Photo : Lisa-Marie Gourden, conductrice de travaux pour Bouygues Bâtiment Grand Ouest (témoignage ci-dessous) © Ville de Gouesnou
Les clichés ont la peau dure. Et pas que dans le bâtiment. "Alors que la France s’est fixée comme objectif d’atteindre un tiers de métiers mixtes en 2025, le pari est loin d’être relevé avec à peine 12 % de métiers mixtes et un marché du travail qui reste marqué par une répartition très genrée", indique l’Afpa. Ainsi, l'Agence nationale pour la formation professionnelle des adultes a décidé en 2020, avec le soutien du ministère du Travail, de mettre en lumière 44 femmes qui exercent un métier dit masculin via les trophées métiers pour ELLES.
75 % des femmes choisissent des formations dans le tertiaire et souvent associés à des compétences dites féminines. La preuve. Toujours selon l’Afpa, elles sont moins de 1 % dans les métiers du thermique et sanitaire, à peine 2 % embrassent la maçonnerie, moins de 4 % exercent une profession de soudeuse assembleuse industriel, moins de 6 % sont carreleuses, et moins de 10 % deviennent techniciennes supérieures d’études en génie climatique.
Là où elles sont les mieux représentées : les métiers de la peinture (20 %) et de la menuiserie bois (22 %).
Au global, de sources concordantes FFB et Capeb, les femmes salariées dans le bâtiment atteignent à peine les 13 % : 46,2% sont employées et techniciennes, 20,7 % parmi les cadres et 1,6 % parmi les ouvriers.
Si les deux principales organisations syndicales comme les grandes entreprises (voir ci-dessous l'interview de Stéphane Ribner, DRH de Bouygues Bâtiment France) œuvrent à la mixité, la féminisation des métiers du bâtiment en particulier sur le terrain n’est pas encore acquise. Mais la donne pourrait changer grâce à une évolution portée par l’ensemble des acteurs pour rendre le bâtiment plus attractif pour tous : la réduction de la pénibilité sur le chantier.
Sources : Capeb, DEPP/SIFA 2019/2020 SSI 2020, AGIRC ARRCO
À 21 ans à peine, Axelle endosse déjà les responsabilités. Chez Armor Peinture à Plélo (22), l’entreprise qui l’a portée vers sa licence professionnelle chargée d’affaires métiers de la finition à l’Université catholique de l’Ouest (UCO) de Laval (53), elle gère aujourd'hui la clientèle de particuliers. Mais aussi la communication, le site internet et les réseaux sociaux, "que je traitais en partie dans mon mémoire de licence", confie-t-elle.
Après un bac S, elle empoche un DUT de génie civil. "Au cours de la deuxième année, j’ai découvert que la finition m’intéressait plus que le gros œuvre", continue la jeune femme qui prolonge alors son parcours grâce à l’alternance en se spécialisant "dans la finition qui n’est pas la voie normalement destinée aux étudiants diplômés du génie civil". Avec satisfaction : "Je ne me voyais pas assise dans un bureau tous les jours. J’aime aller sur les chantiers, la vie sur le terrain, allier relationnel et commercial et l’accompagnement global des clients."
Depuis peu, elle a ajouté une autre corde à son arc et découvert un autre monde : celui du secteur HLM et des bailleurs sociaux… Très masculin "et parfois assez vieux jeu, avec souvent des remarques qui ne sont pas méchantes mais inappropriées." Elle en a pris son parti. "Je ne réponds pas. Je montre que je ne suis pas là pour faire tapisserie. Si je suis arrivée à ce poste, c’est parce que j’ai fait ce qu’il fallait pour." Pour Axelle Gourio, finalement être une femme sur le terrain c’est aussi un atout. "Nous sommes plus dans la discussion, la négociation, alors que deux hommes face à face peuvent vite taper du poing sur la table". Une tête bien faite. Et une main de fer dans un gant de velours.
Il y a 25 ans, Cécile Beaudonnat troque ses études de psychologie pour un BTS assistante de gestion PME-PMI… par amour. "Mon mari couvreur-charpentier préférait être sur les chantiers. Je l’ai remplacé pour tout ce qui est gestion d’entreprise".
Deux décennies plus tard, l’entreprise artisanale et familiale emploie une vingtaine de salariés. Ce qu’elle aime au quotidien ? "Vivre de ma passion, être bien dans ce que je fais chaque jour. J’apprécie particulièrement le contact, la transmission, la formation. Et en tant qu’artisans, nous sommes libres et indépendants". Elle n’en fait pas grand cas, mais cette femme engagée depuis longtemps pour une meilleur reconnaissance des conjoints-collaborateurs et des femmes au sein de la Capeb, vient d’être promue au grade de Chevalier de la Légion d’honneur.
Aujourd’hui, elle constate du mieux. "Si ce n’est plus le cas, au début, les clients et fournisseurs étaient réticents à l’idée de s’adresser à moi. En revanche, certaines femmes chefs d’entreprise me rapportent qu’il existe encore des réfractaires. Mais au final, une fois que le chantier est exécuté de A à Z, ils sont enchantés d’avoir eu à faire à une femme. Nous n’avons pas la même écoute, ni la même attention."
Certes, les femmes restent rares dans la couverture-charpente ou dans la maçonnerie-carrelage. "Après la crise sanitaire qui a arrêté la création d’entreprises de manière générale, nous constatons un retour des femmes dans le bâtiment en reconversion professionnelle et par l’apprentissage, dans les métiers de la peinture-finition, de l’électricité et du bois." Dans l’artisanat seules 4 % des femmes sont cheffes d’entreprises et 13 % salariées. C'est peu. "Mais comme nous sommes dans un milieu d’hommes, nous trouvons cela déjà très bien", souffle-t-elle dans un sourire.
© Afpa
Kantaba Maïga ne baisse pas les bras comme ça. Et pourtant. À 34 ans, comptable et maman de deux enfants, de niveau master, elle plonge dans le ciment. "J’en ai toujours eu envie et je n’y connaissais rien." Après une rupture conventionnelle, elle profite de son chômage et pousse la porte de l’Afpa de Creil (60) de novembre 2021 à juin 2022 pour devenir maçonne.
"J’ai eu un excellent formateur", continue celle qui est aujourd’hui finaliste de la cuvée 2023 des trophées métiers pour ELLES de l’Afpa. Mais au moment de chercher un stage, elle fait chou blanc, malgré la pénurie de candidats à l’emploi.
Elle frappe à la porte de toutes les entreprises. "J’en ai contacté des centaines. Heureusement, mon formateur m’a recommandé auprès d’un maçon en recherche d’un apprenti". La société est dans l’Oise. À plus d’une heure de son domicile, sans les bouchons du trafic parisien. Sur le chantier, il n’y a pas de WC pour les femmes, "heureusement j’étais véhiculée. À la pause déjeuner, j’allais dans les centre-commerciaux les plus proches." Si elle a eu envie d’abandonner, ce n’est ni à cause de la difficulté du travail, ni des charges lourdes mais "parce que le patron me parlait mal. J’ai eu le sentiment qu’il s’est dit : c’est une fille, je vais voir jusqu’où elle peut aller." Et elle va jusqu’au bout.
Rétrospectivement, elle pense "que le fait d’être une femme m’a fermé les portes. Le bâtiment reste archaïque, en tous cas de ce que j’en ai vu. Il faut que les hommes s’habituent aux femmes sur les chantiers et pas qu’aux architectes. De plus, les petites entreprises font encore beaucoup de choses à la main. Je ne comprends pas pourquoi elles n’achètent pas plus de matériels de levage, ne serait-ce que pour soulager la pénibilité de tous les compagnons."
Aujourd’hui, Kantaba Maïga est de nouveau comptable, "pour avoir un salaire décent, et mettre de côté afin de créer mon entreprise de rénovation pour les particuliers. Comme ça je pourrai aussi offrir une chance à d’autres femmes dans ce métier."
© Ville de Gouesnou
A Bouygues Bâtiment Grand Ouest, elle est un conducteur de travaux comme les autres. "Quand on débute, il faut rester humble, écouter, observer. Un homme doit le faire aussi", campe d’emblée Lisa-Marie Gourden. D’abord, elle voulait être architecte. Une idée abandonnée après un stage de troisième en cabinet. "J’ai trouvé que le métier manquait de terrain."
Tout juste diplômée de Builders Ecole d'ingénieurs à Caen (14), option bâtiment, [établissement anciennement nommé ESITC Caen, NDLR] elle n'a même pas eu besoin de chercher du travail. Elle a tout de suite été recrutée par l’employeur chez qui elle a réalisé son dernier stage. Comme conductrice de travaux, elle apprécie "la gestion de A à Z, les liens avec toutes les parties prenantes du chantier, d’être au cœur de la production, de la qualité, du planning, des coûts. On est aussi responsable de la sécurité. C’est un métier pluridisciplinaire."
Un métier que choisissent de plus en plus de femmes. En tous cas, elle le constate après 10 ans à gérer différents chantiers : du Finistère au Morbihan, de la construction neuve à la réhabilitation, de sites occupés d’ouvrages fonctionnels en passant par du logement collectif. "À l’école, nous étions 10 dans une promotion de 100. Quand j’ai démarré, j’étais seule et maintenant j’ai sept collègues. Même sur le chantier, la présence de femmes se démocratise. Aujourd’hui, il est possible d’avoir une carrière comme un homme."
Et demain ? "C’est un métier très gratifiant mais aussi très prenant. Nous avons des horaires amples, et des sujets au quotidien qui font qu’une fois à la maison, on a encore un peu la tête au boulot. Dans mon entreprise, il existe des évolutions possibles afin de prendre du recul par rapport au terrain." Et plus tard, une vie de famille ? "Pourquoi pas. D’autant que la gestion des enfants par les hommes se démocratise aussi", conclut Lisa-Marie Gourden.
Pour Stéphane Ribner, DRH de Bouygues Bâtiment France, "une plus grande mixité génère une diversité d’approches qui enrichit l’entreprise". Photo © Photo Amandine Lauriol
Stéphane Ribner : Il est plutôt en hausse, avec des variations selon les spécialisations. Depuis trois ans, nous observons une baisse au commerce. A contrario, il est en augmentation dans les métiers de l'ingénierie, c’est-à-dire ceux de la direction technique. La hausse est plus légère, en production. Nous y portons une attention particulière car ce sont vers ces métiers qu’il est le plus important de les attirer.
SR : Les femmes ont une vraie appétence pour les métiers de terrain, en particulier quand elles sortent de l’école, car nous recrutons beaucoup de jeunes diplômées. Si les hommes sont aussi concernés, nous observons qu’au bout de quelques années elles souhaitent quitter les travaux pour aller vers des fonctions moins exigeantes en termes d’horaires par exemple. Nous proposons alors un système pour basculer vers le commerce et l’ingénierie tout en restant opérationnel.
SR : Principalement, ce sont ceux de conducteur de travaux et plus dans l’encadrement que dans la maîtrise ou en tant que compagnon. Il n’y a pas d’évolutions notables quant à leurs envies. En revanche, il existe toujours un fort engouement des femmes avec un effet très positif de cette féminisation. Les nouvelles générations s’identifient plus facilement qu’il y a 20 ans. Celles restées aux travaux ont un rôle modèle en occupant aujourd’hui à des postes de management, voire de top management, au même titre que les hommes, même si ce n’est pas encore dans les mêmes proportions. C’est plus encourageant aujourd’hui pour une femme de projeter une grande partie de sa carrière aux travaux chez Bouygues Bâtiment France.
SR : La question n’est pas simple car vous trouvez dans les qualités dites de femmes, des hommes qui les rassemblent, et vice et versa. Il faut faire attention aux stéréotypes. Maintenant, les sujets peuvent être leur sens de la précision, de l’organisation, une capacité à communiquer et un esprit d’équipe qui sont plutôt assez exemplaires. Aujourd’hui, la plus grande mixité dans les équipes travaux en particulier génère une diversité d’approches qui enrichit l’entreprise. Et c’est bien le but de la féminisation des métiers opérationnels dans le bâtiment.
SR : Exactement. L’évolution est certaine dans un espace-temps à l’échelle du temps professionnel et des entreprises qui s’est tout de même resserré. Que ce soit dans la profession en général, ou chez Bouygues Bâtiment France, nous sommes dans un monde plus mixte et plus représentatif de la société. Dans les métiers fonctionnels, nous considérons être arrivés à un équilibre vertueux entre les hommes et les femmes y compris aux plus hauts postes de direction. Dans les métiers opérationnels, beaucoup de femmes évoluent à des postes de directrices de travaux, directrices commerciales, techniques mais aussi directrices générales. Ce qui n’existait absolument pas ne serait-ce qu’il y a 10 ans. Pour autant certains métiers restent très masculins comme ceux des compagnons ou de la maîtrise. Mais nous bousculons aussi les mentalités à ce niveau. Les managers ont évolué et ont pris conscience de la nécessité d’être beaucoup plus inclusifs et à l’écoute de toutes les sensibilités. Ce qui apparaît comme des évolutions pour les femmes, profite aussi aux hommes. Les nouvelles générations, et pas seulement, souhaitent travailler sur tout un tas de sujets censés profiter aux femmes et qui en réalité sont bénéfiques pour tous.
SR : Par exemple, la Covid a aidé à la mise en place du télétravail de manière très rapide auprès des équipes opérationnelles dans les sièges et les agences. Nous le testons sur les chantiers avec certes une intensité moins forte car il s’agit de métiers de proximité et de terrain. Nous prenons aussi en compte et plus facilement qu’avant, les obligations et contraintes personnelles sur les chantiers que peuvent avoir les femmes, comme les hommes, avec la possibilité d’arriver un peu plus tard et de partir un peu plus tôt. De plus, dans le bâtiment des métiers émergent tels que celui de pilote de corps d’état secondaires. Cette catégorie de collaborateurs suit les sous-traitants sur les chantiers. Ces métiers hybrides, entre terrain et conduite de travaux, intègrent de plus en plus de femmes et ouvrent à encore plus de mixité dans le bâtiment.
SR : Évidemment. Par exemple, pour répondre à l’objectif de chantiers décarbonés et plus vertueux, nous les réalisons de plus en plus en bois. Parce qu’il existe de nombreuses étapes de vissage, nous transformons les métiers de compagnons avec l’utilisation d’exosquelettes. Ils sont très accompagnés d’un point de vue ergonomique. Ces évolutions nous laissent penser que la présence de femmes va être plus facile à organiser dans la mesure où ces modes de construction intègrent une part de moindre pénibilité.
SR : Très clairement, car il y a un sujet de progrès. Nous sommes attentifs à être encore plus ouvert à la mixité sur des métiers de compagnons ou de maîtrise. S’il y a encore peu de femmes, cette évolution va s'effectuer de manière naturelle. Nous nous projetons déjà sur la manière de les attirer vers ces métiers terrain. De plus, par rapport à des entreprises de taille plus modeste, nous nous différencions par notre capacité à proposer plusieurs carrières. La mobilité chez nous n’est pas un gros mot. Elle fait partie de notre ADN depuis longtemps avec la capacité de proposer plusieurs vies professionnelles tout en restant dans la même entreprise. Nous soignons l’expérience collaborateur avec une ouverture des possibilités de carrière de manière individualisée. Et c’est une de nos forces.
Evolution et valorisation des métiers du BTP
Il y a du mieux. Plus d’une entreprise sur deux est dirigée ou codirigée par une femme selon la FFB. Mais elles ne concernent encore que 13 % des effectifs salariés.