Les bouleversements attendus de la future réglementation thermique et environnementale

Les bouleversements attendus de la future réglementation thermique et environnementale

De récentes conférences ont confirmé certains points clefs dans la prochaine réglementation : les bâtiments neufs devront « stocker du carbone » et maintenir la qualité d’air intérieur. Le matériau bois reviendra-t-il ?




Le 3 octobre dernier, en ouverture du Congrès International de la Construction, Halle Pajol à Paris, Emmanuel Acchiardi de la DHUP (Direction de l'Habitat, de l'Urbanisme et des Paysages) a confirmé que la future réglementation thermique et environnementale entrerait en vigueur en 2020, en s’appuyant sur un article de la Loi Elan en cours de discussion au Parlement et qui annonce cette date.

 

Il a également confirmé qu’elle s’appuierait sur les enseignements de l’expérimentation E+C-, sur la méthode de calcul développée pour ce label et viserait donc le BEPOS (Bâtiment à énergie positive).

 

Il a en plus attiré l'attention sur deux points très nouveaux, contenus dans le Projet de Loi Elan, en ce qui concerne la construction neuve : l’obligation pour les bâtiments de stocker du carbone pendant toute leur durée de vie et des objectifs de Qualité de l’Air Intérieur (QAI).

 

 

 

Voici peut-être le proche futur de la construction neuve : murs porteurs en CLT, poutres et planchers bois, cloisons séparativers en bois. ©Metsä Wood

 

Stocker le carbone et donc utiliser du bois

 

L’article 55bis du projet de Loi Elan révisé par la Commission Mixte Paritaire entre l’Assemblée Nationale et le Sénat, introduit la notion de stockage de carbone dans les bâtiments neufs.

 

Concrètement, il prévoit de modifier le Code de la Construction et de l’Habitation pour introduire le texte suivant :  « Les performances énergétiques, environnementales et sanitaires des bâtiments et parties de bâtiments neufs s’inscrivent dans une exigence de lutte contre le changement climatique, de sobriété de la consommation des ressources et de préservation de la qualité de l’air intérieur.

 

Elles répondent à des objectifs d’économies d’énergie, de limitation de l’empreinte carbone par le stockage du carbone de l’atmosphère durant la vie du bâtiment, de recours à des matériaux issus de sources renouvelables, d’incorporation de matériaux issus du recyclage, de recours aux énergies renouvelables et d’amélioration de la qualité de l’air intérieur. »

 

Le troisième alinéa de l’article 55 bis indique « à partir de 2020, pour les constructions nouvelles, en fonction des différentes catégories de bâtiments, le niveau d’empreinte carbone à respecter, évalué sur l’ensemble du cycle de vie du bâtiment, en intégrant la capacité de stockage du carbone dans les matériaux …

 

L’article 55 bis B précise « Un décret en Conseil d’Etat définit […] pour les produits de construction et équipements, les modalités de calcul et de formalisation des informations nécessaires au respect des exigences […], en particulier : les émissions de gaz à effet de serre tout au long du cycle de vie ; leur contribution au stockage du carbone de l’atmosphère pendant la durée de vie des bâtiments.

 

Tout type de structure bois est concevable. Voici un bâtiment de logements collectifs passifs conçu à Montreuil par l’architecte Yves Cochet et construit par Socopa. ©Socopa

 

Vers une utilisation massive du bois ?

 

La loi Elan va donc introduire en construction neuve une méthode de calcul et des objectifs de stockage de carbone, d’une part, de qualité de l’air intérieur, d’autre part. Le tout modulé en fonction du type de bâtiments.

 

Le Conseil d’Etat fixera une partie des modalités. En fonction de l’arrêté du Conseil d’Etat et s’appuyant sur son moteur de calcul E+C-, le CSTB – ce n’est pas dit dans la Loi Elan, mais ça semble logique – va donc ajouter un volet stockage de carbone et un volet qualité de l’air intérieur.

 

A propos du stockage du carbone dans les bâtiments pendant toute leur durée de vie, nous ne connaissons pour l’instant qu’un seul moyen technique : utiliser massivement du bois, sous toutes ses formes : structure bois – ossature bois, panneaux CLT (Cross-Laminated Timber), poteaux et poutres lamellés-collés -, parquet, ouvrants à menuiserie bois, lambris, bardages, …

 

La filière bois française à la peine

 

Le projet de Loi Elan ne prévoit pas la possibilité de compenser la charge carbone d’un bâtiment ailleurs : en plantant des forêts ou en réhabilitant des sols agricoles. Le stockage se passera dans le bâtiment neuf lui-même. Si cela induit un recours massif aux structures bois, par exemple, il n’est pas certain que notre pays dispose de suffisamment d’entreprises formées, capable d’assurer une généralisation des structures bois en construction neuve.

 

Ensuite, l’essentiel de la production de bois française – 80% de feuillus, 20% de résineux – est pour l’instant consacré à la fabrication de meubles. Réorienter les filières est un objectif de très longue haleine : en attendant, une croissance du bois de structure en construction neuve se traduira par un accroissement des importations. A moins, naturellement, que cette obligation de stockage de carbone ne soit purement nominale.

 

 

 

Dans le cadre du BEPOS, le solaire thermique devrait retrouver une place plus importante, notamment pour faire face à des besoins d’ECS importants en logements collectifs et en hôtellerie. Mais, ayant pâti de nombreux sinistres, les maîtres d’ouvrage sont devenus très réticents. Il faut reconquérir leur confiance. ©PP

 

Mesurer la Qualité de l’Air Intérieur et entretenir les installations de ventilation

 

Le projet de Loi ELAN s’attache à juste titre à la pérennité dans le temps de la qualité minimale exigée en constructions neuves et cite l’amélioration de la qualité de l'air intérieur. Cela pourrait se traduire, premièrement, par l’obligation de réceptionner les installations de ventilations dans les bâtiments neufs et de vérifier la conformité des débits avec le calcul, ou bien par une certification des BE et entreprises de mise en œuvre qui prouverait a priori leur savoir-faire.

 

Deuxièmement, cela devrait normalement se traduire par l’exigence d’installation de moyens de mesurer la QAI dans les locaux – des sondes de CO2, de divers COV, d’Hygrométrie relative ? - avec un report des informations clair et facilement accessible pour les occupants.

 

Troisièmement, l’obligation d’entretenir les installations de ventilation pourrait se voir réaffirmée. Ce qui ne serait pas plus mal. Le Synasav rappelait récemment que la situation la plus fréquente, en maison individuelle notamment, mais aussi en collectif et même en bureaux, c’est plutôt le non-entretien de la ventilation.

 

Le Synasav rappelait aussi que les installations de ventilation et de distribution d’air pré-traité ne sont pas en général conçues pour être entretenues. Lorsqu’un adhérent du Synasav décroche un contrat d’entretien d’une ventilation neuve, il commence le plus souvent par la modifier, ajoutant des trappes, par exemple, pour pouvoir accéder au réseau et le nettoyer. Tentons maintenant une traduction de l’obligation du BEPOS en construction neuve à partir de 2020.

 

 

 

En maison individuelle, 3 kWc ne suffiront pas pour atteindre le BEPOS. IL faut viser 10 kWc et utiliser toute la toiture. Ce qui nous ramènera au temps fous du PV conquérant, mais sans tarif de rachat, ni subvention particulière. ©Conergy

 

La question du Bepos

 

Nous ne savons pas à quel niveau d’exigence Bepos sera fixée la future règlementation. En tout état de cause, cela devrait correspondre au moins au niveau 2, voire 3, du « E » dans le label E+C-, sachant que seul le niveau 4 est un franc Bepos avec une consommation annuelle tous usages confondus, inférieure à la production, et pourrait faire l'objet à lui tout seul d'un nouveau Label volontaire de surperformance.

 

Le solaire thermique devrait avoir toute sa place, mais le désamour persistant des maîtres d’ouvrage pour cette technologie fait douter de sa croissance rapide. Ce qui signifiera, en tout état de cause, une énorme multiplication des installations photovoltaïques et la généralisation des systèmes thermodynamiques pour l’eau chaude, le chauffage et – aussi – le rafraîchissement.

 

La France construit, bon an mal an, 180 000 maisons individuelles, 11 000 immeubles collectifs et 25 000 à 30 000 autres bâtiments neufs de toutes sortes, hors bâtiments agricoles. Prenons des estimations conservatrices et imaginons dès 2020, 150 000 maisons individuelles et 10 000 bâtiments collectifs et 25 000 autres bâtiments, soit environ 185 000 nouveaux bâtiments au total, équipés de photovoltaïque.

 

 

 

Voici une toiture tertiaire favorable au Bepos : un bâtiment de quatre niveaux, plutôt allongé, offrant une large surface de toiture pour l‘installation de PV et de systèmes thermodynamiques. ©Daikin

 

Une explosion du photovoltaïque à gérer !

 

Aujourd’hui, notre pays voit chaque année moins de 20 000 installations photovoltaïques nouvelles, selon ObservER 2017, pour une puissance totale inférieure à 150 MWc. A tire de comparaison, de quelles puissances parle-t-on sur des bâtiments Bepos ? Pour une maison individuelle Bepos, la puissance moyenne sera sans doute de de 10 kWc, soit 100 m² de panneaux et une production annuelle de 10 000 kWh. C’est peu, mais c’est une estimation conservatrice.

 

En collectif et pour les autres bâtiments, comptons 100 kWc en moyenne pour 100 000 kWh/an. Ce qui représente environ 1000 m² de panneaux à inclinaison optimale : où seront-ils installés ? En plus des toitures, il faudra sans doute coloniser toutes les façades, sauf au Nord. Pour résumer, 150 000 maisons à 1 KWc et 35 000 autres bâtiments à 100 kWc chacun, cela représente une puissance photovoltaïque additionnelle chaque année de 3650 MW, près de 25 fois plus importante que le rythme annuel aujourd’hui.

 

Sommes-nous – fournisseurs, installateurs, Enedis et RTE, gardiens de la stabilité du réseau d’électricité français - prêts à faire face ? Le site Qualit'ENR indique, par exemple, 15 000 entreprises qualifiées pour l’ensemble des qualifications gérées par cette association. Si 10 000 sont titulaires de la qualification QualiPV, elles devront chacune réaliser 18 700 installations en moyenne en 2020 et chaque année suivante, contre 2 par an aujourd’hui. Est-ce tout à fait réaliste à l'heure où le Bâtiment peine à recruter ?

 

 

 

Pour les IGH, en revanche, le facteur de forme – un bâtiment étroit et haut – est très défavorable à l’installation de suffisamment de PV en toiture pour atteindre le BEPOS. IL faudra envahir les façades. ©PP

 

Raccordement fastidieux d'une installation photovoltaïque au réseau

 

Qui dit Bepos, dit raccordement au réseau pour exporter le surplus. Aujourd’hui, les démarches administratives nécessaires auprès d’Enedis ont été simplifiées, mais demeurent touffues. Le site Enedis consacré au raccordement d’une installation de production au réseau électrique les présente en détail.

 

Pour une installation jusqu’à 36 kVA de puissance, le délai de réponse indiqué est de 1 à 3 mois. Après avoir soumis une demande à Enedis, accompagnée d’un dossier complet, Enedis soumet au demandeur une proposition de raccordement, ainsi que les conditions particulières du CRAE (Contrat d’Accès au Réseau Public). Il faut signer les deux et les renvoyer à Enedis, accompagnés d’un acompte pour déclencher le démarrage des travaux qui peuvent durer de quelques semaines à quelques mois.

 

Au total et en moyenne, il faut compter 4 à 7 mois. Le raccordement d’une installation > 36 kVA est également prévu par Enedis. Le dossier à remplir est plus touffu encore. Il s’appuie aussi sur des dispositions réglementaires dont il ne semble pas que l’évolution soit prévue avant 2020, mais qui perdront toute signification si le photovoltaïque est généralisé à toute la construction neuve.

 

Il distingue en effet, les demandes de raccordement comprises entre 36 et 250 kVA formulées dans le cadre d’un barbare SRRRER – Schéma Régional de Raccordement au Réseau des Energies Renouvelables -, de celles formulées hors d’un SRRRER. Ces dernières sont un peu plus compliquées.

 

 

 

Pour les bâtiments neufs comblant une dent creuse dans un environnement urbain dense, l’équation BEPOS semble insoluble : toiture de faible surface, façades pas nécessairement bien orientées pour maximiser une production PV, etc… ©PP

 

Une réglementation et de nouvelles obligations réalistes ?

 

Tout cela étant prévu pour moins de 20 000 installations par an aujourd’hui. En 2020, 185 000 nouvelles installations s’ajouteront à ces 20 000.

 

On ne peut s’empêcher d'avoir un mauvais pressentiment : le système sera bloqué en quelques semaines ou bien les dispositions adéquates – changement de nombreuses réglementations, embauches pour le traitement administratif et les travaux de raccordement – seront prises d’ici un an (pour une application en 2020, il faut tout de même un petit délai de formation de tous ces nouveaux acteurs), ou encore l’exigence Bepos sera « in name only » et définie à un niveau suffisamment bas pour ne pas requérir de production PV sur les bâtiments neufs.

 

En tout état de cause, si la nouvelle règlementation Bepos + Environnementale + QAI + Stockage de Carbone doit être appliquée en 2020, le texte et la méthode de calcul devraient être publiés au plus tard avant juin 2019, pour que la filière de la construction neuve puisse se préparer, un peu, à une mutation sans précédent, qui va bien au-delà de toutes les gradations réglementaires précédentes en construction neuve.

 

Dans un autre ordre d’idée, mais proche tout de même, la Ville de Paris, de son côté, a décidé avec une quarantaine d’autres grandes métropoles mondiales membres de l’association C40 https://www.c40.org/, dont la Maire de Paris assure la présidence jusqu’à l’automne 2019, que la construction neuve sur leurs territoires respectifs serait « neutre en carbone » à compter de 2030.

 

Ce qui semble a priori une bonne idée, mais nettement plus sévère encore que celle du stockage de carbone. Il va donc falloir creuser un peu pour comprendre ce que cela signifie exactement. Est-ce d’ailleurs tout à fait concevable dans un environnement urbain dense à l’échelle d’un seul bâtiment ?



Source : batirama.com / Pascal Poggi

L'auteur de cet article

photo auteur Pascal Poggi
Pascal Poggi, né en octobre 1956, est un ancien élève de l’ESSEC. Il a commencé sa carrière en vendant du gaz et de l’électricité dans un centre Edf-Gdf dans le sud de l’Île-de-France, a travaillé au marketing de Gaz de France, et a géré quelques années une entreprise de communication technique. Depuis trente ans, il écrit des articles dans la presse technique bâtiment. Il traite de tout le bâtiment, en construction neuve comme en rénovation, depuis les fondations jusqu’à la couverture, avec une prédilection pour les technologies de chauffage, de ventilation, de climatisation, les façades et les ouvrants, les protocoles de communication utilisés dans le bâtiment pour le pilotage des équipements – les nouveaux Matter et Thread, par exemple – et pour la production d’électricité photovoltaïque sur site.
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