Juste après le 10e Forum International Bois Construction de Paris, fin juillet 2021, les sapeurs-pompiers de la préfecture de police de Paris ont publié ce qu’ils appellent leur doctrine en matière de protection incendie passive des ouvrages intégrant une forte part de matériaux biosourcés en structure et enveloppe. Ce fut un choc, car cette doctrine partait du principe que la structure en bois contribue par sa matière combustible à l’embrasement et qu’il convient autant que possible de l’encoffrer.
Jusque-là, la construction bois surfait sur une vague assez favorable. Les bureaux adoptaient le bois apparent avec la caution d’études notamment japonaises montrant des gains de productivité. Ailleurs, le bois apparent était perçu comme une caution d’une démarche constructive tenant compte de la catastrophe climatique. Par ailleurs, la RE2020, entrée en application le 1er janvier 2022, devait mener par paliers à une situation réglementaire, pour le neuf et sans doute aussi la rénovation, faisant de la construction bois le standard de fait.

Le Messager de mauvaise augure ! L'immeuble qui se voulait modèle du tertiaire décarboné présente depuis juin une ruine calcinée longué quotidiennement par des centaines de trains de banlieue dont les voyageurs ne savent heureusement pas tous de quoi il ressort. © Jonas Tophoven
À vrai dire, cette situation favorable masquait des difficultés qui s’étaient déjà présentées dès la fin de la première décennie du siècle. A l’époque, et c’était encore avant le drame de Grenfell à Londres, la réglementation incendie applicable aux façades en bois était sommée de réaliser des vérifications par tests réels, qui se sont mal passés. Cela a engendré des recommandations d’abord jugées incompatibles avec le marché, mais qui se sont finalement révélées comme acceptables face à tous les gros problèmes qui sont venus derrière. Après Grenfell répercuté en imposant des isolants classé A1 en façade, la construction du R+11 Sensations à Strasbourg a conduit à un test réel (LEPIR 2) qui a montré entre autre que les nez de plancher en CLT continuaient à brûler après la fin des charges combustibles. En d’autres termes, on avait bien avancé sur les façades, mais maintenant, on entrait dans le gras des planchers.
Comme les pompiers avaient été sollicités par l’association AdivBois pour développer des solutions applicables aux constructions bois de belle hauteur, et que cela n’avait rien donné, mais que cette association était idoine pour étudier la sécurité incendie du Village olympique, des mesures générales de protection incendie, allant au-délà des règles en vigueur, ont été adoptée, mais la "filière bois" a refusé d’élargir le champ d’application de ces nouvelles règles au-delà du Village des Athlètes, ce qui a conduit tout droit à la Doctrine des sapeurs-pompiers de la Préfacture de police de Paris.

Jean-Michel Servant, démissionnaire de son poste de DIM taillé pour résoudre enfin cette question de la refonte de la réglementation sur la protection passive des ouvrages dits "biosourcés". © Michel Laurent
Depuis, la construction bois est confrontée à une situation impossible. À Paris et dans certaines régions, mais pas partout, la doctrine prévaut malgré la réglementation officielle, dans la mesure où les pompiers peuvent interdire notamment l’ouverture d’ouvrage ERP en dernier recours. Dans une démocratie, on ne peut pas avoir une doctrine d’un corps d’état qui passe outre une réglementation officielle, il a donc fallu mettre en place une refonte de la réglementation incendie pour le bois, soit lancer quelque chose de complexe. Le ministère de l’intérieur a poussé pour une réglementation dont le projet d’arrêté ERP n’est que la première étape. Selon certains experts de l’ingénierie du CINOV, l’arrêté qui a été retoqué le 9 décembre est pire que la doctrine.
D’autres experts font valoir que la réglementation devait être refondue de toute façon, tandis que l’ADEME a financé deux cycles de tests pour permettre éventuellement de modifier la réglementation à venir dans un sens plus favorable et notamment ne pas encapsuler toutes les parois en bois. En pratique, ces tests n’ont pas commencé et on les attend pour le premier semestre 2026. Malgré le désaccord entre la position de la "filière bois" et les pompiers, le texte de l’arrêté a été rédigé et devait passer la barre de l’instance consultative du CSC2E dès octobre 2025. Cela signifiait déjà un retard par rapport au planning annoncé en février 2025 au Forum du Grand Palais, qui annonçait juin. Le texte a finalement été retoqué trois fois. Le 9 décembre, selon les informations disponibles, 8 organisations professionnelles ont voté contre dont la FFB, la CAPEB et le CINOV (avec les ingénieurs bois), 4 se sont abstenus dont l’UICB, 4 ont voté pour.

L'un des multiples intérêts de l'école Yvone Kerzreho de Nanterre est sa capacité à intégrer une structure qui a été embrasée. Il faudrait d'urgence une RETEX et pas seulement toujours sur les actes de vandalisme ou les configurations catastrophiques. © Jonas Tophoven
Le ministère de l’intérieur peut passer en force mais risque alors une confrontation à un autre niveau. Il peut aussi suivre les recommandations du CSC2E et faire en sorte que toutes les réglementations relatives à la protection passive des ouvrages biosourcés passent en même temps afin de disposer d’une vision globale, et que leur mise en application se face trois mois après. Cela signifierait, apparemment, que la mise en application de cette nouvelle réglementation serait repoussé de 1 à 2 ans, et tomberait de fait dans la nouvelle mandature présidentielle.
Pour l’instant, la situation générale est la suivante : Jean-Michel Servant, qui avait quitté ses fonctions de président de France Bois Forêts pour devenir délégué inter-ministériel afin de résoudre cette épineuse question, a démissionné. La cheville ouvrière de la" filière bois", Michel Veillon, ne dirige plus l’entreprise Ossabois.
Les années de négociations avec les pompiers ont laissé des traces profondes, mais pas forcément entièrement négatives. Une association ABCI a été créée par l’UMB-FFB, la CAPEB et IBC, non pas pour contrer frontalement l’UICB qui avait joué le rôle d’interlocuteur dans les négociations avec les pompiers, mais pour défendre les intérêts de l’aval de la "filière bois" sur différents sujets, alors que l’UICB s’est apparemment rangée aux côté de la FNB pour générer une "grande filière".

Sprinkler dans une classe du groupe scolaire Dominique Frelaut à Colombes, une première pas vraiment récompensée par les pompiers ni par le bureau de contrôle. © Jonas Tophoven
L’année 2025 a été rude avec l’incendie en juin du Messager, relançant la question de la protection incendie des ouvrages biosourcés en chantier. On avait déjà vécu la mobylette enflammée de la crèche à Montfermeil, et l’incendie maîtrisée de l’école du quartier des Groues.
Au Forum de février 2025, Jean-Michel Servant avait orchestré un retour d’expérience sur l’incendie de Grésy-les-Aix suivant ceux d’Ostwald et de Montreuil pour en dériver de nouvelles règles de protection des façades d’ouvrages en bois contre le risque d’incendie venant de l’extérieur. Malheureusement, ce travail ne se fera pas pour l’instant pour Le Messager.
Les essais réels des deux groupes de recherches financés par l’ADEME vont démarrer. Les essais réels du projet Boizif, qui porte sur la capacité des enveloppes biosourcées de résister au passage de feux de forêt, pourrait apporter des résultats dès février 2026. Sur le terrain, l’école Dominique Frelaut à Colombes montre un ouvrage R+4 entièrement sprinklé et remet sur le tapis l’option de la protection active. Surtout, un arrêté paru en novembre dernier permet le développement des solutions d'essais équivalents notamment pour le bois. De sorte que, comme pour la situation catastrophique du climat, tout n’est pas encore complètement noir.
Tout sur le Forum Bois Construction
Le projet d’arrêté sur la protection incendie des bâtiments "biosourcés" a été retoqué le 9 décembre par l’assemblée consultative CSC2E. À moins d’un passage en force, il ne sera pas publié d’ici le prochain Forum FBC.