RE2020 : tous, ou presque, contre l’ACV dynamique

RE2020 : tous, ou presque, contre l’ACV dynamique

Le CSCEE a rendu son avis sur la RE2020. Il préconise un léger décalage de l’application et propose une expérimentation de l’ACV dynamique seulement dans le cadre d’un label volontaire.




Le 26 janvier, le CSCEE (Conseil Supérieur de la Construction et de l’Efficacité Energétique) a rendu, non sans mal, son avis sur la RE2020, comme le prévoit la loi. Cet avis a été obtenu de justesse, avec 13 votes pour, 11 contre et deux abstentions. Que dit-il ?

 

Le CSCEE se félicite tout d’abord du caractère progressif de la mise en œuvre de la RE2020, avec un calendrier de renforcement des exigences courant jusqu’en 2030. Il fait aussi remarquer qu’il n’a été saisi que de la partie logement de la RE2020 – maisons individuelles et logements collectifs – et qu’il devra être saisi à nouveau lorsque les textes portant sur le tertiaire seront prêts.

 

Un accord prudent

 

« Le Conseil salue l’ambition environnementale des projets de texte, reconnait l’importance de sa cohérence avec la stratégie nationale bas carbone du gouvernement et adhère aux objectifs poursuivis en termes de transition énergétique et climatique. Il se félicite de la prise en compte de l’impact des bâtiments sur le climat et des efforts sur la sobriété énergétique qui placent la réglementation et la filière française de la construction en pointe sur ces aspects aux niveaux européen et même mondial ».

 

Ensuite, « le Conseil demande à ce que la date d’entrée en vigueur de la réglementation soit décalée au 1er janvier 2022 – soit environ 8 mois après la publication prévisionnelle des textes – tout en permettant aux professionnels et aux particuliers qui le souhaiteraient d’appliquer par anticipation la future réglementation ».

 

« Le Conseil salue le principe de progressivité des exigences qui apparaît comme une innovation réglementaire intéressante qui donne un cadre de long-terme clair et permet à la filière construction d’anticiper les futures échéances réglementaires ».

 

« Face aux incertitudes par rapport aux évolutions à venir et notamment à la soutenabilité des échéances futures, le Conseil demande à ce que l’Etat s’engage à mettre en place un temps d’évaluation et de concertation en amont des prochaines échéances afin d’en réexaminer la pertinence et de revoir si nécessaire certains des choix méthodologiques et de niveaux d’exigence. Afin de faciliter ce travail et construire un retour d’expérience partagé, le Conseil appelle à poursuivre la mise en place d’un observatoire de la performance énergétique et environnementale des bâtiments neufs. »

 

 

 

« Le CSCEE note que les exigences, même progressives, des projets de texte amèneront à une augmentation des coûts de la construction, pouvant se cumuler à d’autres dispositions réglementaires mises en place récemment ou qui s’ajouteront à la RE2020. Il demande donc à ce que des mesures d’accompagnement de la nouvelle réglementation soient prévues par les pouvoirs publics pour aider les entreprises et les artisans à s’approprier la nouvelle réglementation afin de soutenir l’activité dans une période de reprise difficile. » ©PP

 

Les membres du CSCEE proposent 13 amendements

 

Les membres du CSCEE ont proposé une liste de 13 amendements qui accompagne l’avis du Conseil. Voici les principaux :

 

  •  « Revenir à l'ACV normée (comme pour l'expérimentation E+C-) et ajouter une exigence de stockage temporaire [de carbone] dans la réglementation. Introduire l'ACV dynamique dans le futur label et réfléchir à l'intégration de ce choix méthodologique lors de la prochaine échéance de la réglementation. Ne pas modifier l'ambition des seuils proposés. »

 

  • Toujours pour le calcul de la charge carbone, « Exclure le lot infrastructure de l'exigence ou a minima revoir la modulation ».

 

  • « Conserver une exigence générale sur Bbio à -30% par rapport à la RT2012 mais évaluer les cas particuliers pour lesquels cette exigence s'avérerait trop forte et modifier les modulations en conséquence, en particulier pour les petits bâtiments collectifs ».

 

  • Pour le calcul de l’indice IC-énergie : « Laisser plus de temps pour atteindre les objectifs fixés par le gouvernement. Pour les Maisons invidividuelles : 280-320 kgCO2/m2 à partir de 2021, 160 kgCO2/m2 à partir de 2024. Pour les Logements collectifs : 560 kgCO2/m2 à partir de 2021, 400 kgCO2/m2 à partir de 2024, 240 kgCO2/m2 à partir de 2027 ».

 

  • Sauver le gaz en construction neuve : « Donner une place au biogaz dans la réglementation afin que cette source d'énergie puisse être utilisée dans les bâtiments neufs, comme proposé par le dispositif Méthaneuf ».

 

  • A propos du confort d’été : « Au vu du poids carbone de certains leviers d'amélioration du confort d'été, mettre en place une modulation sur Ic-composants dans les zones H2c, H2d et H3. »

 

  • Un zeste de régulation : « Compléter la méthode pour valoriser les dispositifs de contrôle et d'automatisme du bâtiment ».

 

  • Et une bonne dose de formation : « La mise en œuvre performante de la RE2020 implique la formation de tous les personnels concernés. Le gouvernement doit s’engager à mettre en œuvre les programmes de formation nécessaires, d’une part pour la compréhension globale des enjeux techniques de la RE2020, d’autre part les formations « métier » spécifiques, notamment à destination des jeunes et des demandeurs d’emploi, dans un calendrier compatible avec l'entrée en vigueur ».

 

Voici les souhaits des membres du CSCEE. Le gouvernement doit maintenant trancher. Ce qui pourrait bien ne pas intervenir avant fin mars.

 

 

 

Parmi les amendements proposés par les membres du CSCEE, figure celui-ci : « Compléter la méthode pour valoriser les dispositifs de contrôle et d'automatisme du bâtiment ». ©PP

 

De nombreuses réactions

 

De nombreuses organisations ont réagi, individuellement ou par groupe, à la publication de l’avis du CSCEE. Par exemple, l’AICVF, l’AIMCC, CLER, Effinergie, Enerplan, la FNE, l’Ordre des Architectes, aussitôt rejoints par Cinov et Syntec, ont signé un courrier commun destiné à Barbara Pompili, Ministre de la Transition Energétique, lui enjoignant, en gros, de rester ferme face aux objections.

 

Cette missive soutient les grandes lignes de la RE2020. Ces 9 organisations mettent en garde en revanche contre un affaiblissement des exigences et demandent que le texte soit publié dès l’été 2021.

 

Comme beaucoup d’autres, ces 9 organisations ont été surprises par l’introduction – non-concertée – de l’ACV dynamique [qui donne plus de poids à la charge carbone lors de la construction du bâtiment, plutôt que durant sa vie en œuvre]. Elles soulignent que cette méthode n’était pas du tout présente dans l’expérimentation E+C- et proposent, dans un premier temps, de confiner son application au Label qui devrait accompagner la RE2020 à l’automne.

 

Bbio -30 % : pas si irréaliste que ça, selon les 9 signataires d'une missive à la ministre

 

Enfin, les signataires indiquent comprendre le souhait du gouvernement d’intégrer plus de bois et de matériaux biosourcés en construction neuve. En revanche, contrairement à l’un des amendements proposés par des membres du CSCEE, ils estiment à propos de l’exigence de Bbio-30% par rapport à la RT2012, que de « récentes études, menées avec la dernière version du moteur de calcul, montrent que cette ambition est atteignable avec les solutions déjà présentes sur le marché et sans surcoût significatif ». Sauf peut-être dans le cas des petits immeubles de logements collectifs - > 1000 m² - pour lesquels cette « ambition pourrait être réévaluée ».

 

Les signataires estiment que « les positions jugeant ce niveau [Bbio-30%] irréaliste et engendrant des surcoûts importants se base sur des études utilisant une version précédente du moteur de calcul qui surestimait les besoins de froid. Ces études et ces arguments sont donc désormais obsolètes », concluent-ils.

 

Pour éviter le recours massif à l’effet Joule, disent-ils, mais aussi « l’ouverture laissée à des solutions bas de gamme dont la fabrication n’est pas réalisée en Europe [vraisemblablement, la climatisation réversible par détente directe], les signataires recommandent la mise en place d’une « incitation » à la mise en place d’une boucle à eau chaude dans les logements. Ce qui, ajoutent-il permettrait à de nombreuses solutions actuelles et à venir de trouver leurs places.

 

 

 

La mise en place d’une boucle à eau chaude, plutôt que de la détente directe bas de gamme, peut chère et fabriquée en Asie, permettrait de ne pas insulter l’avenir et redorerait le blason de maintes solutions à base d’ENR. ©PP

 

Les résaux de chaleur doivent être réhabilités par la RE 2020

 

Ils pointent aussi une incohérence. Telle qu’elle est paramétrée aujourd’hui, la RE2020 pénalise les réseaux de chaleur, même verdis, qui peinent à atteindre les valeurs de l’indicateur Ic-energie. Ce qui empêchera le raccordement de bâtiments neufs à des réseaux de chaleur existants. Pourtant, la politique officielle du gouvernement consiste à encourager le développement des réseaux de chaleur et de froid. Un petit ajustement de paramètres semble judicieux, en l’occurrence.

 

Comme l’avis officiel du CSCEE, les 9 signataires demandent une prise en compte du biogaz. Ce qui encouragerait un verdissement progressif du gaz distribué en réseau. Ils demandent aussi que les bâtiments neufs soient équipés de manière à pouvoir facilement recevoir des panneaux photovoltaïques. Ils souhaitent aussi que les débits de ventilation soient vérifiés lors du commissionnement des logements. Et que les études de conception des bâtiments soient correctement menées et vérifiées.

 

L’IFPEB tord le cou à l’idée de surcoûts importants nés de l’application de la RE2020

 

De son côté, l’IFPEB (Institut Français de la Performance Energétique des Bâtiments) a mené un « stress test » de la future RE2020 en l’appliquant à 277 bâtiments collectifs labelisés E+C-. Ses conclusions sont simples : l’ACV dynamique, s’il donne un avantage au bois et au biosourcé, ne modifie pas vraiment la hiérarchie des systèmes constructifs du point de vue de leur charge carbone.

 

En effet, remarque Christophe Rodriguez au nom de l’IFPEB, « l’expérimentation E+C-, véritable « entraînement » à la RE2020, a permis ces dernières années à tous les acteurs "d’apprendre" une ACV statique, qui additionne toutes les émissions sur 50 ans sans aucune pondération. La plupart des matériaux émettent environ 70% de leurs émissions dans leur phase de fabrication/mise en œuvre, donc ayons à l’esprit que l’ACV dynamique … modifie l’ensemble des impacts carbone de tous les matériaux, sans changer leur hiérarchie. Les bons élèves restent bons et les moins bons ne doublent personne. Néanmoins soyons clairs, dit-il, il donne un coup de pouce à ceux qui stockent ».

 

 

 

Le bois n’a pas attendu l’ACV dynamique pour être plus performant que le béton, du point de vue de sa charge carbone. Mais l’ACV dynamique renforce son avantage. Prenant un exemple, Christophe Rodriguez explique que « le différentiel entre une construction avec structure bois CLT et structure béton passe de -10% en ACV statique à -30% en ACV dynamique, donc un coup de pouce pour le bois pouvant aller jusqu’à 20% ».  ©laisne-rousse, Francois Leclercq, Virgin Lemon

 

A propos du Bbio-30%, l’IFPEB explique que sur les 277 bâtiments passés au moulinet RE2020,

 

  • 65% respectaient l’objectif Bbio-30%, sans effort particulier ni surcoût,
  • 25% des opérations se situent à Bbio-20% et peuvent atteindre l’objectif RE2020 avec de très faibles ou de faibles surcoûts,
  • 10 % des bâtiments examinés feront face à un surcoût « non-négligeable » pour atteindre Bbio-30%.

 

En ce qui concerne les consommations d’énergie primaire, telles que les traduit le coefficient Cep dans la RE2020, 80% des 277 bâtiments examinés respectent déjà les objectifs de la RE2020. Les 20% restants peuvent les atteindre avec des surcoûts variables. De même, 74% des opérations analysées respectent l’objectif de l’impact carbone des consommations d’énergie (indicateur Ic-énergie). Tandis que 60% des opérations alimentées en gaz respectent le premier seuil envisagé pour 2021 dans la RE2020 et 98% des opérations en chauffage électrique, par pompe à chaleur ou par effet Joule, respectent le premier seuil RE2020.

 

Il ne reste plus qu’à attendre la publication des textes officiels de la RE2020 sur la partie logement pour examiner leur portée réelle.

 

 

 

A la faveur des textes sur le tertiaire, nombre de nouvelles réactions apparaîtront certainement. ©PP



Source : batirama.com / Pascal Poggi

L'auteur de cet article

photo auteur Pascal Poggi
Pascal Poggi, né en octobre 1956, est un ancien élève de l’ESSEC. Il a commencé sa carrière en vendant du gaz et de l’électricité dans un centre Edf-Gdf dans le sud de l’Île-de-France, a travaillé au marketing de Gaz de France, et a géré quelques années une entreprise de communication technique. Depuis trente ans, il écrit des articles dans la presse technique bâtiment. Il traite de tout le bâtiment, en construction neuve comme en rénovation, depuis les fondations jusqu’à la couverture, avec une prédilection pour les technologies de chauffage, de ventilation, de climatisation, les façades et les ouvrants, les protocoles de communication utilisés dans le bâtiment pour le pilotage des équipements – les nouveaux Matter et Thread, par exemple – et pour la production d’électricité photovoltaïque sur site.
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