Le CLT a du contreplaqué dans l’aile

Porté par une technologie de production industrielle, le panneau massif CLT combine un stockage massif de carbone de bois y compris dépérissant, et des assemblages bois/bois qui permettent le réemploi.

Chose inhabituelle, un chantier avec du CLT a brûlé à Paris mi-juillet. Le bâtiment Le Messager incorpore, selon Arbonis, 350 m3 de lamellé collé, 6 200 m2 de CLT nervurés et 4 700 m2 de "planchers caisson innovants". L’amalgame avec les planchers CLT lourds sur poteaux-poutre BLC sera vite fait et c’est un coup dur pour toute l’équipe de construction mais aussi la filière française de construction bois, qui n’avait pas besoin de ça.

 

 

 

Le CLT vent debout

Les chiffres de l’enquête nationale de construction bois présentés en juin pour l’année 2024 ne sont pas à la hauteur des attentes climatiques. La présentation du rapport Rivaton le 10 juillet fait craindre un rehaussement des seuils carbone pour l’étape 2028 et 2031 de la RE2020, rendant de facto la solution construction bois avec planchers CLT moins compétitive.

Quatre ans après la parution de la doctrine des sapeurs-pompiers de la préfecture de police de Paris, la refonte de la réglementation incendie de la construction bois semble grippée et l’encoffrement du CLT de plus en plus habituel. Le taux d’utilisation des capacités de production industrielle de CLT installée en France ces dernières années chez Piveteau, Chauvin et Schilliger n’est pas dévoilé mais le contexte constructif et réglementaire, au cœur d’un marché européen de plus en plus équipé, ne fait pas craindre une saturation.

 

Surélévation avec panneaux CLT Stora Enso rue de la Croix Saint-Simon dans le 12e à Paris. © Stora Enso

 

 

 

Actualité constructive

Voilà pour le verre vide. Côté plein, à Paris, outre le funeste Messager, le CLT est présent. La Tour Commune de la ZAC Bruneseau monte à 50 m, l’Air du Temps avenue de France va poser ses premières dalles à l’automne, après l’achèvement du complexe d’Icade un peu plus loin (Les Persiennes et l’université de Chicago). Rue de Belleville, Rubner monte pour Nexity un imposant ouvrage de logements et achève Inspire à Puteaux. Rue de l’Olive, en plein cœur de la Chapelle où se monte aussi Chapelle Charbon, Public Architects élève un intéressant hôtel en construction bois. Ce n’est là qu’une petite partie du marché actuel parisien intra muros. Un leader comme Stora Enso cite aussi le Marcadet Belvédère, la rénovation du parking de l'avenue Parmentier, la surélévation de la rue de la Croix Saint-Simon...

 

L'incroyable flexibilité de la construction CLT se conjugue rue de l'Olive avec l'ingéniosité de l'architecte. © Jonas Tophoven

 

 

 

Leader international et particularités françaises

Charly Reignier occupe depuis mars le poste de directeur des ventes des solutions constructives de Stora Enso en France, BENELUX et péninsule ibérique. C’est l’une des plus belles jeunes carrières issues de la filière bois (ESB). Au sein de l’un des plus grands acteurs mondiaux du bois et du leader, il a le loisir de prendre un peu de recul par rapport à l’actualité française.

Stora Enso a été le premier fabricant de CLT disposant d’une FDES dès 2018. La nouvelle FDES dite A2 des panneaux CLT de Stora Enso sera disponible avant la fin de l’année. Elle se calcule en partant du principe que le matériau biosourcé relargue tout son carbone stocké après 50 ans. Pour autant, dans le cadre des EPD qui sont les FDES au niveau européen, plusieurs scénarios de stratégies de fin de vie ont été décrits. Charly Reignier donne raison aux préconisations du récent rapport Rivaton quant à l’importance de la formation et à l’émergence des FDES individuelles et non collectives, afin de mieux répondre aux exigences de la RE2020.

 

Immeuble avec planchers CLT sur poteau-poutre BLC par Rubner pour Nexity (CLCT Architectes) : © Jonas Tophoven

 

 

 

Les Pays-Bas prennent le relais

Le directeur des ventes remarque que la RE2020 a joué un rôle de modèle pour les autres pays d’Europe et s’en réjouit. Il remarque aussi que d’autres pays européens développent des stratégies pour réduire les émissions de GES en phase chantier. Aux Pays-Bas, en fonction des EPD, tout un barème calcule les subventions au profit des matériaux qui stockent le carbone à long terme. Les Pays-Bas prennent les Accords de Paris au sérieux et veulent réduire leurs émissions de construction de 20 % à 50 % d’ici 2030. Le CLT joue un rôle majeur dans cette perspective.

 

Le Messsager en construction : il ne faut pas confondre bas carbone (le mot d'ordre ici) et construction bois CLT. Ici, c'est du mixte au point qu'on a du mal à y retrouver ses petits. © Jonas Tophoven

 

 

 

L’assemblage bois/bois, retour vers le futur

Depuis 2017, l’Autrichien Schilcher a présenté au Forum de Garmisch une solution de jointoiement bois/bois des panneaux en CLT sur site, baptisée X-Fix. À l’exception de l’extension de l’atelier d’Edwood à Lille, en France, jusqu’à aujourd’hui, la couture des panneaux notamment horizontaux de CLT se fait par un rainurage des chants à la production. Après la pause, une lame de contreplaqué recouvre les chants contigus de panneaux solidarisés par vissage. C’est long et fastidieux. L’inventeur Schilcher propose de fraiser des queues d’aronde à intervalle régulier sur toute la profondeur du panneau. De son côté, il taille de gros "nœuds papillon" dans une pile de contreplaqué recollé et la fend en deux de façon oblique. En fait, il adapte au CLT une très vieille recette de fixation bois/bois réutilisée entre autre par Ludovik Bost et les étudiants de l’ENSA de Belleville pour le montage et démontage des cloisons Belleville.

 

 

 

La percée d’ISB

Depuis bientôt dix ans, X-Fix est appliqué sur des chantiers de tous les grands fabricants de CLT, mais surtout en zone DACH germanophone. Cela facilite la pose des panneaux sur les chantiers, et préfigure un ré-usage des panneaux par un démontage non destructeur.

En 2022, X-Fix expose avec Lignatool dans le coin outillage d’Eurobois et revient avec l’idée de développer également des X-Fix pour les panneaux 3-plis.

En 2024, au Carrefour International du Bois, le groupe ISB annonce la commercialisation des panneaux CLT que le groupe Hasslacher produit désormais de façon industrielle au Pays Basque espagnol.

Début 2025, une Tribune du groupe ISB au Forum International Bois Construction montre que l’équipe française souhaite faciliter son entrée sur ce nouveau segment de marché en dotant la gamme CLT d’Hasslacher de cette solution d’assemblage X-Fix.

 

 

 

L’innovation continue

À l’été 2025, comme cela est courant avec le CSTB en matière de CLT, tous les tests et certificats étrangers du X-Fix sont passés sous le crible et il manque encore quelque chose pour que le X-Fix, via ISB, obtienne son Atex. Parallèlement, X-Fix a développé de nouvelles solutions pour les caissons qui sont monnaie courante dans le DACH mais ne parviennent pas à s’imposer en France (l’incendie de l’immeuble Le Messager ne va pas faciliter les choses).

 

L'équipe de X-Fix en Autriche. © X-Fix

 

 

 

Des bâtons et des roues

Bientôt dix ans après son apparition, le X-Fix ne parvient toujours pas à devenir une solution courante d’assemblage en France, alors que cette approche à la fois traditionnelle et innovante rend le recours aux panneaux 3-Plis, au CLT et aux caissons plus compétitif, tout en pulvérisant les a priori des FDES A2 quant au re-largage du carbone biogénique après 50 ans d’usage.

Et peut-être est-ce là que se situe le véritable problème actuel de la construction bois en France, pas dans les interminables tergiversations autour de la réglementation incendie, ou la remise en cause de la RE2020 à peine appliquée avec un seuil digne de ce nom, ou la crise de l’immobilier de logements et de la construction de bureaux. À la clé, la pérennisation de techniques de chantier pénibles et chronophages, qui ne sont pas du genre à stimuler la relève.

 


Source : batirama.com / Jonas Tophoven / © X-Fix

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