Transition environnementale : les causes de la dérive des coûts de construction

Transition environnementale : les causes de la dérive des coûts de construction

Le territoire de Marne-la-Vallée développe un aménagement fondé sur l’innovation : construction bois, densité urbaine… Une récente étude technico-économique clarifie les causes de la dérive des coûts.




Légende photo : Le retour d’expérience sur la vingtaine de projets terminés ou en cours a permis de balayer toutes les sources de dérive des coûts de construction, tant techniques qu’organisationnels. © photo Woodeum.

 

Appliquée à l’aménagement et à la promotion immobilière, la transition environnementale connaît quelques écueils. C’est ce qu’a constaté EpaMarne-EpaFrance sur le territoire de Marne-la-Vallée.

 

Cet établissement public d’aménagement officie sur 44 communes de l’est parisien, de Champigny-sur-Marne (Val-de-Marne) jusqu’aux limites de Meaux (Seine-et-Marne). Depuis le milieu des années 2010, il se fait fort de proposer des immeubles en phase avec les principes environnementaux et de développement durable.

 

L’une des mesures emblématiques a été de porter haut le principe des constructions intégrant le plus fortement possible le matériau bois. Sauf qu’au cours des dernières années, les promoteurs engagés sur certaines opérations ont fait remonter des dérives de coûts de construction dans une fourchette de +5 à +20 %. Ce, sans pouvoir imputer rationnellement ces surcoûts.

 

Est-ce le fait d’un cumul d’innovations, qu’il s’agisse des matériaux ou des techniques constructives ? Le programme a-t-il une influence ? Les partis pris architecturaux ont-ils des effets inflationnistes ? Les labels et certificats énergétiques et environnementaux sont-ils en cause ? L’affaire est d’importance, car ces contre-performances peuvent briser l’élan impulsé en matière de priorités environnementales.

 

Un retour d’expériences sur 20 opérations en ZAC

 

Rien de tel qu’un temps d’observation pour discriminer les bonnes réponses à ces questions. L’an passé, EpaMarne-EpaFrance a lancé un marché d’études portant sur l’analyse technico-économique de vingt opérations d’aménagement en ZAC et construites depuis 2015, soit quelque 3 000 logements.

 

L’étude devait ainsi déterminer le coût de construction de base et les facteurs de leurs variations, notamment ceux liés aux solutions innovantes. Ces chantiers devaient être comparés (on dit « benchmarker ») à ceux d’autres aménageurs publics et privés d’Île-de-France pour révéler les divergences.

 

Ces observations devaient donner lieu à des recommandations opérationnelles. Ce travail a été mené, mi-2019, par un groupement de trois entreprises : le cabinet d’analyse de données Adequation, pilote du projet ; le bureau d’études Overdrive, spécialisé en économie de la construction ; et l’agence d’architecture A003 Architectes.

 

Une évolution des coûts de 7 % sur les 5 dernières années

 

Fondamentalement, le groupe d’enquête souligne clairement une évolution structurelle des coûts de l’ordre de 7 % au cours des 5 dernières années. Et en focalisant sur l’Île-de-France, il charge ce tableau clinique des impacts du lancement des grands projets d’aménagement parisiens (jeux olympiques, Grand Paris Express) et du renchérissement de l’énergie et des matériaux de construction.

 

Pour autant, pour affiner les réponses, quatre grandes familles de postes de dépenses ont été soigneusement établies avant d’éplucher les dossiers :

 

  1. les coûts en superstructure : ils comprennent les critères de densité – fondé sur le ratio de la surface de plancher sur celle de l’emprise foncière – de taille (nombre de logements du T1 au T4 ou plus), de leur typologie (traversants ou non) et de la qualité de la façade ;

 

  1.  les coûts du système constructif : est-il exclusivement béton, mixte ou intégralement bois ?

 

  1. les coûts en infrastructure et en voirie – réseaux divers (VRD) : plusieurs sous-critères tiennent ainsi compte des fondations (superficielles, profondes), des niveaux de parking en sous-sol et du nombre de places, mais aussi de la topographie – un terrain en pente occasionnera plus de dépenses qu’un terrain plat… ;

 

  1. les coûts de la performance énergétique : quelles énergies sont localement disponibles pour approvisionner les ouvrages (gaz, électricité, biomasse…) ; quelles sont les ambitions énergétiques en termes de consommation – Cep de −10 %, −20 %, −50 % ; quelles sont les ambitions en termes de bilan bioclimatique (le Bbio de la RT 2012) : -20 %, -40 %, -60 % ?

 

 

Le groupement d’études prestataire d’EPA Marne EPA France, composé d’Adequation, Overdrive et A003 Architectes, a puisé dans les dossiers d’une vingtaine d’opérations menées sur l’ensemble des communes dans le périmètre de l’aménageur.

 

Les choix de superstructure lourdement impactants

 

Quelle répartition des coûts fait apparaître la moyenne dressée par le calcul des économistes ? Le montant médian des opérations s’établit à 1 900 €ht/m² de surface de plancher ; l’éventail s’étend de 1 600 à 2 800 €ht/m² SdP.

 

Les choix programmatiques, qu’il s’agisse de la densité, de la compacité, la taille ou la typologie des logements sont primordiaux. Ainsi, les coûts de superstructure compte pour 59 % de la dépense ; les coûts d’infrastructure et d’aménagement extérieurs, 23 % ; et les coûts liés aux fluides (électricité, chauffage, ventilation, ascenseurs, production d’énergie…), 18 %.

 

Les auteurs de l’étude le soulignent : les choix en matière de superstructure sont lourdement impactants sur le projet, et les choix au lancement du projet sont déterminants. Ils citent notamment « les coûts liés aux infrastructures de parking qui sont de l’ordre de 11,5 % en moyenne sur le coût total de construction.

 

Le choix de parking enterrés sur deux niveaux pénalise fortement le coût d’une opération, alors qu’il serait tout à fait possible d’offrir la même capacité de stationnement en choisissant des modalités différentes comme des parkings silos à proximité, des places couvertes en extérieurs… »

 

Construction bois : entreprise générale ou entreprise spécialisée ?

 

Un mode constructif économe en carbone, telle la construction bois, déséquilibre-t-il le bilan financier d’une opération ? L’analyse fait apparaître que le choix de matériaux biosourcés renchérit le poste superstructure en moyenne de 160 €ht/m² SdP ; l’impact sur le coût global est écrêté à 100 €ht/m² SdP sur une construction 100 % bois.

 

En réalité, les choses doivent être appréciées avec subtilité. Car les auditeurs de ces opérations remarquent que, pour un prix d’achat des matériaux plus élevé, l’équilibre tient au partenariat entre le constructeur et son fournisseur.

 

Ce qui signifie qu’une opération 100 % bois pilotée par une entreprise générale serait handicapée par défaut de relation commerciale et afficherait des surcoûts. Et les entreprises, plus rares, qui maîtrisent de longue date la conception et la construction de ce type d’ouvrage trouvent plus facilement l’équilibre financier.

 

Densité des îlots et compacité des immeubles impactent les coûts

 

A contrario, l’étude révèle que quatre opérations au coût de superstructure élevé ne privilégient pas particulièrement le matériau bois ; trois d’entre elles voient leurs coûts impactés essentiellement par la densité des îlots et la compacité des immeubles.

 

En clair, c’est l’accès matériel et logistique au site qui renchérit la production. Infrastructures, fondations et topographies complexes coûtent chères. À dire vrai, la filière bâtiment le savait déjà. Mais ce travail permet de valoriser ces critères plus finement.

 

Mohamed Madjidi, économiste de la construction chez Overdrive, parle cependant à ce sujet d’« effets cliquet » : « Pour une taille de parcelle donnée, au-delà d’un seuil du nombre de logements, l’opération devient moins rentable. Elle demande des infrastructures supplémentaires, un étage de sous-sol en plus, du cuvelage… Ce qui crée des difficultés de gestion de chantier. Plus la parcelle est petite, plus les critères retenus dans l’étude font apparaître des effets cliquet. »

 

Enfin, l’addition de partis pris programmatiques coûte chère en superstructure. Les opérations qui ressortent avec les montants les plus élevés sont celles qui cumulent un système de construction bois ou mixte (bois-béton), une forte densité sur l’îlot foncier, une majorité de petits logements (T2/T3), une double orientation des logements et une façade de haute qualité architecturale…

 

Performance environnementale : le mieux, ennemi du bien

 

Globalement, dans l’étude commandée par EpaMarne-EpaFrance, les exigences énergétiques des aménageurs n’apparaissent pas en tête des causes de surcoûts des opérations ; les surcoûts sont même qualifiés d’« indolores ». On y souligne qu’une opération avec biomasse renchérit le poste de 150 €ht/m² SdP.

 

Pour autant, les extrémistes du coefficient Bbio en sont pour leurs frais. Trois opérations se distinguent par des coûts énergétiques de plus de 400 €ht/m² SdP – pratiquement 25 à 30 % de plus que la moyenne – principalement en raison de Bbio entre -40 % et -60 % par rapport à la référence en RT 2012.

 

Les auteurs de l’étude soulignent qu’« à conditions d’approvisionnement énergétique égales, des opérations à -50/-60 % Bbio représentent un surcoût de 150 à 200 €ht/m² SdP par rapport aux opérateurs qui sont à un objectif de -40 %. »

 

Bien gérer le chantier pour contenir les surcoûts

 

Si cela ne porte que sur 10 % des surcoûts, le management des chantiers et le mode de passation des marchés concourent de manière notable à maîtriser les dérives financières des travaux. Très clairement, les bailleurs sociaux en maîtrise d’ouvrage directe qui délèguent les opérations aux entreprises générales sont désavantagés.

 

De même, conclut l’étude, les coûts de construction sont systématiquement impactés à la hausse lorsqu’il s’agit de très grandes opérations.

 

Quelles organisations tirent leur épingle du jeu ? Les promoteurs constructeurs d’envergure nationale, qui généralement disposent de services techniques pour concevoir et suivre les chantiers, parviennent à des coûts faibles en négociant des marchés de travaux en lots de gros volume et distincts.

 

De même, les opérateurs, qualifiés « à taille humaine » par les auteurs de l’étude, maîtrisent aussi les coûts en négociant leurs achats. Quant aux majors de la construction, leurs expériences analysées montrent des démarches très différentes selon l’entreprise et l’opération. Aucune conclusion n’est tirée.

 

Un point d’étape utile

 

« Cette étude nous a rassurés », indique Laurent Girometti, directeur général d’EpaMarne-EpaFrance. Il faut dire que ses intérêts sont multiples. En premier lieu, l'étude invite à traiter en priorité et le plus en amont possible la superstructure des projets pour maîtriser les partis pris retenus.

 

En deuxième lieu, le travail sur le volet infrastructure et VRD invite à adapter le triptyque forme urbaine, nombre de logements et stationnement. En troisième lieu, la performance énergétique peut produire des surcoûts mais ses effets ne sont pas rédhibitoires.

 

En revanche, les facteurs exogènes aux opérations telles que les conditions de réalisation des travaux méritent plus d’attention. L’aménageur lui-même envisage de modifier son comportement en développant un accompagnement des opérateurs et en l’invitant à faire évoluer son organisation du travail pour maîtriser les coûts.

 


Source : batirama.com / Bernard Reinteau

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