Avec un budget de 300 000 euros, les architectes et une équipe de maçons construisent un R+3 en bois autour de deux logements traditionnels superposés, intégrés quasiment tel quel dans la nouvelle maison dont ils constituent une partie du R+1. Un exemple de réemploi ultime, d’intelligence constructive en MOB, et surtout de métamorphose d’un bouge de marchand de sommeil en lieu de vie qui révèle toute la poésie du secteur pavillonnaire d’Aubervilliers.
L’heure est au réemploi. On dit que les plateformes se mettent en place, que les outils de caractérisation mécanique non destructifs se développent, que le goût des utilisateurs évolue pour intégrer les discontinuités autrefois rejetées.
Aspect de la transformation côté rue. © MANO architecture
L’heure est toujours à la surélévation de cet océan pavillonnaire francilien, notamment dans le cadre de rénovations thermiques, et malgré les recours des voisins et un marché qui reste grippé. Et ce qui pointe son nez, mais qui ne se fait que rarement, c’est l’intégration complète du bâti ancien qui sert de socle et de support à une construction biosourcée : pas ou très peu de démolition, inertie, facilités d’accrochage de la structure. Ce n’est pas du réemploi, pas de la surélévation, pas de l’extension. On n’a pas encore le terme, ça pourrait être quelque chose comme de l’architecture inclusive si cet adjectif n’était pas sexué.
La parcelle est longue et étroite de 7 m, la rue a été surélevée, les Merli et Loiseau commencent par blanchir les murs du jardin qui, à cause du dénivelé, sont élevés et se prêtent bien à la culture de fruitiers. L’escalier d’accès à l’ancien bâtiment inférieur est maintenu, sans possibilité d’isolation, sur le premier segment, du mur mitoyen car le passage deviendrait trop étroit. Le bâti ancien est conservé sauf la toiture, le logement inférieur recoupé pour créer un cellier, un vestibule, une chambre d’ami.
Transformation côté cour, vue vers le Sud. © MANO arhitecture
Une cage d’escalier en béton est créée pour desservir les trois étages, elle reste brute et visible au milieu de la maison, placée sur un angle de l’ancien bâti, de sorte qu’y on accède au logement supérieur dont la porte palière a été conservée et à une mezzanine qui donne sur une chambre via la fenêtre ancienne conservée en l’état, puis à l’étage ouvert avec la première grande terrasse équipée initialement d’une pergola, le bureau et le salon éclairés notamment par la nouvelle façade nord entièrement vitrée en trois couches. Enfin, l’escalier monte encore au pas minimum vers un faîte juste équipé d’une petite cuisine et de la seconde terrasse circulaire.
Les baies ouvertes au nord sur le jardin avec des éléments atteignant 3,10 m de largeur et le maximal routier de 2,50 m hauteur, vient du Portugal pour des raisons de coût. Sans ces baies en double hauteur, le niveau bas serait un peu oppressé par les hauts murs proches qui enserrent le jardin. Avec, c’est un émerveillement de présence du jardin, et au-dessus, cette étonnante vue sur les basses constructions hirsutes et des jardins étroits de la frange nord d’Aubervilliers.
Espace central avec cage en béton brut et mezzanine. © MANO architecture
Au rez-de-chaussée niveau jardin mais surbaissé par rapport à a rue, un chauffage par le sol maintient le bon climat l’hiver avec un chauffage d’appoint au bois, son tube d’évacuation chauffe tout l’espace ouvert. Au-dessus de la cuisine, la mezzanine est créée par un solivage rapproché sur lequel repose un parquet massif non jointoyé dont les rainures de sous-face jouent avec le rythme du garde-corps en tasseaux.
Extraordinaire image de l'absorbtion d'un pavillon par une transformation ! © MANO Architecture
À l’étage, une poutre dedoublée de 12 m, du négoce, file du sud au nord, raccordée à l’escalier central et portant des solives qui masquent une sous-face brute de ce bel OSB résineux-feuillu de Sully-sur-Loire. Toute la construction bois, MOB comprise, est réalisée par une équipe de maçons qui n’a jamais construit en bois, et que le couple de maître d’œuvre et d’ouvrage sait aussi utiliser à l’occasion dans sa capacité à manier le béton (escalier, aménagement intérieur). La décoration et l’aménagement ont été réduits au minimum.
Conscient de l’intérêt de ce chantier innovant, le photographe Antoine Duhamel a suivi le chantier qui devient ainsi un témoin pédagogique de la réhabilitation pavillonnaire francilienne. Il a également suivi une première référence de surélévation de MANO architecture à Bagnolet, tout aussi intéressante (2023). En cumulant le rachat de la parcelle, le budget de la construction et la part active des maîtres d’ouvrage sur de nombreuses années, habitant avec un bébé le bâtiment en construction, et l’utilisation précédente des lieux, on peut difficilement parler de gentrification du haut-Aubervilliers, plutôt d’une renaissance. La prouesse de l’équipe se mesure à l’écart entre la situation de départ, et le résultat final, sans destruction. C’est de l’architecture de fée Carabosse.
La démarche de l’agence Ciguë à Montreuil, celle des Merli et Loiseau à Aubervilliers, longues, dûment illustrées, se range dans une série d’opérations actuelles qui mériteraient une exposition détaillée. C’est simple, Paris est le cluster mondial de la nouvelle architecture climatique, et la banlieue est son véritable terrain de jeu.
Rénovation et bas carbone
Un couple d’architectes parisiens transforme une étroite parcelle pavillonnaire du nord d’Aubervilliers à coût maîtrisé, en bâtissant autour de l’existant, sans démolition.