Construire Bepos n’est pas une science exacte

Construire Bepos n’est pas une science exacte

La définition du Bepos est souvent tordue. Du coup, concevoir, construire et exploiter des bâtiments Bepos n’est pas simple du tout.




Avec une application prévue en 2021, la RE2020, doit, en principe, reprendre l’exigence contenue dans l’article 9 de la Directive Européenne (UE) 2018/844 du Parlement Européen et du Conseil. 

 

Cet article indique que « les Etats Membres veillent à ce que d’ici au 31 décembre 2020, tous les nouveaux bâtiments soient à consommation d’énergie quasi nulle ; et après le 31 décembre 2018, les nouveaux bâtiments occupés et possédés par les autorités publiques soient à consommation d’énergie quasi nulle ».

 

Qu’est-ce que le Bepos ?

 

La Directive européenne parle de consommation quasi-nulle, mais la France a compris « Bâtiment à Energie Positive » (Bepos). Pendant plusieurs années, la définition du Bepos a flotté un peu. Le label Bepos Effinergie 2013, par exemple, reposait notamment sur le calcul d’un « écart autorisé ». Il revenait en fait à ne pas compter une partie de la consommation d’énergie, de façon à ce que le solde de la consommation (total – part non-comptabilisée) puisse être compensé par une production d’énergie locale.

 

Selon le type de bâtiment, cet écart autorisé variait. Il était nul pour une maison individuelle, mais très important pour une tour de bureaux, par exemple. Début 2017 l’arrivée du label E+C- a apparemment clarifié les choses.

 

Bepos selon le label E+C-

 

Dans son aspect thermique – le E+ dans E+C- -, ce nouveau label repose sur la méthode de calcul RT2012, mais élargit le périmètre des consommations d’énergie prises en compte au-delà des traditionnels 5 usages de la RT, aux « consommations mobilières » qui ne sont pas calculées, mais forfaitisées. C’est une tentative pour compter toute l’énergie consommée. Un bâtiment classé E4 selon le label E+C-, tous usages confondus, consomme donc moins d’énergie qu’il n’en produit.

 

C’est vrai, mais au prix de détails de calculs scabreux. Par exemple, dans la méthode E+C-, les énergies renouvelables ou de récupération (ENR&R) ont un coefficient de transformation en énergie primaire nul. Ces ENR&R sont le solaire thermique, le bois combustible, les réseaux de chaleur alimentés par des chaufferies bois, de la géothermie profonde ou de la récupération de chaleur sur un incinérateur, etc.

 

Pour être clair, la consommation d’énergie d’une chaufferie d’immeuble alimentée en granulés de bois est réputée nulle dans cette méthode de calcul.

 

Pas de Bepos E+C- au-delà de 5 niveaux

 

Compte tenu de ce puissant avantage accordé aux ENR&R, les BE spécialisés dans le calcul thermique, Enertech, Tribu Energie ou Amoès, par exemple, s’étaient rendus compte à force de simulation qu’il était extrêmement compliqué d’atteindre le niveau E4 (Bepos dans le Label E+C-) pour des bâtiments comptant plusieurs niveaux : la surface disponible en toiture est insuffisante pour installer assez de panneaux photovoltaïques pour compenser les consommations du bâtiment.

 

La méthode de calcul E+C- a été modifiée en début 2020. Avant cette modification, les BE estimaient que le niveau E4 était possible pour des bâtiments de logements collectifs ou tertiaires jusqu’à R+3, au prix d’un Bbiomax inférieur de 20% aux exigences de la RT20122 et un Cepmax jusqu’à 40% inférieur en tertiaire : difficile, mais possible. Tellement difficile d’ailleurs que moins de 10 bâtiments – hors maisons individuelles – ont été certifiés E4 depuis le lancement du label E+C- début 2017.

 

La modification de la méthode de calcul E+C- début 2020 a consisté à réduire le forfait des consommations mobilières. Ce qui redonne un peu d’oxygène et, selon Amoès, déplace le problème de deux niveaux environ. Il est désormais possible, mais toujours très difficile, d’atteindre le niveau E4 dans des bâtiments jusqu’au R+5. Au-delà, il ne faut pas y compter.

 

Une tour E4 impossible dans le référentiel E+C-

 

Tous les bureaux d'étude estiment d’ailleurs que dans le référentiel E+C-, une tour E4 est parfaitement impossible. Donc pas de tour Bepos selon le référentiel E+C-. Ce qui ne signifie pas que l’on ne puisse concevoir des tours Bepos, il faut simplement utiliser une autre méthode de calcul.

 

Elithis, par exemple, utilise sa propre STD (Simulation Thermique Dynamique) sans expliquer le détail de sa méthode. Ce n’est pas grave : le coût d’exploitation de la tour Danube conçue par ELithis et construite à Strasbourg est particulièrement bas pour les locataires des logements.

 

Des bâtiments à coût d’exploitation négatif

 

Avec l’aide de Pierre Traversier Cabinet d’Architectes, Enertech a conçu et construit son siège social à Pont-de-Barret (26), comme une démonstration de son savoir-faire. Baptisé LowCal, ce nouveau bâtiment de 666 m², capable d’accueillir 35 personnes au maximum, a été livré en juillet 2016 et certifié par Certivéa pour trois labels : E+C- niveau E3/C2, BEPOS+ effinergie 2017 et BBCA 2017.

 

C’est le premier bâtiment de bureaux en France, et toujours le seul semble-t-il, ayant atteint le niveau E4. Ce qui en fait un bâtiment pleinement BEPOS avec une consommation prévisible de – 98,7 kWh/m².an.

 

Le coût total des travaux est de 817 937 € HT, soit 1 228 € HT/m² de Shon RT. Les solutions mises en œuvre pour parvenir à cette performance sont délibérément lowtech et locales, autant que possible. Le sous-sol est en béton, isolé par l’extérieur par 12 cm de PSX (polystyrène extrudé) et par l’intérieur par 12 cm de laine de bois (Up total = 0.157 W/(m².K)). Les mur du rez-de-chaussée et de l’étage sont en ossature bois, avec 36 cm de paille entre les montants, plus 5 cm de laine de bois en doublage intérieur (Up = 0,134 W/(m².K)).

 

La toiture est isolée par 40 cm de ouate de cellulose en vrac (Up = 0,1 W/(m².K)). Le plancher bas, en partie sur vide sanitaire (Up = 0.15 W/(m².K)) et sur terre-plein (Up = 0.14 W/(m².K)) est isolé par 24 cm de PSE (polystyrène expansé) à haute compressibilité, avec rupture périphérique pour limiter les ponts thermiques. La surface vitrée représente 16,95 % de la surface habitable du bâtiment.

 

Fenêtres bois avec triple vitrage, luminaires à Leds et ballon electrique

 

Les fenêtres sont en menuiseries bois avec triple vitrage à fort contrôle solaire. Sur la façade sud, les fenêtres sont protégées par des BSO (Brise-soleil orientable), par des volets bois battants ou coulissants sur les autres façades. L’éclairage est assuré par des luminaires à LEDs, avec une simple commande par interrupteur marche-arrêt. La puissance installée est très faible : 2 W/m² dans les bureaux, 6 W/m² dans les salles de réunion, 1,5 W/m² dans les circulations et 2,2 W/m² dans les sanitaires.

 

Un ballon électrique de 75 litres produit l’eau chaude pour les lavabos et la douche. Il n’existe pas de système de chauffage fixe. Les occupants eux-mêmes apportent une puissance de chaleur comprise entre 75 et 95 W par personne. 4 radiateurs électriques d’appoint de 1 kW (soit 6 W/m² de puissance) sont disponibles. Après une année de mesure, Enertech envisage de les remplacer par un petit poêle à granulés. La réservation pour le conduit de fumée a été prévue à l’origine.

 

Une installation photovoltaïque de 153 m2

 

Il n’y a pas non-plus de ventilation centralisée dans ce bâtiment. Chaque local donnant sur l’extérieur est ventilé par un groupe double-flux individuel, à commande manuelle, avec un rendement de récupération de chaleur de 70%.

 

Une installation photovoltaïque de 153 m² (24 kWc) sur le toit produit 117,5 kWhep/m².an. Les consommations d’énergie atteignent 4 kWh/m².an pour la VMC, 8,8 kWh/m².an pour l’éclairage, 5,3 kWh/m².an pour l’ECS et seulement 1,3 kWh/m².an pour le chauffage. Soit un total de 19, 4 kWh/m².an pour les 5 usages de la RT, ce qui produit un Cep du bâtiment égal à -98,7 kWh/m².an

 

Enertech explique en détail les coûts de fonctionnement de la première année d’exploitation de son nouveau siège LowCal. L’installation photovoltaïque de 153 m² (24 kWc) a coûté 39 596 € HT, tout compris, dont 38 897 € HT pour le lot photovoltaïque proprement dit et 1 329 € HT pour le raccordement au réseau Enedis. Enertech a choisi de revendre de la totalité de sa production photovoltaïque à Enedis, sans autoconsommation.

 

Une dépense d'exploitation de 1,8 €HT/m2 la première année

 

Au cours de la première année d’exploitation, d’août 2016 à Août 2017, la consommation d’énergie du bâtiment (exclusivement de l’électricité) a atteint 3 617 kWhEF, soit 509 €HT. Il faut ajouter à ce montant 297 € HT d’abonnement (9 kWA) pour l’électricité soutiré au réseau et 58 € HT d’abonnement pour l’injection de la production photovoltaïque dans le réseau Enedis.

 

La seule autre dépense d’exploitation au cours de la première année a été le changement de 42 filtres des caisson double-flux décentralisés par pièce : 298 € HT. La dépense totale d’exploitation pour la première année se monte donc à 1162 € HT, soit 1,8 €HT/m².an.

 

Au cours de la même période, la revente de l’électricité photovoltaïque a rapporté 5 170 € HT. Le gain d’exploitation la première année est de 4008 € HT, soit 6 €HT/m².an. L’installation photovoltaïque a été financée par un emprunt de 40 000 € à 2,3% d’intérêt par an sur 15 ans. Le remboursement au cours de la première année (intérêt + capital) s’est monté à 3 155 €. Frais financier compris, la première année d’exploitation se traduit donc par un bilan positif de 853 € HT, soit 1,3 €HT/m².an. LowCal est non-seulement un bâtiment Bepos, mais aussi un bâtiment à charges d’exploitation négatives.

 



Source : batirama.com / Pascal Poggi

L'auteur de cet article

photo auteur Pascal Poggi
Pascal Poggi, né en octobre 1956, est un ancien élève de l’ESSEC. Il a commencé sa carrière en vendant du gaz et de l’électricité dans un centre Edf-Gdf dans le sud de l’Île-de-France, a travaillé au marketing de Gaz de France, et a géré quelques années une entreprise de communication technique. Depuis trente ans, il écrit des articles dans la presse technique bâtiment. Il traite de tout le bâtiment, en construction neuve comme en rénovation, depuis les fondations jusqu’à la couverture, avec une prédilection pour les technologies de chauffage, de ventilation, de climatisation, les façades et les ouvrants, les protocoles de communication utilisés dans le bâtiment pour le pilotage des équipements – les nouveaux Matter et Thread, par exemple – et pour la production d’électricité photovoltaïque sur site.
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