liés à la production énergétique paraît donc pertinent, d’autant qu’une étude sortie dans “Actualité Solaire” constate que les grandes centrales solaires sont massivement alimentées par des panneaux chinois alors que les petites installations résidentielles sont le fait de fournisseurs européens. 

 

Ceci pousse notamment à renforcer fortement le développement de petites centrales pour un modèle énergétique moins centralisé et qui de plus utilise plus les produits Made in Europe. À court terme, le critère carbone est réaliste : il existe déjà et l’Europe sera plus encline à l’accepter que celui du contenu local qui a parfois du mal à passer vis-à-vis des règles de concurrence.

 

Grâce à son approche très bas carbone, un critère que l’on retrouve dans les appels d’offres, Voltec Solar a réussi à se positionner sur les marchés des grandes centrales.

 

J’aimerais aussi, au plan européen et notamment au niveau français, que nous ayons des règles un peu plus audacieuses pour placer des panneaux photovoltaïques sur tous nos bâtiments. Jusque-là, la règlementation n’est ni très claire, ni très ambitieuse car elle ne favorise pas assez le solaire. Cela, c’est une vraie déception.

 

Au début de la réflexion sur la RE 2020 (qui sera applicable début 2022 pour les logements neufs), il y a 5 ans, on parlait de bâtiment à énergie positive mais tout cela est loin derrière : c’est dommage. À cause de cela, l’installation de panneaux photovoltaïques sur le marché du petit résidentiel risque fort de rester marginale alors qu’en Allemagne il existe une obligation de mettre du panneau photovoltaïque sur toutes les résidences : un vrai marché s’est construit outre Rhin alors que le soleil y est moins présent que chez nous.

 

En Allemagne, il y a actuellement 1,7 million de maisons en autoconsommation alors que nous en avons à peu près 90 000 en France. Et l’on fait annuellement entre 15 et 20 000 maisons en autoconsommation en France contre plus de 100 000 en Allemagne. Cela a permis à des fabricants allemands de kits solaires pour l’autoconsommation résidentielle de vivre correctement et de développer des savoir-faire importants pour les maisons de demain. C’est beaucoup plus difficile en France. 

 

Et la deuxième chose que vous souhaiteriez ?

 

François Guérin : Deuxièmement, nous aimerions qu’il y ait, sur tous les nouveaux bâtiments, y compris les toutes petites installations en résidentiel, une obligation de créer un minimum d’énergie en autoproduction, ce qui permet justement à des fabricants européens ou français de se positionner sur les petits marchés là où il y a une notion de service et de proximité forte.

 

Nous le constatons chez Systovi car nous fournissons des panneaux mais aussi tous les systèmes de fixation, tout cela constituant un kit que nous avons mis sous avis technique du CSTB. Les installateurs viennent acheter chez nous tout ce service, avec un SAV et un centre de formation agrée. Nous arrivons comme cela à vendre du kit local pour des petites ou moyennes centrales.

 

Avez-vous déjà rencontré des représentants de l’État français ?

 

François Guérin : Nous échangeons avec la Banque publique d’investissement (Bpifrance) et nous regardons surtout l’aspect réglementaire avec le ministère de la Transition écologique, la DGEC, le ministère de l’Industrie… Une fois la clarification faite sur la règlementation, il faudra discuter du financement.

 

Nous sommes dans un marché qui nécessite des investissements pour remettre du capacitaire et suivre l’évolution technologique. Là aussi, nous demandons un accompagnement financier important… Dans ce marché ultra compétitif, le financement et l’accompagnement de l’État seront absolument nécessaires. J’espère que tous ces aspects vont se clarifier après l’été.

 

Où en êtes-vous de votre projet avec votre partenaire Voltec Solar ?

 

François Guérin : Avec Voltec Solar, nous avons établi un plan industriel et technologique pour mesurer le type d’investissement à consentir et déterminer quel panneau nous allons fabriquer. Nous avons aussi arrêté un business plan sur 10 ans dans lequel nous passons en revue les financements à demander et nous estimons la rentabilité de l’entreprise.

 

Tout est écrit. Ce document est entre les mains de Bpifrance et d’autres financeurs… Nous avons esquissé la trajectoire. Il faut maintenant passer à la concrétisation du projet. Nous investissons dans des lignes de fabrication. Nous avons mené deux investissements récents : 2,5 millions d’euros chez Voltec Solar et 1,5 million d’euros chez Systovi pour nous mettre à jour sur les technologies de cellules qui ont évolué assez rapidement.

 

Ensuite, une fois la règlementation clarifiée, nous déciderons de la suite pour un investissement sur une ligne capacitaire automatisée. Ce sont des décisions qui interviendront au cours du deuxième semestre 2021.

 

Mais l’Europe peut-elle encore remporter une bataille dans le domaine photovoltaïque ?

 

François Guérin : Nous sommes à un tournant. Par rapport à tout ce que l’on dit sur la transition énergétique, on voit bien qu’il y a plusieurs domaines. Il y a l’éolien, le solaire, l’hydrogène, l’hydrolien… Certes, nous n’avons pas gagné les premières batailles dans le photovoltaïque car c’est l’Asie qui a pris une position dominante.

 

S’agissant de l’éolien, la France n’est pas à la pointe pour la fabrication des éoliennes. Et, en ce moment, c’est la grande bataille sur l’hydrogène. Mais nous savons que le mix énergétique de demain combinera toutes ces solutions. Il y aura du nucléaire, il y aura de l’éolien, il y aura du solaire…

 

Tous les grands prospectivistes considèrent le solaire comme une énergie majeure parce qu’elle est ultra abondante partout et qu’elle est arrivée aujourd’hui à un coût très compétitif. En plus, sur le plan de l’intégration dans le paysage, elle offre des solutions avantageuses et beaucoup plus simples que l’éolien. Et, en termes de risques, elle est beaucoup plus simple à maîtriser que le nucléaire.

 

Le discours qui consisterait à dire : « La bataille est perdue parce que les industriels chinois ont pris une avance, c’est fini ! » est un aveu de faiblesse et de perte d’indépendance sur la source d’énergie qui sera sûrement majeure et dominante dans les prochaines années.

 

Il y a matière, à l’échelle de l’Europe, à construire une filière photovoltaïque. Ce qui nous manque, et ça il nous faut absolument l’obtenir, c’est un fabricant - voir deux fabricants - de cellules en Europe. Nous, nous faisons des modules mais on ne peut pas tout faire. Nous essayons de faire des choses bien pour l’habitat résidentiel avec nos systèmes à pilotage d’énergie pour booster l’autoconsommation. Mais il faut aussi que l’État se mobilise, à l’échelle française et européenne, pour qu’il y ait un projet de cellules qui se fasse en Europe. Si nous avons cela, nous avons aussi l’autonomie.

 

Sera-t-on au même niveau que les offres chinoises ? Sûrement pas avec le niveau d’échelle qu’ils ont atteint et avec les ressources qu’ils ont eues. Mais on peut n’être pas très loin de cela et construire quand même une industrie solaire crédible, qui permette notre indépendance vis-à-vis de cette énergie incontournable pour les années à venir.



Source : batirama.com/ Jacques Le Corre

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