Jusqu’où montera le prix de l’électricité en France ?

Jusqu’où montera le prix de l’électricité en France ?

Les prix de gros de l’électricité pour des livraisons en France en décembre 2022 dépassent 1000 €/MWh. Les entreprises n’y peuvent pas grand-chose.




Avant d’entrer dans le dramatique, commençons par rappeler le fonctionnement du marché de l’électricité en France. Comme l’indique la CRE (Commission de régulation de l’énergie), désormais présidée par Emmanuelle Wargon pour un mandat de 6 ans non-renouvelable, depuis le 1er juillet 2007, certains consommateurs peuvent choisir entre les offres de marché, dont les prix et les contrats sont fixés par les fournisseurs, et les tarifs réglementés de vente, dont le prix est fixé par les Pouvoirs Publics et qui sont distribués par EDF et par un peu plus d’une centaine d’ELD (Entreprises locales de distributions), comme l’électricité de Grenoble, l’électricité de Strasbourg, etc.

 

 

Tarifs réglementés de vente et prix libres

 

 

Les tarifs réglementés de vente pour l’électricité, rappelle la CRE, sont accessibles, pour une puissance souscrite inférieure ou égale à 36 kVA :

  • aux consommateurs finals domestiques, y compris les propriétaires uniques et les syndicats de copropriété d’un immeuble unique à usage d’habitation,
  • aux consommateurs finals non-domestiques qui emploient moins de 10 personnes et dont le chiffre d’affaires, les recettes ou le bilan total n’excèdent pas 2 millions d’euros.

 

Les tarifs réglementés de vente, explique la CRE, sont calculés en additionnant :

 

  • le prix de l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique, le fameux ARENH,
  • le coût du complément à la fourniture d’électricité, c’est un peu mystérieux, mais cela contient notamment la garantie de capacité,
  • les coûts d’acheminement, dont la CTA contribution tarifaire d’acheminement (financement des retraites des agents des industries électriques et gazières), la CSPE ou contribution au Service public de l’électricité. Son taux s’élève à 25,82 €/MWh depuis le 1er janvier 2022, mais, pour limiter la hausse des prix, les pouvoirs publics ont choisi d’appliquer un taux de seulement 1 €/MWh (son minimum possible au regard du droit européen) pour l’année 2022 pour les clients domestiques et à 0,5€ pour les clients non-domestiques,
  • les TCFE ou Taxes sur la Consommation Finale d’Electricité, payées par tous les consommateurs dont la puissance souscrite est inférieure ou égale à 250 kVA. Depuis le 1er janvier 2021, les TCFE ne contiennent plus que les taxes communales (TCCFE, taxe Communale sur la Consommation Finale d’Electricité). Les taxes départementales ont été intégrées à la CSPE.
  • la TVA : 5,5% sur abonnement + CTA, 20% sur la part proportionnelle énergie + CSPE + TCFE.

 

Ces tarifs réglementés sont normalement fixés par la CRE. Mais voilà, au début de l’année 2022, l’application de la formule de calcul aurait conduit à une augmentation de 44,5 % HT pour les consommateurs domestiques et de 44,7% pour les consommateurs professionnels éligibles.

 

C’était peu de temps avant les élections : le 1er février 2022, le Gouvernement avait bloqué à 4% TTC la hausse des tarifs régulés de vente. C’était le bouclier tarifaire. Dans son exposé des motifs publié le 31 janvier 2022 la veille de l’application du fameux bouclier tarifaire, le Gouvernement indiquait que ce plafonnement permettait "de réduire la hausse moyenne des factures d’électricité des ménages à 38 €/an sur la facture d’un client résidentiel et environ 60 €/an pour un client professionnel. En l’absence de mesures, la hausse aurait été de 330 €/an pour un client résidentiel et de 540 €/an pour un client professionnel."

 

En même temps, il avait contraint EDF à augmenter de 20 TWh le volume d’ARENH pour 2022, espérant que cela étendrait la limitation des hausses aux tarifs libres. Face à la hausse du prix de l’électricité sur les marchés de gros, la situation est donc différente pour les clients ayant accès aux tarifs régulés de vente et les autres. Mais, dans tous les cas, l’incertitude règne.

 

 

La libéralisation du marché de l’électricité fonctionne bien, tant qu’il n’y a pas de tension sur les marchés. Dans toute l’Europe, l’heure est à l’augmentation des prix et non-plus à des offres alléchantes. ©PP

 

 

La hausse sur les marchés de gros

 

 

Selon RTE, gestionnaire du réseau de distribution d’électricité français, le prix spot de l’électricité, c’est-à-dire celui établi par le marché de l’électricité sur les bourses EPEX Spot et Nord Pool Spot, le jour J pour le lendemain, atteignait pour le lundi 29 août, au plus bas, 516,62 €/MWh pour une livraison à 4 heures du matin et, au plus haut, 871 €/MWh pour une livraison à 19 heures.

 

Un an avant, le 29 août 2021, le prix spot le plus bas atteignait 35,74 €/MWh pour une livraison à 16 heures, tandis que le prix spot le plus haut ne dépassait pas 101,66 €/MWh pour une livraison à 20 heures. En un an, pour la journée du 29 août, le prix spot le plus bas a donc augmenté de 1445%, tandis que le prix spot le plus haut croissait de 856%.

 

Des chiffres encore plus élevés ont été annoncés, mais ils portent sur des livraisons à terme, des "futures" comme disent les spécialistes. Par exemple, vendredi 26 août, pour une livraison en 2023 en France, le prix dépasse 1000 €/MWh. L’an dernier, le prix pour une livraison à un an ne dépassait pas 85 €/MWh.

 

De manière plus alarmante, le prix de gros pour une livraison en décembre 2022 atteint déjà 1600 €/MWh, selon Ouest France, qui ne cite pas sa source.

 

 

En période de hausse continuelle des prix de gros, suivre les consommations et les appels de puissance devient absolument nécessaire pour les clients qui sont en offres de marché. ©PP

 

 

Pourquoi les prix montent ?

 

 

En Europe, l’échange d’électricité est un marché libre. Il obéit bêtement à la loi de l’offre et de la demande. Côté demande, la croissance stagne, mais pourrait reprendre : la bascule de l’économie vers l’électricité pour décarboner et protéger l’environnement laisse augurer une augmentation des consommations d’électricité à moyen et long terme.

 

En France, la demande d’électricité a triplé de 1973 à 2010, depuis elle s’est stabilisée. Selon EDF, la consommation d’électricité a même baissé de 0,5% en 2019 par rapport à 2018, atteignant 473 TWh. Pour la journée du lundi 29 août 2022, RTE prévoit que la France appellera au maximum une puissance de 53 000 MW vers 13 heures.

 

Côté offre, en revanche, la baisse est relativement importante et tout un ensemble de facteurs pèsent sur la production. La sécheresse à travers l’Europe, pour commencer, a mis à mal la production hydraulique. La Norvège, gros exportateur d’électricité d’origine hydraulique, notamment vers l’Allemagne, a décidé de ne plus exporter à partir du 1er octobre et de conserver sa production pour ses propres usages. Les barrages dans toute l’Europe sont à sec.

 

La sécheresse et la canicule pèsent également sur la production nucléaire. Le refroidissement des centrales requiert énormément d’eau : le débit des fleuves, notamment de la Loire ayant fortement baissé, les centrales en fonctionnement sont contraintes de réduire leur puissance, faute de débit d’eau suffisant, même après dérogation pour augmenter la température de leurs rejets d’eau dans les fleuves.

 

En France, seulement 24 des 56 réacteurs nucléaires sont en fonctionnement, pas tous à puissance nominale. Les raisons sont connues : opérations de maintenance, corrosion, vieillissement, etc. Le 24 août, EDF a annoncé la prolongation de l’arrêt de quatre réacteurs nucléaires de plusieurs semaine cet automne Cattenom 1, dont la remise en fonctionnement est désormais prévue pour le 1er novembre, Cattenom 3 (11 décembre), Cattenom 4 (14 novembre) et Penly 1 (23 janvier 2023).

 

Pour la journée du 29 août 2022, RTE prévoit qu’à partir de 12 heures, la France sera importatrice nette, important jusqu’à 11 558 MW de puissance. La France, traditionnellement principal exportateur d’électricité en Europe, a été dépassée par la Suède. La forte réduction des possibilités d’exportation d’électricité françaises devient un problème pour l’Europe.

 

L’Allemagne voit ses possibilités de production réduites par le ralentissement du débit du gaz russe qui lui parvient : le gazoduc Nordstream 1 fonctionne toujours à 20% de sa capacité nominale. Il est parfaitement possible que cet approvisionnement soit entièrement coupé par la Russie pour faire pression sur l’Union Européenne dans le cadre de sa guerre contre l’Ukraine.

 

 

 

Augmenter la résilience de la production d’électricité passe par sa décentralisation, encore faut-il que les réseaux basse tension le permettent. ©PP

 

 

Augmenter la résilience passe également par le développement du stockage d’électricité. Le prix des solutions de stockage en batterie pour des consommateurs domestiques et tertiaires ne cesse de baisser. C’est le moment de s’y intéresser de plus près. ©PP

 

 

Augmenter la résilience de la production d’électricité

 

 

Bref, la demande stagne, mais l’offre baisse, donc les prix montent. Thomson Reuters, dans une note publiée lundi 29 août estime quand même que l’envolée des prix de gros est exagérée, peut-être causée par l’augmentation de leur couverture par certains très gros consommateurs en Europe, voire par l’anticipation d’une totale coupure du gaz russe.

 

Quoi qu’il en soit, plusieurs des raisons de la baisse de la production sont là pour durer : les problèmes du parc nucléaire français, les sécheresses qui pourraient devenir récurrentes, la baisse des approvisionnements en gaz russe, …

 

Il faut changer de modèle et augmenter la résilience de la production d’électricité. Plusieurs moyens sont pointés par divers experts, mais aucun ne porte sur le court terme. Enerplan et le SER plaident pour le développement de la production d’électricité décentralisée et une facilitation de l’autoconsommation. La loi sur le développement des ENR en préparation ne mentionne même pas l’autoconsommation, en l’état actuel du texte.

 

Ensuite, il faut développer le couple ENR et stockage d’électricité. Le stockage pouvant prendre toutes sortes de formes : batteries, remplir les barrages, transformer l’électricité en hydrogène, stocker l’hydrogène puis s’en servir pour produire de l’électricité à nouveau, etc.

 

Ensuite le développement du parc nucléaire est certainement souhaitable. Mais sans doute pas avec de gigantesques EPR, dont la filière a prouvé qu’elle a du mal à les construire et dont la résilience en période de sécheresse a été remise en cause cet été. Il est cruel de le rappeler, mais l’EPR de Flamanville est en construction depuis 2017, son coût a explosé, son raccordement au réseau n’est encore prévu avec certitude.

 

C’est sans doute le moment de s’intéresser davantage aux SMR : Small Modular Reactors, petits réacteurs modulaires. Plusieurs pays et une douzaine d’entreprises en développent dans le monde. En France, un consortium rassemblant le CEA, EDF, Naval Group et TechnicAtome développe des réacteurs à eau pressurisée d’une puissance de 170 MW électriques seulement, bien loin des 1650 MW de l’EPR en construction à Flamanville. Le plan de relance présenté en 2021 prévoit un investissement de 1 Md€ dans le développement des SMR en France.

 

Naturellement, il faudra résoudre le problème des déchets nucléaires et, encore plus urgent, du vieillissement et de la saturation des installations de retraitement et de stockage françaises.

 

 

A court terme, l’incertitude règne

 

 

Pour les clients qui ont accès au tarif régulé de vente de l’électricité, le Gouvernement prévoit premièrement d’augmenter ces tarifs. Mais nous ignorons encore de combien et quand. Deuxièmement, il prévoit d’abandonner le système du bouclier tarifaire indifférencié au profit d’une aide ciblée sur les plus ménages les plus vulnérables. A nouveau, comment et quand ? De plus, tout le discours politique porte sur les ménages, oubliant totalement les petites entreprises qui utilisent les tarifs régulés de vente. Comment seront-elles traitées ?

 

Quand aux clients qui n’ont plus accès aux tarifs régulés, les plus gros négocient pied à pied avec les fournisseurs possibles. Les autres, ceux qui ont des abonnements entre 36 et 250 kVA font leur marché parmi les "offres de marché". Le géant espagnol Iberdrola a envoyé en août une lettre à environ 10 000 de ses clients français, ayant souscrit auprès de lui une offre de marché, et les prévenant que leur contrat serait résilié une fois arrivé à échéance, afin d’éviter des hausses importantes en cas de renouvellement automatique.

 

Iberdrola invite même ses clients à se tourner vers des offres régulées. Leclerc Energies a déjà renoncé à prendre de nouveaux clients, a arrêté son activité depuis le 31 mars 2022 et a engagé ses clients à se tourner vers d’autres fournisseurs afin de ne pas subir d’interruption de fourniture. Leclerc Energies proposait en effet le pire contrat possible en période de hausse : un contrat à prix coûtant, dont le prix du kWh HT est indexé sur la bourse EpexSpot : le prix HT change tous les jours. Le client suit sa consommation en temps réel grâce à son compteur Linky, mais Leclerc Energies ne proposait pas de facture de régulation. En période d’augmentation continue des prix de gros, ce n’est pas une bonne formule.

 

Bulb a également arrêté son activité en France et transféré tous ses clients vers une offre Tarif Bleu régulée chez EDF depuis le 20 janvier 2022. D’autres fournisseurs qui ne possèdent pas de moyens de production propres et achètent sur le marché de gros sont sans doute menaçés également.

 

En attendant, quelles sont les possibilités entre 36 et 250 kVA pour des entreprises. En utilisant le comparateur géré par le Médiateur de l’Energie, on trouve pour une adresse dans le 20ème arrondissement de Paris, 36 fournisseurs d’électricité en offre de marché, allant d’ALPIQ à Vattenfall, en passant par UranSolar Energy, …

 

Côté offres, pour une puissance de 36 kVA (le site ne permet pas de rechercher davantage, semble-t-il), une consommation de 126 000 kWh et une durée de 12 mois, les offres mises en avant par le comparateur vont de 16 873 € HT pour l'année avec le contrat flexible d’EDF Entreprises à 100 231 € HT avec le contrat Horizon Electricité C5 de TotalEnergies, sans tenir compte des ristournes de bienvenue la première année.

 

La première offre d’EDF Entreprise affiche un coût du kWh HT à 0,1217 € garanti 12 mois. Tandis que l’offre de TotalEnergies porte le coût du kWh à 0,5235 € HT, garanti 24 mois. Ces offres, souligne le comparateur sont valables au moment où elles ont été demandées : le lundi 29 août vers 11 heures et changent éventuellement d’heure en heure.

 



Source : batirama.com / Pascal Poggi

L'auteur de cet article

photo auteur Pascal Poggi
Pascal Poggi, né en octobre 1956, est un ancien élève de l’ESSEC. Il a commencé sa carrière en vendant du gaz et de l’électricité dans un centre Edf-Gdf dans le sud de l’Île-de-France, a travaillé au marketing de Gaz de France, et a géré quelques années une entreprise de communication technique. Depuis trente ans, il écrit des articles dans la presse technique bâtiment. Il traite de tout le bâtiment, en construction neuve comme en rénovation, depuis les fondations jusqu’à la couverture, avec une prédilection pour les technologies de chauffage, de ventilation, de climatisation, les façades et les ouvrants, les protocoles de communication utilisés dans le bâtiment pour le pilotage des équipements – les nouveaux Matter et Thread, par exemple – et pour la production d’électricité photovoltaïque sur site.
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