Comment construire un IGH en bois neutre en carbone ?

Comment construire un IGH en bois neutre en carbone ?

Aussi étonnant que soit le nouveau centre culturel Sara de Skellefteå en Suède, la brochure éditée par les architectes au sujet du « budget carbone », et surtout ses résultats, interpellent.




Abriter de multiples usages dans un unique bâtiment dûment isolé contribue à réduire l’impact carbone à l’usage. ©Jonas Westling

 

White Arkitekter est devenu au fil des 70 dernières années un major de l’architecture en Suède. Cela lui a permis de créer un laboratoire, le White Research Lab, consacré à la R&D de l’entreprise. C’est elle qui a financé le calcul du budget carbone du récent centre culturel en bois de 76 étages, avec la collaboration du contractant général Hent, ainsi que d’autres intervenants et la municipalité de Skellefteå.

 

Il ne s’agit donc pas d’un organisme indépendant, et même la définition de la neutralité carbone relève de l’agence. Cela s’explique aussi par le manque international de normes pour ce type de calcul. Mais effectué à l’échelle de ce bâtiment emblématique de 27800 m2, il donne des indications intéressantes sur le poids carbone des différentes interventions, de la construction et des usages.

 

 

 

Vue virtuelle du complexe avec les modules en bois de l’hôtel protégés par une façade en verre.©Derome

 

Un bilan sans fiches INIES

 

Fondamentalement, il s’agit d’un bâtiment faisant la meilleure place au bois local, et équipé de 374 modules photovoltaïques. Sont pris en compte les émissions de carbone liées à la manufacture des matériaux et des produits de construction, et à la maintenance de toutes les surfaces chauffées, ainsi que celle des installations annexes qui desservent le bâtiment avec de la chaleur, du rafraîchissement ou de l’électricité.

 

Il s’agit en particulier de l’enveloppe, des structures porteuses et non-porteuses, des Analyse de cycle de vie de matériaux, produits et composants récupérées en accès libre ou en fonction des déclarations environnementales EPD. En clair, il n’est pas question ici de FDES de la base française INIES (CSTB).

 

 

Le bois est privilégié partout et cela augmente la séquestration carbone des matériaux. ©Patrick Degerman

 

Une pompe à chaleur propriété de la municipalité

 

Le bilan distingue entre les émissions liées à la construction (A1 etc.) et les émissions d’usage (B1 etc.). Pour les transports de produits et matériaux vers le site (A4), le département de recherche de White Arkitekter recourt à des données génériques, tandis que le transport du bois et du béton est calculé avec des données spécifiques à ce projet.

 

De même, pour le poste A5 relatif à l’énergie utilisée pour la construction, les calculs recourent à des données génériques. Pour ce qui est de l’énergie d’usage, les architectes se réfèrent aux demandes d’énergie d’un rapport préliminaire, mais mettent en jeu une pompe à chaleur propriété de la municipalité qui est censée couvrir environ 90% de la demande avec un coefficient de performance de 3,5.

 

Il en résulte, au regard de la programmation, une baisse de la demande de chaleur de 1623 MWh/an, mais une augmentation de la demande d’électricité de 464 MWh/an.

 

 

L’hôtel de 20 étages est flanqué par des accès en bois.©Patrick Degerman

 

L’impact d’une électricité non fossile

 

Ces impacts sont compensés, selon les architectes, par la production d’énergie renouvelable et par la séquestration de carbone dans les matériaux. Les panneaux photovoltaïques sont valorisés en fonction de calculs suédois sur le bénéfice du passage d’ici 2045 à une énergie électrique non fossile.

 

Le bénéfice de ce passage est évalué à 820 g CO2/kWh et les calculs de White prennent en compte la moitié de cette valeur publique.

 

 

Vue de l’hôtel au moment du montage des modules en CLT 3D. ©Derome

 

Une négativité carbone à 50 ans

 

Selon ces critères de calcul, les émissions totales du centre culturel sur 50 ans seront de 5631 tonnes de CO2 eq, soit 202 kg CO2/m2, mais ces émissions seront compensées par 10190 tonnes d’équivalent CO2, soit 366 kg CO2 eq par m2.

 

Quand on répartit le bénéfice de la séquestration carbone sur 100 ans, l’équation carbone annuelle devient neutre à partir de 50 ans, selon White Arkitekter.

 

 

Montage des modules 3D ©Derome

 

L’équation matériaux, séquestration, électricité renouvelable

 

Si l’on regarde le coût carbone des différentes actions, on relève que la séquestration carbone des matériaux, en particulier du bois, compense le coût carbone de l’ensemble des matériaux au triple : 3550 tonnes CO2 eq pour les matériaux, -9095 tonnes de CO2 eq pour la séquestration.

 

Cette séquestration par le bois est capitale dans le calcul, à l’horizon des 50 années d’usage. La contribution des panneaux photovoltaïques n’est que de 1095 tonnes CO2 eq en comparaison.

 

Le faible poids du transport et de l’énergie d’usage

 

Le transport, ici fortement réduit, ne joue presque aucun rôle dans l’addition, avec seulement 25 tonnes de CO2 eq. C’est 20 fois moins que le bilan carbone de la construction sur site, qui, elle représente seulement un tiers de l’énergie utilisée en usage (il est vrai que le bâtiment est proche du cercle polaire arctique).

 

Mais cette énergie d’usage ne représente que la moitié du poids carbone des matériaux et de leur production.

 

La façade est un poste lourdement émissif

 

Les architectes répartissent les émissions à la fois par type d’ouvrage et par type de matériau. Comme on pouvait le prévoir, 41% des émissions de la construction se rapportent aux fondations, 25% à la façade, plus 5% pour le toit, soit 76% pour les fondations et l’enveloppe.

 

La structure verticale, ici en bois, ne pèse que 11%, moins que la dalle (14%). Et comme c’était à prévoir, en termes de matériaux, le béton pèse 42% du total des émissions de construction, le verre 23%, le bois 16% devant l’acier (12%). La part du béton étant ramenée aux fondations, on note l’impact du verre qui protège une grande partie de la façade en bois.

 

La prise en compte du carbone biogénique est décisive

 

Bref, la séquestration du carbone par le bois, dans un ouvrage adoptant le bois à large échelle, est capitale pour le bilan carbone. Pour autant, dans les calculs internationaux, cette séquestration n’est pas valorisée, parce que les calculs tablent sur la restitution du carbone dans l’atmosphère a un moment ou à un autre.

 

La RE2020 a voulu prendre en compte le poids de ce carbone biogénique mais elle avance avec prudence. Pourtant, on ne prend même pas en compte que la vente de bois permettant la construction génère la replantation et la captation de carbone sur une longue durée par les parcelles où le bois a été récolté.   

 

Une transposition française possible

 

Si l’on transpose l’équation de White Arkitekter en France, évidemment, on n’arrive pas aux mêmes résultats. Même en tablant sur un mode de construction identique, le coût carbone de la production des matériaux et de leur transport risque d’exploser.

 

Par contre, l’énergie d’usage et la performance des panneaux photovoltaïque sont sans doute comparables en tenant compte des besoins de rafraîchissement, et surtout, la mesure de la séquestration de carbone dans le matériau bois reste la même.

 

Sous réserve d’admettre la méthodologie de l’agence, et en tenant compte de la marge de neutralité calculée pour le bâtiment construit près des forêts boréales, on peut estimer qu’un centre culturel construit en France serait également neutre en carbone. Mais c’est évidemment sans préjuger de l’impact des mesures de protection contre l’incendie qui pourraient être éventuellement préconisées chez nous.




Source : batirama.com/ Jonas Tophoven

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