Le mirage du Périphérique habité se réalise

L'opération d'enjambement du périphérique Porte Brancion à Paris entre dans la phase du second-oeuvre

L’achèvement de la structure R+7 de la résidence Hosta, à cheval sur le boulevard périphérique parisien, sept années après le début des études et un an avant sa livraison, fait date.




Même le concours Réinventer Paris n’avait pas osé proposer l’utilisation d’une plateforme logistique surplombant le périphérique comme site de construction de logements. Le concours suivant, Inventons la Métropole du Grand Paris, l’a fait dans la mesure où l’endroit, Porte Brancion, se situe à la limite de Vanves et que la commune limitrophe voudrait combler le no man’s land constitué par l’espace de la porte de Vanves avec le passage des rails de la gare Montparnasse.

 

Le bois, solution à tout ?

 

En 2016, la jeune structure Woodeum n’a pas froid aux yeux. Selon elle, recourir au bois massif permettra de se tirer d’affaire et de monter haut au regard d’une structure béton traditionnelle. Il en va de même pour un autre enjambement, qui est le clou de l’opération et doit créer un espace sportif en bois. L’agence Hardel Le Bihan, fort en vue à Paris, s’implique et dessine l’un de ses premiers bâtiments en bois (hors surélévations). L’équipe s’élargit très vite au charpentier ACDF, grand spécialiste francilien du bois et du métal, au BE Terrell, dans le cadre d’un contrat privé favorisant l’ingénierie concourante au long cours.

 

Merveille de mixité bois-acier pour résoudre l'équation délicate de l'enjambement.

 

Plus un objet de recherche qu’un projet de construction

 

Le projet sportif périclite et selon l’agence, celui de remplacement de l’enjambement logistique pour créer un foyer de jeunes travailleurs R+7 de 114 chambres, se fera quand même, surtout parce que la couverture de l’autoroute existe déjà à cet endroit. Pour autant, elle n’est pas porteuse. Il faut donc trouver une solution pour enjamber mais aussi protéger l’ouvrage contre le risque d’incendie incontrôlable venant de la route (type camion-citerne). Il faut trouver un moyen de purifier l’air des occupants fasse aux pics de NOX et d’amiante (plaquettes de freins). S’ajoute l’isolation acoustique au bruit route et la protection d’une structure en bois R+7 exposée en matière de confort d’été. Comme il s’agit d’un foyer pour RIVP, la question du prix de construction est moins prépondérante que pour les projet provinciaux tertiaires des démonstrateurs de tours en bois d’AdivBois.

 

Imposant pont en bois supportant un bloc de 7 niveau ancré dans la nouvelle dalle.

 

Une structure hybride

 

Ce contexte novateur oblige à tout inventer, qu’il s’agisse des mesures de pollution, des hautes performances de résistance au feu en construction biosourcée, des procédures pour empêcher strictement toute chute d’objet sur la voie pendant la construction… Le principal restant la question statique qui finalement rebat les cartes initiales de l’option bois. Car la solution finale, malgré l’omniprésence du CLT et du BLC en superstructure, est éminemment hybride sur le plan structurel : une dalle en béton de 40 cm
lourdement armée fait l’enjambement sans ancrage et sert de socle à l’ensemble de la structure bois. Cette dernière s’élève sur une structure pont de deux étages qui sera occupée par des commerces, marqués par des bracons imposants et des poutres en BLC d’une hauteur impressionnante. Cependant ces derniers viennent buter en milieu
d’ouvrage sur la finesse d’une structure en acier qui reporte les charges sur le mur préexistant en béton, qui sépare les deux voies et porte la première dalle.

 

Les doubles façades en construction, garantiront le confort acoustique, thermique, estival et visuel d'un côté comme de l'autre.

 

Une structure simple et régulière

 

Le reste de la structure est simple avec un réseau de poteaux en bois tramé, qui libère un studio par trame ou un logement pour deux trames. Les dalles CLT sont surépaissies à 30 cm pour contrer les risques de délamination, et pour répondre aux exigences acoustiques en couplage avec une chape sèche et un plafond en plaque de plâtre accessible pour les fluides et réseaux. Plus inhabituel encore est la double façade ménageant des loggias largement vitrées sur les côtés moins exposés et faisant office de brise soleil en dessinant 9x9 cases régulières sur la belle façade vue de l’autoroute. La structure porteuse est protégée par l’acier Corten. Des bracons de contreventement donnent un certain rythme à la régularité, un recours aux goujons collés aurait pu l’éviter.

 

Pose du dernier élément de plancher le 6 septembre, livraison dans un an environ.

 

Projet ancien, performances d’avant-garde

 

Le poids de bois atteint 150 kg par m² de plancher (poids ramené à 250 kg/m² de plancher) mais sera peu visible en fin de compte. Les armatures et la dalle ainsi que la charpente métallique plombent l’émissivité, même si la résidence Hosta vise un niveau BBCA Excellent et une performance E2C2. De fait, si l’on exclut le recours aux radiateurs électriques qui, comme dans le cas du projet Melia de Woodeum, dérogent aux règles de la RE2020, l’Hosta atteint la performance RE2020 niveau 2028 (ce serait parfait avec une PAC qui est actuellement la solution diabolique pour répandre une forme de climatisation partout dans les villes et augmenter la chaleur urbaine). Si le boulevard périphérique venait à être transformé en boulevard, l’Hosta en serait un fanal. Dès maintenant, la face ouest donnant directement sur l’autoroute fait semblant d’être habitée et ses baies éclairées changent les automobilistes du cadre gris de béton sale.

 

La nouvelle ingénierie hybride

 

Le périph en boulevard ? Pourquoi pas. En attendant, le genre d’opération de l’Hosta revêt surtout un intérêt expérimental en matière d’ingénierie hybride, dans une configuration où métal, bois et béton ne sont pas combinés de façon habituelle, mais où de fait le bon matériau est bien au bon endroit.

 

Et pour ce qui concerne le bois, la course à la basse émissivité s’exemplifie sur cette opération par le test d’un acheminement ferroviaire d’une partie des planchers massifs en CLT. Fabriqués à Ybbs sur les rives du Danube en Basse-Autriche par Stora Enso, 183 m³ d’éléments Sylva ont été transportés à partir du 28 août 2023, soit deux wagons ou l’équivalent de 4 camions pour 8 colis, jusqu’au stock central de Stora Enso à Rouen. Le fabricant a choisi des panneaux adaptés, le plus grand avait une largeur de 2,66 m et une longueur de 5,80 m. La mesure maximale du panneau qui peut être transporté ainsi est de 2,96 m de largeur et de 13,6 m de longueur.

 

Le trajet Rouen-Porte Brancion a été réalisé en camion. Par la route, un acheminement direct de l’Autriche ferait parcourir un peu plus de 1000 km en camion et le poids carbone mesuré est de 67 kg par tonne. Selon Stora Enso, l’acheminement ferroviaire fait descendre l’impact à 7,2 kg par tonne. Le passage par le train via Rouen coûterait 30% plus cher que le direct Ybbs-Paris en camion. Sachant que le reste des panneaux d’Ybbs pour le Hosta est passé par l’usine ACDF Industrie dans le Doubs pour le taillage. Depuis 2022, Stora Enso est entré au capital de ACDF Industrie à 35%. L’expérience carbone de l’acheminement ferroviaire vers Paris avec une station chez ACDF Industrie reste à mener.

 

Le transport est-il un enjeu carbone ?

 

En général, dans les FDES, l’impact du transport des systèmes en bois est négligé, ne serait-ce qu’à cause des références de distances moyennes. C’est d’ailleurs l’un des axes d’attaque des FDES Bois de France : un CLT fabriqué et mis en oeuvre en France voyage souvent moins loin. Principal concurrent européen de Stora Enso, Binderholz a développé l’acheminement ferroviaire presque partout en Europe et profite du format réduit de ses panneaux massifs BBS. En France, l’entrepôt central de BinderHolz est à Blanc-Mesnil. Selon BinderHolz, passer du camion au rail est compliqué car chaque réseau national fait valoir ses propres exigences. Et la question du taillage se pose aussi. Il faut garder en tête que la tonne de CLT Sylva est créditée de 761 kg de CO2 stocké, donc que le transport en camion ne consomme, dans ce cas d’acheminement de plus de 1000 km, que le dixième du CO2 stocké. En train, plus ou moins 1%. Et pour que le périph devienne un boulevard, ces gains marginaux deviennent essentiels.

 



Source : batirama.com / Jonas Tophoven / Photos © Woodeum

L'auteur de cet article

photo auteur Jonas TOPHOVEN
Jonas Tophoven est journaliste de la presse professionnelle de la construction et du bois en France et en Allemagne depuis 30 ans. Le thème qui lui tient particulièrement à cœur est la réduction drastique des émissions de GES dans la construction, première émettrice humaine du monde devant l'agriculture, avec un impact renforcé en France. Il a d'abord travaillé pendant 12 ans sur la construction sèche, puis depuis 15 ans sur la construction bois préfabriquée et il collabore depuis 10 ans à la programmation des quelque 150 conférences annuelles du Forum Bois Construction, congrès des acteurs de la construction biosourcée.
1 Commentaire
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  • par Pascal
  • 17/10/2023 18:21:29

Bonjour, En Europe occidentale, les plaquettes de frein ne contiennent plus d’amiante depuis plusieurs décennies. Toutefois, les pneus (roulage, accélération et freinage) et les plaquettes de frein génèrent des poussières nocives pour l’environnement et la santé humaine. Par ailleurs, installer des logements au-dessus d’un autoroute très passager pose des questions de bruit et de la qualité de l’air assez dépourvues du moindre bon sens. Et construire en bois n’y change rien. Enfin, j’espère qu’une prochaine construction en bois soit installée au-dessus de réservoirs d’hydrocarbures...

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