Enfouissement des déchets du BTP : une pratique vouée à disparaître ?

Combien de temps encore l’enfouissement des déchets du BTP va-t-il perdurer ? Les pouvoirs publics font tout pour rendre cette pratique moins intéressante, mais encore faut-il développer les autres alternatives.

Un à un les sites d’enfouissements ferment. En prenant le cas de l’Île-de-France, quatre Installations de Stockage de Déchets Non Dangereux (ISDND) – destiné par exemple au bois ou aux plastiques – ont déjà fermé depuis 2022 et les cinq restants devraient tous fermer dans les 25 prochaines années. Même dynamique pour les Installations de Stockage de Déchets Inertes (ISDI) – destinés par exemple au béton – dont le nombre est passé de 18 à 11 en Île-de-France. Les arrêtés préfectoraux révèleront si les sites restant seront reconduits lorsqu’ils arriveront à échéance.

En France, la tendance à la fermeture des sites d’enfouissement se confirme de partout. L’étude de préfiguration de la REP-PMCB recensait 600 ISDI en 2020, alors qu’il en existait près de 1 200 en 2016, ce qui signifie qu’en l’espace de quatre quatre ans seulement la moitié des sites ont fermé. Quant aux ISDND, les derniers chiffres de l’ADEME de l’enquête ITOM 2022 en recensait 165 ISDND en France, contre 218 en 2016 (- 24 %).

Or l’enfouissement demeure une pratique toujours courante dans le BTP, même si le taux de recyclage et de valorisation augmente d’année en année. Mais "cette pratique va perdre tout court", témoigne un gestionnaire d’un site d’enfouissement pour le BTP. "Les sites qui existent aujourd’hui, vont aller jusqu’à leur fin de vie. Mais il n’y en aura plus jamais de nouveaux à ouvrir". La question qui demeure : l’appareil productif du recyclage sera-t-il bientôt opérationnel pour capter les millions de tonnes de déchets du BTP ?

 

Légende : évolution du parc des Installations de stockage des déchets non dangereux et des capacités annuelles de stockage. Source : Ademe, déchets chiffres-clés, 2020

 

 

 

Déchets du BTP enfouis : de quoi s’agit-il ?

Les déchets enfouis du BTP se répartissent en trois principales catégories.

 

 

Les déchets inertes

Les déchets inertes, représentés en grande majorité par les terres excavées, le béton, les tuiles, pierres, céramiques… Ces déchets représentent l’immense majorité des déchets du BTP et ont l’avantage de rester stables dans le sol. Leurs installations dédiées, les ISDI, représentaient 83 % des installations d’enfouissement en 2016. En 2014 selon le Service des données et études statistiques (dernières statistiques en date, la nouvelle étude étant actuellement en cours), 13 % des 211,3 millions de tonnes de déchets inertes du BTP étaient enfouis.

 

Les déchets non-inertes et non-dangereux

Les déchets non-inertes, c’est-à-dire des déchets qui peuvent subir une transformation physico-chimique dans le sol comme le bois, le plastique, le métal… Ces déchets nécessitent une installation lourde pour empêcher l’infiltration dans le sol de ces déchets en décomposition ainsi qu’un réseau de tuyauteries pour récupérer les gaz. Les installations dédiées à ces déchets, les ISDND, représentaient 16 % du parc en 2016. En 2014, 4 % 13,3 millions de tonnes des déchets non-inertes du BTP étaient enfouis.

 

Les déchets inertes, terres excavées, béton, brique, tuile ou céramique représentent l’immense majorité des déchets enfouis du BTP. © Unsplash

 

Les déchets dangereux

L’enfouissement des déchets dangereux comme l’amiante se réalise dans des Installations de stockage de déchets dangereux, représentant 1 % du parc de l’enfouissement en 2016.

En théorie, tous les déchets du BTP sont censés éviter l’enfouissement et doivent être triés en huit flux : métal, plastique, bois, verre, papier/carton, fractions minérales comme le béton, la brique ou la céramique, le plâtre et enfin le textile depuis 2025. Cependant, des dérogations existent et permettent dans certains cas, et notamment par manque d’espace disponible pour les bennes de tri, de déroger à ce tri. Or, le nerf de la guerre demeure le tri… Ces déchets se retrouvent tellement mélangés qu’il devient impossible ou trop coûteux de les trier pour les recycler ou les revaloriser. Mais l’État entend bien changer cette donne.

 

 

 

À terme, enfouir une tonne de déchets deviendra trop cher

"La TGAP (taxe générale sur les activités polluantes) s’envole", explique la Fédération Française du Bâtiment. "L’objectif de cette taxe est d’augmenter les coûts d’enfouissement pour rendre les filières de valorisation plus compétitives". Pour rappel, les acteurs du BTP qui souhaitent se délester d’une benne en mélange destinée à l’enfouissement doivent s’acquitter d’une taxe fixée en 2025 à 65 € la tonne, en plus du prix à la tonne fixé par le centre de traitement.

En l’espace de cinq ans, cette taxe a presque triplé depuis 2020 où elle s’élevait à 25 € la tonne enfouie. Le budget 2026, actuellement en discussion, prévoit de poursuivre cette inflation de l’enfouissement, pour atteindre 105 € la tonne d’ici 2030.

Évolution du coût de la TGAP selon le mode de traitement. Source : AMORCE 2019

 

 

Parallèlement, l’État double la pression en réduisant les quotas de déchets acceptés dans les ICPE (Installation Classée pour la Protection de l'Environnement) d’enfouissement. Ces quotas étant fixés par l’État via les DREAL, les centres ne peuvent accueillir plus de tonnage que leur permet l’arrêté. "La diminution de ces quotas a pour conséquence que les ICPE d’enfouissement factureront plus cher car il y a moins de place", ajoute la FFB. "À terme, il n’y aura pas d’autres solutions : il faudra que les entreprises trouvent d’autres exutoires alternatifs à l’enfouissement pour évacuer leurs déchets".

 

 

 

L’ambitieux chantier du recyclage des déchets

D’un autre côté, l’ouverture des centres de recyclage demeure un sujet aussi sensible que celui de l’enfouissement (les "Centre d’enfouissement techniques" avaient troqué leur nom pour le terme plus nuancé "d'Installations de Stockage", il y a une quinzaine d’année). "Les PLU prévoient de moins en moins de zones dédiées au recyclage des déchets", poursuit la FFB. "Le combat est presque aussi difficile pour ouvrir une installation de recyclage ou de valorisation car personne ne veut de déchets à côté de chez soi."

Malgré cette difficulté, la dynamique reste tout de même encourageante, concernant toutes les matières du BTP sujettes à l’enfouissement. Dans le cas de la terre excavée – considérée comme un déchet du BTP – les carrières à combler sont nombreuses et prendre le rôle des ISDI (la terre excavée utilisée en réaménagement de carrière n’est pas considérée comme de l’enfouissement). "En Île-de-France, la moitié des terres excavées est enfouie dans les ISDI", explique Maxime Kayadjanian, spécialiste enfouissement des déchets ORDIF. "Le reste sert de réaménagement de carrière et 5 % est recyclé, c’est-à-dire transformé en terre fertile pour végétaliser les villes par exemple."

Quant au béton, briques, céramiques et autres déchets inertes, leur concassage pour recréer de la nouvelle matière démarre lentement mais sûrement. Les producteurs de granulats comme Lafarge prévoient ainsi d’augmenter de 50 % leur quantité de granulats recyclés d’ici 2030 par rapport à 2023 (l’entreprise produit actuellement 1 million de tonnes de granulats recyclés et 20 millions de tonnes de granulats vierges). Le baisse du prix des machines de tri pour évincer les impuretés sera l’élément clé pour industrialiser le process.

 

 

 

Augmenter les capacités des exutoires

Concernant le plâtre (déchet non-inerte et polluant), les quantités récoltées sont telles que les exutoires sont saturés et les surplus enfouis. De 280 000 tonnes de plâtre collectées en 2025 selon les anticipations de l’éco-organisme Valobat, la quantité devrait s’envoler à 400 000 tonnes d’ici deux ans. Des investissements massifs sont en cours pour rajouter cinq centres de recyclage d’ici fin 2026 aux douze existants actuellement en France.

Ce manque de capacités de recyclage concerne aussi le déchet bois, matière abondante en France. Sur un gisement de 7,4 millions de tonnes collectées chaque année – dont 2,5 issus du BTP – environ 1,6 million sont éliminés par enfouissement selon les chiffres de l’Ademe de 2024. Comme pour le plâtre, les capacités de recyclage du bois devraient considérablement augmenter d’ici 2028 passant de 1,6 million de tonnes à 2,5 millions de tonnes.

Autre fait encourageant, les entreprises sont de plus en plus nombreuses à proposer des solutions de tris pour les chantiers urbains – ou la benne à mélange est synonyme d’enfouissement. L’entreprise Ostreya commercialise des "big bags" en polypropylène, moins encombrants que des bennes pour permettre le recyclage. De son côté, la startup Tri'N'Collect (2019) propose une mise à disposition de station de tri et une collecte régulière sur chantier.

 

Utilisation des Big Bags sur un chantier de Sully Immobilier près de Chartres. © Ostreya.

 

"C’est sur la déconstruction qu’il sera le plus difficile de trier, comparé à un chantier de construction où la séparation des déchets est plus simple", explique Muriel Olivier, représentant la Fédération nationale des activités de la dépollution et de l’environnement (FNADE). "Le tri s’améliore d’année en année mais nous anticipons qu’en 2050, il existera encore quelques centres d’enfouissement…"



Source : batirama.com / Roman Epitropakis / © Laure Pophillat

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