Pour avoir détruit des tortues d'Hermann et leur habitat sur un chantier en Corse-du-Sud, l'entrepreneur Patrick Rocca a été condamné mercredi en appel à six mois de prison avec sursis et 420 000 euros d'indemnisations. C'est trois fois moins qu'en première instance.
Entre décembre 2019 et mars 2020 sur un chantier de construction de 162 logements à Grosseto-Pugna, au sud du golfe d'Ajaccio, l'entrepreneur Patrick Rocca avait été mis en accusation de faits de mutilation et destruction non autorisées d'une espèce animale protégée, ainsi que de l'altération et de la destruction de leur habitat. De fait, le 9 décembre 2019, six cadavres de tortues d'Hermann et une mortellement blessée avaient été découverts sur place par des agents de l'Office français de la biodiversité, une espèce classée vulnérable sur la liste rouge des espèces menacées et protégées au niveau international, européen et français.
Une amende de 500 000 euros avait notamment été prononcée contre son entreprise.
À titre personnel, Patrick Rocca a été condamné à Bastia à une amende de 50 000 euros et son entreprise Fortimmo, également poursuivie pour atteinte non autorisée à la conservation de l'habitat naturel d'une espèce protégée, a été condamnée à 150 000 euros d'amende. En première instance en janvier 2023, six mois de prison avec sursis et 150 000 euros avaient été prononcés par le tribunal d'Ajaccio.
Patrick Rocca et son entreprise sont également condamnés solidairement à payer à l'État 200 000 euros de dommages et intérêts, contre 500 000 euros prononcés en première instance, et 20 000 euros à l'association de défense de l'environnement U Levante qui avait obtenu 30 000 euros en première instance.
Rappelant que les tortues d'Hermann sont présentes en Corse "depuis 1,8 million d'années" (et pratiquement plus que dans l'île avec quelques spécimens dans le Var), l'avocat général avait demandé à la cour, lors de l'audience en juin, de "confirmer la culpabilité" de Patrick Rocca et de son entreprise comme de maintenir les peines prononcées en première instance.
"Je suis devant vous pour essayer de démontrer ma bonne foi", avait assuré à la barre Patrick Rocca. "Je n'ai pas failli", avait martelé l'entrepreneur, qui précisant que son groupe pesait environ 600 millions d'euros, qu'il comportait 127 sociétés, dont 126 en Corse, et employait 2 400 salariés. Autrement dit : l'un des plus gros employeurs de l'île. Les trois avocats de la défense, Mes Philippe Gatti, Jean-Marc Fevrier et Alexandre Plantevin avaient fait valoir des nullités justifiant, selon eux, l'annulation de la procédure. Ils avaient ensuite plaidé la relaxe, arguant qu'"aucune faute pénale" ne pouvait être imputée à leur client.
Au total, les amendes et dommages et intérêts agaient été réduits de 1,2 million d'euros à 420 000 euros.
Toutefois, par arrêté préfectoral en date du 29 janvier 2024, Patrick Rocca avait été autorisé à déroger au code de l'environnement pour la poursuite dudit projet immobilier.
L'arrêté prévoyait que, pour mener à bien ces travaux, l'entrepreneur corse pouvait notamment : "détruire ou perturber intentionnellement des spécimens d'espèces animales protégées", "altérer ou dégrader des sites de reproduction ou d'aires de repos d'espèces animales protégées" ou encore "arracher et transplanter des individus de flore protégée" ... Car le chantier se trouvait "en dehors de tout zonage de protection ou d'inventaire" pour un projet consistant "en une production de logements à destination de résidence principale" intégrant 30 % de logements sociaux, dans un territoire "où les prix des logements sont fortement tirés vers le haut par les résidences secondaires", participera "au rééquilibrage entre résidences secondaires et résidences principales sur le secteur de Porticcio".
Alors que "les variantes possibles concernaient des zones avec enjeux environnementaux au moins aussi importants que sur la zone du projet", l'arrêté préfectoral avait tranché en arguant qu'il n'existait "aucune solution alternative de moindre impact à la destruction des espèces et des habitats d'espèces tel qu'envisagé".
Cependant, si le CNPN (Conseil National de Protection de la Nature) avait donné un avis favorable à cette demande de dérogation, cette dernière était soumise à plusieurs conditions, dont :
– l'entrepreneur corse devait s'engager à mettre en œuvre "des mesures d'évitement, de réduction et de compensation" en vue des dommages et destruction (déplacement de la population de tortues d'Hermann encore présentes hors du chantier avant reprise des travaux, par exemple) ;
– La mise en place de mesures afin de compenser "la perte de 5,4 hectares d'habitat de milieux forestiers et la destruction d'individus de tortues d'Hermann sur deux secteurs sur la commune de Grosseto-Prugna, pour une surface totale d'environ 69 hectares" ;
– Et enfin, la mise à disposition par Patrick Rocca d'une enveloppe de 100 000 euros, dans le cadre du PNA (Plan National d'Actions) en faveur de la tortue d'Hermann.