Des charpentiers allemands décomplexés

Les charpentiers allemands en tenue devant Notre-Dame qu'ils auraient aimé escalader. © Jonas Tophoven

En voyage d’études à Paris pour la cathédrale Notre-Dame, les charpentiers de Holzbau Deutschland mettent en lumière une profession qui allie tradition et modernité avec réussite et bonne humeur.




En Allemagne, le métier de charpentier n’a pas vécu l’abolition des privilèges de la Nuit du 4 août 1789, mais tout de même l’occupation soviétique des régions de l’Est qui a déconnecté la plupart de ses entreprises de charpente de la tradition. Les charpentiers de l’Est deviennent membre de fait de la chambre des métiers, mais n’adhèrent guère aux corporations (Innung) et ainsi, ne participent pas à l’organisation faîtière du Zentralverband des Deutschen Baugewerbes (ZDB).

 

 

 

Le hors-site à l’Allemande

Il n’y a pas comme en France une répartition des charpentiers entre l’UMB-FFB, la CAPEB, l’UICB, les différentes organisations compagnonniques, mais il y a tout de même l’affrontement entre l’organisation faîtière des charpentiers au sein du ZDB et le BDF qui rassemble le groupe puissant du Fertigbau, de la construction de maisons individuelles préfabriquées, notamment. Les deux revendiquent le même nombre de constructions en bois, d’autant plus que le Fertigbau allemand est surtout développé avec ce matériau (mais pas que !).

 

Les charpentiers allemands chez les Compagnons (du Devoir) français dont ils respectent la formation. © JT

 

 

Le Fertigbau souffre actuellement de sa trop forte spécialisation dans la maison individuelle alors que les terrains manquent. Il s’agit d’un petit groupe de moins de cent sociétés pour toute l’Allemagne, dont quelques entreprises gérées par du capital-risque international, face à plusieurs milliers de charpentiers corporatistes. Mais dans les deux cas, l’épicentre se situe dans le sud de l’Allemagne, disons dans le Bade Wurtemberg pour le BDF et en Bavière pour la charpente.

 

 

 

Le fossé du Rhin

La présence d’Ossabois sur le marché allemand pour un projet de centre de loisir a été tout aussi épisodique que celle des Amann ou Hess Timber en France pour le Centre Pompidou de Metz ou la Seine Musicale.

Le modèle de préfabrication BDF poussé à ses extrémités par des acteurs comme Weber et Schwörer n’a jamais réussi à s’exporter où à bâtir en France, le syndicat français Afcobois à l’époque les en a bien dissuadé. En face, un charpentier de la Schwartzwald avoue qu’il ne s’aventure plus de l’autre côté du Rhin, tant les normes d’isolation ont décroché, on ne fait plus du tout le même métier. Les charpentiers allemands gèrent une organisation européenne, Timber Construction Europe, qui vivote un peu et ne parvient pas à attirer un référent français. Il existe cependant des liens via le compagnonnage, notamment international.

L’un des participants au voyage d’études parisien du 1 au 3 juillet 2025 retrouve à la Maison des Compagnons un formateur qui a travaillé chez lui, comme plus de quarante autres Français depuis 30 ans, et le charpentier allemand avoue que tous arrivaient chez lui très bien formés, tandis que le formateur français est plein de louanges pour la qualité de formation actuelle du Centre de Biberach, apparemment exceptionnel en Allemagne où il va volontiers avec ses apprentis. Les Compagnons disposaient d’une maison à Cologne, qui facilitait les échanges. Elle n’existe plus mais les interactions tendent à se redéployer, notamment par l’implication de Lison Tinguely-Hezard, l’une des six charpentières des Compagnons du Devoir (10 en formation, 5,2 % en formation en Allemagne), chargée de la formation, et qui a guidé les charpentiers allemands dans la "maison" de l’Hôtel de Ville.

 

Marco Maxit explique la plus grande construction bois (mixte) parisienne du moment, la Tour Commune lauréate du concours AdivBois en 2017 et modifiée malgré WOA vers plus de béton et moins de bois. © DR

 

 

 

 

Accueil en fanfare

Les charpentiers allemands venus à Paris gagnent bien leur vie, mais dormir au magnifique Hilton-La Villette est un peu cher en cette saison de tourisme et de congrès. Ils logent près de la gare de l’Est, et un petit séminaire d’accueil est programmé à la Maison de l’Architecture des Récollets, tout proche, en guise de comité d’accueil. Au dernier moment, plus de salle car la canicule frappe, il faut louer cher une salle à l’hôtel et le gros du groupe, retardé par le train, n’arrive que trois heures trop tard.

Le séminaire avec la comparaison des chiffres du marché, la présentation du Sylvatest (Hilton La Villette et Notre-Dame), Wall Up Préfa comme initiative avec des charpentiers franciliens et l’opération de promotion de la charpente en bois en amont de la décision de reconstruction de Notre-Dame, en 2019, avec Arthur Cordelier, se fait en petit comité.

 

 

 

 

Programme  

Les températures parisiennes extrêmes du 1er juillet n’entament pas la bonne humeur de ce groupe qui fera son ban de charpentier sur les bords du canal de l’Ourcq. Le lendemain, même entrain, même s’ils auraient tous préféré monter sous la charpente de Notre-Dame plutôt que de descendre dans la crypte archéologique. Final le 3 avec la rencontre de Marco Maxit de WOA Architecture devant la Tour Commune finalisant enfin la ZAC Bruneseau, avant de monter au fameux 8e étage de la tour Wood Up’ et un panorama final sur Paris.

 

La Tour Commune a rejoint la marque de 50 mètres de ses voisines Le Berlier et Wood Up'. © Jonas Tophoven

 

 

 

Ici c’est Paris

Ils veulent revenir bientôt, quand le beffroi sud de la cathédrale sera ouvert au public (septembre) et que l’on pourra alors contempler la nouvelle charpente par une fenêtre. En fait, ce fut une erreur de reconstruire la cathédrale à la franchouille, mais ce fut pareil avec les installations olympiques et cela n’a gêné personne dans ce pays. De toute façon, les ponts avec les charpentiers allemands sont coupés. On ne se rend même pas compte à quel point les deux marchés sont proches.

 

 

 

Des marchés comparables

Les deux marchés français et allemands de la charpente version 2025 ne sont pas si éloignés qu’on le pense. Deux gros marchés européens en volume, même si les indices ne sont pas comparables : 20 000 logements et 2,5 millions de m2 non résidentiels en France, selon l’enquête réalisée cette année par Xerfi ; et en Allemagne, 15 000 logements plus un millier d’immeubles, 5 500 chantiers non résidentiels (volume ?).

Le volume d’affaires des charpentiers allemands sera sans doute supérieur, compte tenu des différences de réglementation. Le CA global est de 10 milliards d’euros en Allemagne, sans doute comparable au CA des activités de charpente en France. Dans une Europe incapable d’appliquer des critères comparables pour disposer d’une image du marché.

Par contre, la part de marché de la construction bois, qui reste à moins de 7 % en France, tranche avec les 22 à 23 % de pdm en Allemagne, à la fois dans le résidentiel et le non résidentiel. Mais un maintien de pdm couplé avec une diminution de volume d’un tiers, comme constaté pour le logement entre 2022 et 2023, ce n’est pas fameux. Dans le non résidentiel, le volume semble plus stable, et la chute en volume se constate plutôt en France (3,5 millions vers 2,5 millions de m2).

 

 

 

Les conséquences des replis nationaux sont lourdes

Les relations entre les charpentiers allemands et français se résument aux compétitions comme le championnat des jeunes charpentiers dont les poules se sont déroulées au Forum Bois Construction de Lille puis la finale à Eurobois à Lyon en 2024, et aux Workskills, où chaque fois les Français font jeu égal avec les Allemands. C’est tout, malgré les efforts entrepris de longue date par Nicole Valkyser du Forum Bois Construction, qui s’est longtemps efforcée d’organiser des voyages au Forum de Garmisch en y associant un parcours de visites d’entreprises en Bavière.

C’est un peu normal que les charpentiers se fassent manger la laine sur le dos par les maçons européens, notamment en termes de calcul de bilan carbone, de protection contre l’incendie. Pas de liens institutionnels, pas de contact, pas de rencontres, pas de langue commune, et pourtant les mêmes fournisseurs, les mêmes normes européennes, les mêmes problèmes de recrutement et de concurrence avec le monde du béton. On apprend d’ailleurs que les charpentiers allemands collaborent avec les maçons dans la perspective du développement d’ouvrages mixtes.

 

 

 

Une hirondelle ne fait pas la canicule

Les charpentiers français, notamment formés par les Compagnons, ont aussi leur ban et leur tenue de travail. Mais ça se fait en cachette. À Paris, le groupe était abordé et photographié par des passants qui remarquaient à quel point ces maîtres charpentiers sont détendus et pittoresques. C’est pas l’uniforme militaire des vieux films… Ils viennent admirer le travail des charpentiers français à Notre-Dame, les quatre tours mixtes de 50 mètres de la ZAC Bruneseau (Wood Up’, Le Berlier, Tour Commune et Tour Watt), le New G, l’université de Chicago, la tour Harari, l’Air du Temps encore empêtré dans son socle en acier. Et surtout renifler le bon air de Paris qui va si bien à des gens heureux.

Au moins, ils reviennent avec des idées sur l’emploi du Sylvatest dans la perspective du réemploi du bois, et du béton de chanvre préfabriqué associé au bois. On aurait pu leur montrer encore plus d’un tour :

– la construction de voûtes à la Philibert Delorme en chêne déclassé ;

– L’approche préfabriquée de BAM ;

– La construction en bois-paille de la Ferme du Rail ou de la rue Bertelotte en attendant Chapelle Charbon ;

– Et aussi le toit majestueux du CAO et le Village Olympique.

 

Et eux, gageons qu’ils n’ont pas que des tenues de travail à nous montrer en retour ! L’un livre 150 maisons en bois par an, entre autres, son voisin "seulement" 50 mais réalise également toute une flopée d’ouvrages. Leur équipe rappelle celle des globe-trotteurs du feu Syndicat Afcobois, qui prenaient des photos dans les ateliers de Baufritz alors que c’était expressément défendu. La bande de Dominique Simonin.

Les charpentiers allemands ont promis de revenir. Même à leur âge, ils n’auront pas d’hésitation à monter sur un vélo avec leurs grands chapeaux et ça passera au 20h. Mais pour ce qui est de trouver maintenant des alliés de poids contre le détricotage de la RE2020, l’encoffrement total imposé par les pompiers et le développement puissant, en France, d’une nouvelle architecture climatique, ce sera malheureusement trop tard.


Source : batirama.com / Jonas Tophoven / © Jonas Tophoven

L'auteur de cet article

photo auteur Jonas TOPHOVEN
Jonas Tophoven est journaliste de la presse professionnelle de la construction et du bois en France et en Allemagne depuis 30 ans. Le thème qui lui tient particulièrement à cœur est la réduction drastique des émissions de GES dans la construction, première émettrice humaine du monde devant l'agriculture, avec un impact renforcé en France. Il a d'abord travaillé pendant 12 ans sur la construction sèche, puis depuis 15 ans sur la construction bois préfabriquée et il collabore depuis 10 ans à la programmation des quelque 150 conférences annuelles du Forum Bois Construction, congrès des acteurs de la construction biosourcée.
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