On avait finalement compris que dans une ville, si on crée une route on crée un bouchon. Mais on comprend maintenant quelques mécanismes plus subtils : moins de voitures, plus de vélos, plus d’arbres, plus de touristes, d’autant que la pandémie a officialisé les terrasses en bois l’été le long des trottoirs ; donc bien plus d’appartements "partiellement occupés", plus de dépendances d’universités anglo-saxonnes, plus d’étudiants, moins d’enfants, moins d’écoles, moins de services.
Les architectes estoniens et les ingénieurs structure allemands qui ont participé au Parcours Philléas Bastille du 3 mai 2025 – quatre heures à vélo en partant du Marais pour rejoindre la ZAC Bruneseau puis revenir par la Coulée verte – voient surtout les efforts entrepris par la ville de Paris pour réduire le trafic routier, développer le cyclisme, construire en bois. Ils rapportent chez eux une autre image de Paris, plus fraîche, particulièrement séduisante quand on lui associe le Paris historique.
11 Estoniens, 1 Canadiens et 14 Allemands ont participé le 3 mai 2025 au Parcours Philléas Bastille. © JT
Ce sont là des mécanismes involontaires. Il y a aussi les mécanismes volontaires, ceux qu’on classe dans la belle notion d’urbanisme, et qui ne marchent pas. L'Est de l’avenue de France va-t-elle prendre vie, malgré l’INALCO, grâce aux étudiants américains fortunés de l’université de Chicago, partiellement logés dans l’immeuble les Persiennes à côté du campus ? À côté, le New G ou Nudge va-t-il ouvrir enfin ses portes à un café dans la cour, alors que les propriétaires des lieux, loin de suivre les incitations (nudge) des architectes, payent un concierge qui met tout le monde dehors ?
La Tour Commune s'élance et rattrape les autres tours mixtes de l'avenue Bruneseau, Le Berlier et Wood Up. © JT
À quel phénomène subtil ou involontaire la construction bois parisienne prend-elle part ? Si on parle des parcours architecturaux à vélo, ou des effets de l’incendie et de la reconstruction de Notre-Dame, pas du côté de la natalité urbaine. On attend tout de même la crèche Daumesnil par Joly, dont les plans ont été publiés en long et en large il y a longtemps par d’A. Les travaux devaient démarrer l’automne 2024, la première consultation a été infructueuse et si Ekopolis ne se trompe pas en citant la rue Jorge Semprun dans le 12e, on se demande vraiment à quel endroit précis ce signal sera un jour construit : soit un R+5 en bois paille sur socle pierre avec beaucoup d’autres solutions plaisantes, un projet sur lequel se penchent les BE bois type Olivier Gaujard et les pompiers depuis avant la doctrine des pompiers parisiens de 2021.
Les Messageries, en construction, font apparaître leur mixité de béton, d'acier (poutrelles) et de CLT/BLC en bois. © JT
Des crèches pour le 12e passe encore, il y a pas mal de poussettes le week-end au bazar Ground Control rue des Charolais. Le long des voies libérées par la SNCF, on ne peut pas construire que des bureaux bas carbone. Les bureaux Messageries, conçus par l'architecte Franklin Azzi, porte-drapeau de la nouvelle construction tertiaire, inaugurent-t-ils le chapelet de tours de bureaux qui devait se prolonger jusqu’aux tours Duo en montant progressivement en hauteur, ou bien en est-elle le reliquat ? Les élections municipales en donneront la réponse.
Au début de cette mandature, les Verts avaient mis leur véto sur les hautes tours de bureaux à plancher bois côté ZAC Bruneseau et d’ailleurs, qui a encore besoin de bureaux ?
Désormais, on sait que les parcours Philléas à vélo font fi aux orages et à la grêle. © JT
Côté ZAC Rive Gauche, l’affiche annonçant la construction d’une auberge de jeunesse en bois par Kengo Kuma a disparu. À côté, l’Air du temps (DVVD) élève son imposante structure métallique pour répartir les efforts d’un immeuble mixte de belle hauteur, dont le pop up à structure bois se met lentement à grisonner.
Jean Nouvel, porte-parole des architectes et la direction de l’urbanisme de la Ville de Paris, croisaient le fer il y a trente ans en estimant que l’aménagement de cette ZAC au-dessus des voies était une chose trop importante pour être laissée aux mains des ingénieurs. Personne de notable à l’époque pour attirer l’attention sur cette débauche infinie de carbone et de béton, poursuivie pendant des dizaines d’années.
Le couple Harari a légué il y a huit ans sa tour Or-Bronze avec une façade en MOB d’Ossabois, un pas en avant après la FOB que Béal & Blanckaert faisait admettre avec VS/A dès avant 2015 pour le recours à des éléments préfabriqués de façades en bois afin de diviser leur poids par quatre et partant le prix des ressorts. AAVP et Catherine Dormoy ont construit en bois, le bloc mitoyen d’Icade intègre 40 % de planchers CLT plus beaucoup de structures en BLC, et des façades bois. L’Air du Temps et l’auberge de jeunesse Aurore de Kengo Kuma prévus pour clôturer enfin le recouvrement des voies côté gare d’Austerlitz laissent augurer que côté, sur les 16 000 m3 de béton et les 4 500 tonnes de l’hectare final de recouvrement côté Est, les immeubles de logements prévus soient biosourcés.
Côté Bruneseau, les panneaux de vente pour Le Berlier et Wood Up ne sont pas enlevés et le commerce ne s’installe pas. L’autre côté du boulevard est un non lieu. La Tour Commune a grimpé au-dessus de la terrasse intermédiaire qui s’inspire de Wood Up. Ce qui permet de bien voir les planchers en CLT par la sous-face. On aura bientôt trois tours toutes proche de 50 m avec trois usages du bois, un usage pédagogique évident, des terrasses aguichantes mais sans doute pas de possibilités de visites régulières, malgré les difficultés de commercialisation et les locaux vides. En fait, c’est un groupe de quatre avec la surélévation de VLAU tour Watt toute proche.
Alors que l’opération Réinventons Paris a abusé des fantasmes avec la tour Réalimenter Masséna jamais bâtie (une partie de la charpente de la gare est désormais à nu), ce serait juste de développer une pédagogie autour de ces quatre tours mixtes. Par exemple en reprenant le comptoir de vente de Giboire à l’abandon devant la tour Wood Up. Et recréer là un peu de vie que la fin du projet Bercy Beaucoup a supprimé.
Tout sur le Forum Bois Construction
Un parcours ludique à vélo relie, entre autres, quatre chantiers emblématiques parisiens : L’air du Temps, la Tour Commune, la Messagerie et la fantomatique crèche et groupe scolaire de la rue Jorge Semprun…