Pour la salle des fêtes de Mazan, il y a près de 15 ans, l’agence DE-SO secondée par la scop Gaujard Technologies joue la carte locale. La structure en bois sera sourcée à proximité, autour du mont Ventoux, quitte à utiliser des essences rarement employées pour la construction. En façade, l’isolation en paille doit recevoir un enduit plâtre en provenance de l’immense carrière voisine. Pourtant, Lafarge Plâtres déclare forfait.
Il y a cinquante ans, Lambert Industries révolutionnait l’enduisage traditionnel avec son enduit monocouche de projection Lutèce-Projext. Les sinistres ont été si nombreux et onéreux que l’usage d’enduits en plâtre à l’extérieur est devenu tabou. Pour autant, dans le cas de Mazan, Marc Potin de Plâtres Vieujot vole au secours de ce chantier et explique à l’époque que le mode de fabrication des solutions Vieujot à base de plâtre permet de proposer une solution pérenne. D’ailleurs, tout Paris n’était-il pas enduit de plâtre en façade, pendant des siècles ?

Pop up de la solution façade qui permet d'apprécier l'aspect final de l'enduit plâtre dans ce cas précis © Jonas Tophoven
La salle des fêtes de la Boiserie est saluée et récompensée, marquant en France le début d’une nouvelle ère de la construction bois. Mais l’option de l’enduit plâtre ne connaît guère de suite. Tout juste Marc Potin obtient-il que l’enduit plâtre soit considéré comme une option de l’enduisage extérieur sur paille, au même titre que les enduits chaux-sable ou les enduits en terre. L’enduit extérieur en plâtre n’est pas intégré aux trois premières éditions des Règles professionnelles de la construction paille. Parmi ceux qui les rédigent, Noé Solsona, dont l’entreprise d’enduisage se dénomme à bon escient Calyclay (clay comme argile), admet avoir résisté depuis Mazan aux arguments de Marc Potin.
Pour les puristes, l’option chaux + sable, courante en enduit extérieur, a précisément le défaut des matières (émissives ou rares), auquel s’ajoute une mise en œuvre complexe par la multiplication d’intervalles entre l’application du gobetis et la couche de finition. L’alternative est l’enduit à base de terre et surtout le recours à la terre du site quand elle est utilisable. Pour autant, Plâtres Vieujot a eu le temps de mettre au point une solution industrielle, le Renformi, associant du plâtre a une petite quantité de chaux pour la malléabilité, et très peu de sable. Les essais de résistance au feu, sur parois en paille, sont aussi concluants que pour les deux autres options. Après quinze ans de résistance, Noé Solsona se laisse convaincre par une alternative également économique.

Sacs de Renformi de Plâtres Vieujot, su rle chantier. Ces sacs continennet un mélange, très peu de sable, un peu de chaux pour la malléabilité et pour ses vertus anti-fongiques. Potentiellement, la solution Renformi est économique pour le coût matière, et pour le temps de mise en oeuvre. © Jonas Tophoven
Parallèlement, l’ADEME finance un programme de recherche qui permet non seulement d’affiner l’option de l’enduit extérieur plâtre, mais aussi d’avancer vers un enduisage hors site (corps d’enduit). Au second congrès de la construction paille, à Paris en janvier 2025, Néo Solsona retrouve l’architecte Corentin Desmichelle et lui propose d’intégrer ce type de prescription pour un chantier paille futur. Corentin Desmichelle, qui suit la construction paille depuis toujours, propose une médiathèque en projet pour 2026, puis se ravise afin de gagner du temps, et valide le recours à l’enduit plâtre sur son projet avancé de médiathèque à Ingré.
En périphérie d’Orléans, la banlieue pavillonnaire d’Ingré dispose d’une salle de spectacle exigüe en retrait de la route d’Orléans. Naît alors le projet de réhabiliter la salle, et de la flanquer côté rue d’une média-ludothèque : le Carré des Arts. Le concours met en lice les agences AAVP, Associer et l’Atelier Desmichelle, trois agences fortement axées vers les matériaux biogéosourcés et une nouvelle architecture climatique.
Atelier Desmichelle l’emporte avec un projet sage de deux longères perpendiculaires à la route, raccordées par un espace central discret (toiture végétalisée) mais majestueux de l’intérieur, flanqué de deux ailes en longères qui exhibent de belles fermes ciseaux.

Paroi avant enduisage. Les enduiseurs ont égalisé la paille en laissant en place les ficelles ajoutées par le charpentier Cogecem par endroits. Les poteaux sont pouvus d'un nergalto, les baies protégées, le pare-pluie retiré. © Jonas Tophoven
L’isolation extérieure est en paille, une habitude pour l’agence et une évidence à deux pas de la Beauce. Côté vernaculaire, l’un des atouts du projet est sa façade en pierre claire de Tercé, finalement trop onéreuse pour habiller tout le bâtiment. La clarté du corps d’enduit prolonge bien la pierre, mais l’enduit de finition sera volontairement plus foncé, marquant le travail manuel par son irrégularité affichée.
Le chantier de Calyclay aborde sa troisième semaine et permet déjà de dégager quelques enseignements sur le maniement particulier de cet enduit. Même si l’option plâtre est actuellement analysée en laboratoire parmi d’autres, en association avec la paille, rien ne vaut un chantier réel, et celui d’Ingré offre une surface développée importante. Plus que le bilan carbone comparatif avec la chaux, l’option plâtre séduit par :
– son aspect,
– une facilité d’application du corps d’enduit (au début),
– et l’absence de délais de prise qui allongent, complexifient et renchérissent les chantiers paille.

Belles fermes ciseaux imaginées par l'Atelier Desmichelle, tout à fait dans les compétences du charpentier Cogecem. © Jonas Tophoven
Psychologiquement, le spectre du Projext fait face à un intérêt pour marier un matériau biosourcé et un matériau géosourcé qui est connoté protecteur contre l’incendie. Pour la filière paille, l’enjeu est important, car cette solution globale peut gagner en compétitivité et banaliser l’enduit extérieur en complément ou alternative aux bardages. Mais le risque de sinistres engendrés par une application inconsidérée est grand et le RFCP, Réseau français de la construction paille, ne veut pas que tout le travail de qualification engagé depuis vingt ans ne s’écroule comme un château de cartes à la faveur d'erreurs qui ferait rejaillir les craintes du Projext.

Calyclay, l'enduit de demain. Une équipe jeune et mixte, joyeuse, des chantiers parfaitement préparés et une logistique subtile de petite remorque, avec en plus du ressort pour s'adapter vite aux contraintes particulières de ce nouvel enduit. © Jonas Tophoven
La construction biosourcé
Douze ans après la Boiserie de Mazan, la nouvelle médiathèque d’Ingré en banlieue d’Orléans adopte une solution technique qui préfigure la 4e édition des règles professionnelles de la construction paille.