On ne ressort pas d’un passage sur le site du championnat de France de soudure sans quelques maux de gorge… Imaginez une grande salle circulaire au centre de laquelle 40 soudeurs émérites s’activent pendant une heure, voire deux pour les dernières épreuves, à assembler parfaitement des pièces d’acier, d’aluminium ou d’inox avec les procédés industriels tels que électrode enrobée, TIG (Tungsten Inert Gas) et MIG-MAG (Metal Inert Gas - Metal Activ Gas). La hauteur sous plafond est importante, les portes latérales sont grandes ouvertes, mais pendant la compétition, la qualité de l’air n’est pas vraiment au top.
Pour les concurrents, c’est évidemment bien pire que pour le spectateur. Car pour corser le tout et reprendre des postures possibles en milieu industriel, les parcours sont "durcis" par des gênes opératoires (des tubes placés de part et d’autre des éléments à souder pour simuler un encombrement) ou une faible hauteur de travail (1,2 m...). Une véritable épreuve physique quand on mesure 1,8 m et que l’on opère couvert d’équipements de protection idoines de la tête aux pieds… Les trois épreuves de ces finales cumulent quatre heures de soudage.
Championnat de France Soudure 2025. © Vidéo YouTube / Photos et montage by Bernard Reinteau
Les compétiteurs rassemblés les 23 et 24 mai derniers dans le grand hall des Arènes de Poitiers pour cette finale ont déjà subi une longue et imposante sélection : des épreuves de connaissances théoriques en décembre dernier, des qualifications pratiques de février à mi-avril. Près de 500 concurrents se sont prêtés à ce jeu pour cette troisième édition biennale animée par l’association française de la promotion de la soudure (AFPS). Cette structure est présidé par Mehdy Addad, coordinateur en soudage chez Beirens, un constructeur de conduits de fumée industriels du groupe Poujoulat.
Medhy Addad, ici en photo, le président de l’Association française de la promotion de la soudure. "La finale de la compétition rassemble l’élite de la profession, des soudeurs de 19 à 65 ans." © Bernard Reinteau
Les présents pour ces deux jours, de 19 à 65 ans, se partagent entre quatre "parcours" :
– 111 pour l’emploi d’électrodes enrobées,
– 13X pour le MIG, MAG et fil fourré (131, 135 et 136),
– 141 pour le TIG,
– et, épreuve reine des cadors du métier, le 3P pour "trois parcours" qui rassemble les trois techniques.
Pour chaque catégorie, la compétition compte trois épreuves : deux d’une heure la première journée, une de deux heures la seconde.
En observant l’environnement de cet événement, on s’aperçoit rapidement que le sérieux l’emporte largement sur le jeu. Les indices sont nets. En premier lieu, la lecture des noms des entreprises partenaires de l’événement en impose : EDF, Framatome, Alstom, Naval Groupe, Monteiro, Safran, Chantiers de l’Atlantique, Altrad… pour citer les acteurs impliqués dans l’énergie, l’aéronautique, la construction maritime civile et militaire. La plupart des finalistes du championnat sont d’ailleurs issues de leurs équipes et de leurs écoles de formation internes.
En deuxième lieu, pour départager ces aristocrates de la soudure, l’organisateur met les moyens. Le déroulement des épreuves est placé sous la direction de Cécilia Ftaich, spécialiste nationale du consulting et de la formation en soudage au sein de l’entreprise Asalli. Son rôle est de rassembler et valider toutes les données transmises par les membres des jurys : les uns scrutent les manières de procéder des candidats durant les épreuves, d’autres inspectent les pièces rendues dans le moindre détail, les derniers les auscultent de manières très approfondies, par ultrasons et radiographie.
En troisième lieu, l’ambition de cette compétition est aussi de présenter les intérêts de ce métier : réaliser des constructions d’exception (construction et maintenance dans le nucléaire, fabrication de turbines d’hélicoptère, assemblage de paquebot…), trouver une voie professionnelle et exprimer ses talents.
Les épreuves sont notées sur la base d’un capital de 700 points par trois jurys : un premier disposé près des concurrents, le deuxième qui examine visuellement chaque pièce réalisée et un troisième qui réalise une analyse des soudures par ultrasons et radiographie. Les évaluations sont reportées auprès de la directrice de la compétition, Cécilia Ftaich, chargée d’établir le décompte final. © Bernard Reinteau
Pour les partenaires, l’occasion est trop belle de présenter les métiers et les opportunités par le biais des recrutements. Pour Mathieu Beaujon, responsable du pôle soudure chez EDF, "la filière nucléaire a annoncé l’embauche de 1 800 soudeurs". Plus largement, ce secteur s’attend à la relance de la création de site et a besoin de personnels pour la maintenance, et il a déjà annoncé un besoin, tous métiers confondus, de 10 000 embauches par an, 100 000 pour les dix prochaines années. Chez Monteiro, Mickaël Gimeno, responsable des ateliers de production de Saint-Paul-les-Trois-Châteaux, estime que le championnat est l’occasion d’informer les spectateurs que 200 postes sont ouverts dans les trois entreprises du groupe (Monteiro, CTI et Secomoc). Elles travaillent dans les secteurs les plus pointus de l’industrie (nucléaire, construction maritime). Un événement comme ce championnat compte parmi les moyens de convaincre les entrants.
Pour des fournisseurs de ces acteurs, comme Rubix, présent partout en France, la démarche est stratégique : "c’est le moyen de rappeler nos engagements auprès des industriels très exigeants tout en présentant l’évolution de notre catalogue", résume Bertrand Coffy, directeur de la région Ouest de ce distributeur.
Les pièces du concours exécutées par les candidats sont mises en évidence devant le public. © Bernard Reinteau
Comme beaucoup, cette profession de la soudure est en tension. Pour palier le manque de personnels, les écoles de formation internes jouent un rôle crucial. Plusieurs étaient présentes autour des boxes de compétition : Hefaïs, dite "Haute école de formation au soudage", mise sur pied par EDF, Orano, Naval Group, CMN (Constructions mécaniques de Normandie) ; celles développées en propre par les groupes Monteiro ou Altrad-Endel. Dans cette dernière entreprise, l’une des écoles est dirigée par Sébastien Aulay et basée à Avoine (37), près de la centrale nucléaire de Chinon.
Ces établissements ont pour vocation de recruter des candidats et de les amener à passer le certificat de qualification paritaire de la Métallurgie, dit CQPM, qui leur ouvrira les portes des chantiers. "Ce sont des formations qui demandent de la vigilance lors du recrutement", explique Sébastien Aulay. "Elles se déroulent en alternance et comprennent une formation théorique de 420 heures. Les candidats doivent avoir un projet construit, car pour nous, l’investissement est de l’ordre de 30 à 35 000 € par candidat." De tous âges, les personnes intégrées viennent de divers horizons. Cependant, ceux qui maîtrisent les activités manuelles sont reconnues comme ayant les meilleures aptitudes : tailleurs de pierre, menuisiers, bouchers, voire des bricoleurs chevronnés. Pour cette entreprise impliquée dans des chantiers nucléaires, le savoir-être, un casier judiciaire vierge et la possession du permis de conduire sont mis en avant.
Alexandre Papadimopoulos, directeur technique d’Altrad, et Sébastien Aulay, directeur de l’école des métiers d’Altrad, à Avoine (37) ici en photo. "Les métiers de la soudure sont fondamentaux pour nos activités, en industrie ou dans le nucléaire. Cette manifestation permet de leur donner de la visibilité. Nous recrutons des personnels à la recherche d’un projet professionnel construit, et nous investissons dans leur formation." © Bernard Reinteau
La profession à besoin de bras, et sa féminisation vient à la rescousse des entreprises. Au sein d’EDF, Stéphanie Reynaud, ingénieur soudeur en charge de la mécanisation du soudage pour les futures centrales nucléaires EPR, était aussi sur le stand de son entreprise pour présenter l’initiative Weldies, contraction de weld et ladies, soudages et femmes… en anglais, of course. Ce groupe rassemble 31 femmes responsables de soudage chez EDF, Framatone et Edvance, cette dernière étant filiale des deux premières et conceptrice des éléments nucléaires des EPR. L’initiative est portée au niveau national sous le nom plus explicite de Weld Ladies. Elle compte 87 membres des secteurs de l’industrie, du bâtiment et de l’énergie et ambitionne de rassembler tous les secteurs d’activités et tous les niveaux – des étudiantes aux ingénieures – pour débattre des sujets relatifs à la féminisation de cette profession.
Stéphanie Reynaud, EDF, responsable de Weldies. "La profession a besoin de bras et se féminise. Des étudiantes aux ingénieures, des femmes passionnées de soudure se rassemblent pour débattre de leur métier et le rendre attractif." © Bernard Reinteau
Pour sa part, l’Académie de Poitiers développait un stand pour présenter les formations au soudage et les métiers aux quelque deux-cents collégiens de 4e et de 3e des commues voisines invitées pour cette manifestation. "Nous sommes aussi présents pour maintenir nos relations avec les entreprises locales", indique Jacques Hobart, chef de travaux au lycée Paul-Gérin, à Niort. Parmi les outils pédagogiques figuraient le simulateur en réalité virtuelle de Fronius. "Cet équipement permet de découvrir le soudage et aussi d’acquérir les premiers automatismes sans risques et avec une économie de moyens", explique Jean-Marie Sicchiero, responsable technique chez Fronius. "Lors du recrutement, il permet aussi de rapidement mettre en avant le potentiel de la personne qui le manipule". Disposé en plusieurs endroits sur ce championnat, il se compose d’un ordinateur logé dans un coffret imitant un poste de soudure, d’une torche, d’un support "à souder", d’un casque de réalité virtuelle et d’un écran. Intérêt principal : il est possible de revoir la séquence de soudure pour apprécier l’apprentissage : vitesse, précision, etc.
Plusieurs postes de soudure en réalité virtuelle étaient disposés autour des boxes du championnat. Un moyen de découvrir le métier en toute sécurité. © Bernard Reinteau
La soudure est un métier exigeant, mais elle offre aussi l’occasion de s’exprimer. En témoignent les productions de Julien de Sousa, qui travaille au sein des Esat gérés par l’Unapei (Union nationale des associations de parents, de personnes handicapées mentales et de leurs amis) de Charente-Maritime. Sur le stand de présentation de ces établissements étaient présentés deux guitares, une électrique et une sèche, composées de pièces métalliques récupérées et soudées : tôles perforées, engrenages, bielles, plateaux et pignons de vélos, roulement à billes, chaînes de motos et de vélos… De vraies créations. Cyril Freygefond, chef de service des deux sites Esatco de Saint-Ouen d’Aunis et de Périgny, près de La Rochelle, a d’ailleurs reçu de l’organisateur du Championnat la commande des six trophées à remettre aux gagnants de 2025. Cinq membres des Esat ont participé à ces créations : Julien de Sousa, Guillaume Abreu, Florian Baradeau, Rédouanne Choukry et Damien Naud.
Julien de Sousa, soudeur aux EsatCO de La Rochelle, présentait deux de ses créations, des guitares réalisées avec des pièces récupérées. © Bernard Reinteau
Retour à la compétition. Pour les compétiteurs, l’épreuve est intense : "c’est le résultat d’un long entraînement", résume Ridvan Temen, 19 ans et depuis 18 mois dans le groupe Monteiro, finaliste du parcours 141 (soudage TIG) . "Il faut se concentrer et automatiser le geste tout en maintenant la qualité de la soudure. Il faut beaucoup de confiance en soi, réfléchir à ce que l’on fait, mais surtout agir vite."
Pour Léo Demazeau, soudeur chez Naval Group depuis 2015 et finaliste du parcours 111 (électrode enrobée), "à chaque épreuve, c’est une remise en question. Il fait très chaud sous les équipements de protection – casque, veste, pantalon, gants –, nous sommes dans des postures imposées qui reproduisent nos conditions de travail et nous avons une forte pression : qualité, délai. C’était cela pendant les éliminatoires et évidemment le cas pendant ces finales…"
Léo Demazeau, ici en photo, le candidat du "Parcours 111" (arrivé 5?) : "il faut de l’entraînement avec un moniteur chevronné, car ces épreuves provoquent beaucoup de remise en question. Avec la pression due aux exigences, aux délais, aux postures, au port des équipements de sécurité, c’est un très gros effort mental et physique." © Bernard Reinteau
Les résultats très précisément calculés sur un capital de 700 points ont été livrés le 24 à 17 heures. Le parcours 111 a été remporté par Filipe Casanova (Groupe Monteiro) avec une note de 675,67 points ; le parcours 13X a été menée par Augusto Garcia (Chantiers de l’Atlantique) avec 675 points ; le parcours 141, par Pierre-Marie Ponnelle (Sotech Technologies Services) avec le très haut score de 693,99 points. Le parcours "3 procédés" a récompensé Sébastien Menguy (Altrad-Endel), médaille d’or avec 687,33 points, Bryan Vantoum (Groupe Monteiro), médaille d’argent avec 629,67 points et Jules Scigliano (Naval Groupe), médaille de bronze avec 625,84 points.
Les gagnants du championnat : de gauche à droite, Augusto Garcia (Chantiers de l’Atlantique), Filipe Casanova (Groupe Monteiro), Jules Scigliano (Naval Groupe), Pierre-Marie Ponnelle (Sotech Technologies Services), Sébastien Menguy (Altrad-Endel) et Bryan Vantoum (Groupe Monteiro). Les six trophées remis aux gagnants du championnat ont été créés par des soudeurs des EsatCO de La Rochelle : Julien de Sousa, Guillaume Abreu, Florian Baradeau, Rédouanne Choukry et Damien Naud, avec leur chef de travaux. © Bernard Reinteau
L’organisation des épreuves dans les Arènes de Poitiers a été appréciée des participants, et l’édition 2027 du championnat pourrait à nouveau s’y dérouler. L’ajout d’un bon système d’extraction des fumées pourrait contribuer à faire venir le grand public.
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Bonsoir Pierre-Marie, toutes nos félicitations ainsi qu’à tous les autres lauréats. Désolé pour l’erreur qui a été immédiatement corrigée suite à votre signalement. En espérant que vous voudrez bien accepter nos plus plates excuses. Bravo et à très bientôt. Cordialement L’équipe Batirama.com