Eolienne biosourcée ou l’histoire d’un Moulin en chêne octogonal à Straelen

Eolienne biosourcée ou l’histoire d’un Moulin en chêne octogonal à Straelen

Les moulins en chêne, souvent contemporains de la flèche de Notre-Dame par Viollet-le-Duc, témoignent d’une technicité comparable et résistaient même à la foudre. Retour sur le moulin de la ville de Straelen.




Le moulin octogonal de la ville de Straelen, reconstruit à l’identique, est un témoin de la construction industrielle en chêne de l’Europe d’avant le moteur thermique. ©JT

 

Dans l’histoire de la construction bois en Europe, le moulin constitue un chapitre d’autant plus passionnant qu’actuellement, l’immense marché des éoliennes s’apprêtent à rebasculer vers des matériaux structurels biosourcés, pour de simples raisons de performance et de compétitivité.

 

Certes, on y parvient aujourd’hui avec des bois d’ingénierie résineux, tandis que les moulins d’antan recouraient à une structure en poteaux-poutre de chêne. La performance de ces moulins était médiocre, mais contrairement à ce que l’on pourrait penser, leur développement n’est pas stoppé, loin de là, par l’arrivée de la machine à vapeur, opérationnelle en Grande-Bretagne à partir de 1830.

 

Leurs états de service se prolongent même souvent jusqu’au beau milieu du 20e siècle, à la faveur d’un équipement complémentaire en moteur thermique. Jusqu’au moment où ces ouvrages atypiques sont devenus des monuments historiques pittoresques, ou des habitations sortant du rang.

 

 

Mis en service en 1852, le moulin a été rénové en 1937 et il est resté opérationnel jusque dans les années 50. © Stadtarchiv Straelen

 

Un beau moulin octogonal sauvé sur les contreforts de la Meuse

 

En Allemagne, sur les contreforts de la Meuse, Heinz Brimmers, le sauveur de l’un de ces beaux moulins octogonaux, a légué aux archives communales de sa ville de Straelen les documents qui retracent plusieurs décennies d’efforts privés qui ont permis, avec un appui public décisif, de reconstituer et de préserver autant que possible un tel spécimen.

 

Autant que l’ouvrage, l’histoire de ce moulin est un morceau de patrimoine. Jusqu’au milieu du 19e siècle, la petite ville frontalière des Pays-Bas ne disposait que d’un seul moulin, tout en bois, dressé sur un point haut tout près de l’angle nord-est de l’enceinte communale, raccordée à la ville par un passage sous-terrain.

 

Il s’agissait de ces petites merveilles néerlandaises qui se dressaient sur les digues, mais dont le principe du chandelier semble avoir été développé en France au moyen-âge. Les Hollandais, qui élèvent actuellement à Amsterdam une tour en bois de 72 mètres de haut, baptisée HAUT, disposaient de charpentiers de premier plan.

 

Amsterdam est bâtie sur pilotis en bois, la flotte néerlandaise a directement rivalisé avec la Navy pendant plusieurs siècles, et les constructeurs de moulins ont continué à perfectionner leurs solutions.

 

 

Frappé par la foudre en novembre 1952, le moulin a brûlé mais le squelette en chêne, abandonné, ne s’est finalement écroulé que 20 ans plus tard. © Stadtarchiv Straelen

 

De la farine de bois à la farine

 

A vrai dire, le moulin de la ville de Straelen avait d’abord servi aux Pays-Bas comme scierie. Il avait ensuite été démonté, transporté dans ce qui était alors l’extrémité occidentale de la Prusse, et remonté pour faire office de moulin à blé communal.

 

La construction bois fournissait alors la preuve éclatante de sa capacité à répondre aux principes de l’économie circulaire. Les vieilles poutres des maisons anciennes de la petite ville trahissent un même souci de réemploi et remontent souvent au Moyen-âge, sachant que cette région de Basse-Rhénanie, entre la Meuse et le Rhin, ne disposait pas de beaucoup de forêts.

 

Mais surtout, la transformation du bois était si fastidieuse qu’une poutre était réutilisée sans sourciller. Les moulins en bois de cette catégorie étaient relativement fragiles, à la merci de tempêtes ou d’orages, tout comme les ponts en bois parisiens perpétuellement détruits par les débâcles. Mais on récupérait ce qu’on pouvait pour les rebâtir.

 

 

Remplacement des bardeaux en red cedar durant l’été 2019. ©JT

 

L’entreprenariat meunier

 

Vers le milieu du 19e siècle, même cette pauvre petite ville rurale frontalière est confrontée à la révolution industrielle. Avant que la ligne de chemin de fer Hambourg-Paris ne passe par Straelen en entraînant des travaux de terrassement considérables pour négocier la descente de la voie des plateaux allemands vers la vallée de la Meuse, un entrepreneur local du nom de Ludwig Van Schayck multiplie les démarches pour bâtir un moulin privé non loin du moulin communal.

 

A l’époque déjà, ce type de projet bute sur l’opposition des propriétaires environnants qui estiment en subir des dommages. Sa première tentative échoue, mais il revient à la charge en proposant un site qui est également surélevé, situé à un kilomètre de l’enceinte, sur le territoire de la commune voisine d’Auwel.

 

En chat échaudé, il se débrouille pour que son frère fasse l’acquisition de la parcelle limitrophe, tandis que le moulin doit être élevé à la limite des deux terrains, donc le plus loin possible des parcelles de tiers. Il opte pour ce qui se fait alors à peu près de mieux, profitant du savoir-faire des charpentiers spécialisés de l’autre côté de la frontière.

 

Les moulins octogonaux sont relativement récents et reposent sur le principe suivant : quand on croise deux poutres horizontales parallèles en chêne à angle droit on dessine un octogone. En fait, on retrouve cette approche constructive pour de nombreux clochers, comme d’ailleurs le majestueux clocher de l’église gothique de Straelen.

 

 

Comme pour renouer avec la tradition du moulin communal, la ville de Straelen a investi dans deux des six éoliennes qui parsèment aujourd’hui son territoire. ©JT

 

Le moulin, moteur de la révolution industrielle

 

A chaque niveau, cette structure octogonale de base s’affine, de sorte que le sommet pourra être coiffé d’un chapeau circulaire qui porte les ailes et pivote sur un roulement afin d’aller chercher le vent. Cette calotte ne repose que par son poids, qui doit être conséquent.

 

Mais il faut qu’une certaine mobilité soit possible, à l’aide des roulements en bois préfigurant les roulements à billes, de la force musculaire du meunier et des ingénieux systèmes de levier extérieurs constitués de longues perches.

 

Pour les petits moulins, des inventeurs britanniques avaient mis au point, autour de 1750, un système ingénieux de moulin à vent complémentaire permettant de maintenir automatiquement le moulin principal dans l’axe du vent.

 

Génial, mais pas suffisant pour freiner l’arrivé de la machine à vapeur, car selon les relevés de l’époque, sur un site moyen comme Straelen, un moulin à vent de pouvait fonctionner qu’un tiers de l’année. Le reste du temps, le vent était tantôt trop faible, tantôt trop fort.

 

Un siècle de service

 

Les beaux moulins octogonaux du 18e et du 19e siècle reposent communément sur un socle octogonal en dur. Celui de Straelen sera opérationnel pendant exactement un siècle. Avec lui, la digue s’est rompue et dans les années qui suivent, les nouveaux moulins se multiplient, presque de la même manière que les éoliennes aujourd’hui.

 

Straelen en compte au moins quatre, dont un moulin en maçonnerie qui, rénové, a conservé ses ailes et sert de coquette habitation. Au bout de quelques décennies d’accumulation de capital, la famille Van Schayck cède son moulin pour en construire bientôt un autre à l’opposé, actionné cette fois par un moteur, et qui consacrera leur position de famille la plus riche de la ville.

 

La coexistence est pacifique car le nouveau moulin se concentrera sur le pressage. Le moulin octogonal échappe pour sa part à la destruction à cause de la tactique de progression dissuasive des troupes américaines, qui alignent massivement les chars comme une horde mongole.

 

Straelen, qui se trouve début 1945 sur leur trajectoire, est intégralement préservé. Mais le moulin a fait son temps et quand, une nuit de tempête en novembre 1952, il est frappé par la foudre et brûle, c’en sera fini pour de bon.

 

La structure en chêne est cependant si solide que le squelette du moulin va hanter le paysage pendant les 20 ans qui suivent. Les initiatives pour le préserver ou le reconstruire son sans effet durant ces années de miracle économique tourné vers l’avenir, où la petite ville, spécialisée à l’image de la Hollande dans la production sous serre, passe du statut de coin perdu à celui de zone disposant de la plus forte proportion de Mercedes de toute l’Allemagne fédérale.

 

Ecroulement et reconstruction

 

En 1968, le négociant Heinz Brimmers rachète la ruine afin de la préserver. Il n’imagine pas qu’elle va soudainement s’écrouler complètement, deux ans plus tard. Au départ, l’option d’une reconstruction semble inconcevable. Mais entre-temps, l’Allemagne est devenue riche, et la ville de Straelen va bientôt remporter un prix national qui lui permettra de rénover entièrement son centre-ville à bon compte.

 

 Dans ce pays industriel nostalgique de ses vestiges, le moulin mérite une renaissance, d’autant que l’extension de la ville en fait désormais un élément marquant de sa skyline. La région dispose de fonds pour la préservation de monuments historiques, et d’architectes compétents, le district et la commune apportent leur contribution.

 

 Surtout, Heinz Brimmers peut faire un appel au dernier constructeur de moulin qui opère encore dans la région, et qui est d’ailleurs établi non loin de Straelen. Les travaux de reconstruction débutent dès 1971.

 

Préfabrication et authenticité

 

Il ne s’agit pas de reconstruire un moulin opérationnel, mais au moins de reconstituer sa silhouette, ailes comprises, avec si possible des matériaux d’origine. Cela fonctionne parfaitement pour la structure, et l’on dispose d’une image de son montage qui montre que chacun des trois niveaux était prémonté.

 

Pour le levage, le premier niveau qui pèse 12 tonnes fera appel à une grue de 50 tonnes du grand port rhénan voisin, la ville de Duisbourg. A noter que le devis initial sera contracté sensiblement grâce à la réutilisation d’éléments de charpente sur place.

 

Tavaillons en Red cedar pour souligner la structure en bois

 

Pour les 230 m2 du revêtement de façade, la commission régionale de supervision exige le recours aux bardeaux. La solution en ardoises mosellanes comprend deux variantes, la couverture traditionnelle étroitement réglementée jusqu’à aujourd’hui, où domine le fait main, et la couverture avec des éléments calibrés et standardisés.

 

L’alternative en tavaillons de Western red cedar, choisie car elle souligne la structure en bois, dépasse encore de quelques points celles en ardoises traditionnelles en prix fourni-posé. Le devis précise : qualité 1, Blue Label, garanti sans nœuds ni défauts, fibres droites, 18 pouces de long – 457,2 mm, largeurs variables.

 

Des ailes en bois, puis en acier...

 

A l’époque, seul un feutre de verre bituminé était intercalé entre les panneaux de recouvrement en bois et les tavaillons. Le devis proposait en option de réaliser une étanchéité complète de 5 mm pour mieux résister aux tempêtes.

 

La surface de la calotte à couvrir est de l’ordre de 90 m2. La calotte et les ailes sont rajoutés un an plus tard, en fonction des modalités de financement. Les ailes sont en pin rigide québécois imprégné. Les planchers des niveaux sont réalisés en planches rainures-languettes de bois de 30 mm.

 

Quelques mois après l’achèvement des travaux, le propriétaire s’aperçoit que le moulin n’est pas équipé de paratonnerre, ce qui entraîne une nouvelle phase de recherche de subventions.

 

Quelques années plus tard, les ailes en pin rigide cèdent et endommagent une partie des tavaillons. Nouvelles requêtes. Cette fois, les ailes sont fabriquées en acier. Mais rien n’y fait, cette solution ne tiendra pas non plus dans la durée, et aujourd’hui, le moulin de Straelen en est dépourvu.

 

D’ailleurs, il a été mis en vente, encerclé qu’il est désormais de serres elle-même repoussée par l’extension continuelle du bâti pavillonnaire. L’an dernier, les bardeaux en red cedar ont été remplacés, ils ont tout de même fait leur office pendant une petite cinquantaine d’années.

 

Vestige du futur

 

Le vieux moulin est, au passage, l’un des rares ouvrages de la ville en construction bois. En Rhénanie, comme dans le plat pays flamand, la brique prédomine. Dans les nouvelles zones résidentielles, un œil aiguisé identifiera les maisons préfabriquées du Fertigbau allemand, dont les murs enduits gomment ici toute référence au bois.

 

Seul le spécialiste local des équipements solaires a bâti son local d’activité et sa maison en bois, par conviction. Si la part de la construction biosourcée grimpe inexorablement à l’échelle de l’Allemagne, la Rhénanie est encore une terre de mission.

 

Mais c’est aussi, notamment en bordure de Meuse, une terre de chênes actuellement colonisés par la chenille processionnaire. En matière de bois local, s’il s’agit de développer une filière, il ne faudra plus compter sur les résineux, victimes à grande échelle de la sécheresse et du scolyte, comme ailleurs en Europe. A moins de les importer et de voir les péniches remonter du bois d’œuvre scandinave le long de la Meuse, ou vers l’aval à partir des Ardennes. 




Source : batirama.com/ Jonas Tophoven

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