Aux arbres citoyens ! Les villes muent pour intégrer plus de végétalisation et lutter contre la chaleur, mais d’autres solutions sont indispensables : désimperméabilisation, réseau de froid, réduction des climatisations…
Torride vie urbaine. Toutes nos activités humaines, concentrées en ville, font monter la température localement et ce phénomène porte un nom : l’îlot de chaleur urbain. À Paris par exemple, cette différence de température est en moyenne de + 2,5 °C à l’année comparé à la campagne mais peut atteindre + 10 °C en période de canicule selon l’agence parisienne pour le climat.
Pour les villes méditerranéennes comme Marseille, ce supplément îlot de chaleur ajoute entre + 6 et + 8 °C. Grenoble, enfermée dans sa cuvette, relève une nuit sur deux par vent faible l’été et + 4,4 °C de plus qu’à la campagne. Mais les villes déploient un arsenal de solutions pour défendre leur fraîcheur. Batirama les passe en revue.
Végétaliser, encore et encore
Plan 100 000 arbres à Toulouse en 2019, plan Canopée de Strasbourg en 2020, plan Nature de Lyon en 2021, plan Arbre à Marseille 2022… Toutes les grandes villes ont heureusement saisi l’importance de végétaliser pour capter le précieux phénomène d’évapotranspiration. Ce dernier renvoie à la transpiration des arbres qui agissent comme des brumisateurs naturels de l’air et rafraichissent l’atmosphère. À Lyon, la végétalisation a permis d’enregistrer une baisse entre 4 °C et 7 °C degrés sur la seule rue Garibaldi.
Le 21 juin 2025, la ville de Paris a inauguré la "forêt urbaine" qui a poussé sur le parvis de l’hôtel de ville, une place complètement minérale avant octobre 2024. © Roman Epitropakis
Dans toutes les grandes métropoles françaises, des milliers d’arbres surgissent du sol mais aussi sur les toits et les façades. "Les centres-villes sont plus difficiles à végétaliser avec le passage des canalisations, de l’électricité, du gaz… On trouve quand même des solutions : par exemple en enlevant un bout de bitume pour installer des grimpantes avec un système racinaire moins important que des grands arbres", explique Hélène Cruypenninck, adjointe à l’environnement pour la ville d’Angers. La ville incite même les particuliers à planter en remboursant jusqu’à 50 € sur le coût d’un arbre acheté.
Dans son dernier Palmarès des villes vertes de 2023 (l’étude est publiée tous les trois ans), l’Observatoire des villes vertes indique que le permis de débitumer pour ses citoyens a été instauré dans la moitié des cinquante plus grandes villes de France. Cette initiative est reprise dans de nombreuses villes, comme Montpellier, qui voit d’année en année de plus en plus de façades recouvertes de végétation.
Montpellier végétalise massivement ses façades en permettant aux habitants de creuser un trou aux pieds des immeubles pour planter. © Montpellier.fr
Laissons l’eau rentrer dans le sol !
Il est aussi important de planter que de désimperméabiliser. Cela consiste à retirer le plus possible de revêtement au sol pour laisser la pleine terre et donc l’eau s’infiltrer dans le sol. Cette pratique a le double avantage de récupérer l’eau de pluie – et donc d’atténuer les phénomènes d’inondation – et aussi de permettre aux végétaux de puiser dans cette eau pour la restituer. Cependant, la déminéralisation peine encore à se généraliser.
Les travaux de la chercheuse Anne Ruas, de l’Université Gustave Eiffel pour le projet FreshWay indiquent que la minéralisation augmente de partout, dans les six villes métropoles étudiées (Paris, Montpellier, Castelnau, Sarcelles, Montreuil et Pontault-Combault). "Le PLU est un document clé, mais il y a peu d’éléments obligatoires", observe Anne Ruas. "Peut-être qu’il faudrait les mettre à jour pour agir plus vite". Point positif : le pourcentage de pleine-terre imposé par les PLU est en progression. Ainsi à Paris, toutes les parcelles supérieures à 150 m2 devront impérativement prévoir 65 % de pleine-terre et la ville projette que 40 % de l’espace public sera désimperméabilisé en 2040.
Solution intermédiaire, Eiffage Route a développé un revêtement, Bioklair, constitué de granulats mélangés avec un liant d’origine végétale pour laisser l’eau s’infiltrer dans le sol ! "Nous avons été lauréats de l’appel à projets d’innovation Routes et rues 2021", témoigne Jean-Marc L’Huillier, directeur technique Eiffage Route grand sud.
Le revêtement Bioklair conçu par Eiffage permet, grâce à son liant végétal de laisser l’eau s’infiltrer dans le sol. © Eiffage
Les solutions autres que la végétation : moins de clim, revêtements clairs et réseaux de froid
Le réseau de froid
Une solution peu connue mais qui existe depuis plus de trois décennies est le réseau de froid, qui a fait ses preuves à Paris. Concrètement, il s’agit d’un réseau de tuyaux d’eau glacée (4 °C) sous la capitale qui vient rafraichir plus de 800 bâtiments comme l’Assemblée nationale, le Louvre mais aussi des centres commerciaux ou des hôtels.
Ce réseau de 110 km ne couvre que quelques arrondissements de Paris mais devrait s’étendre à plus de 250 km d’ici 2042. L’eau est refroidie partiellement par la Seine ainsi que par des groupes frigorifiques ou par des tours aéroréfrigérantes. Cette technique est également utilisée à Marseille mais aussi à New York pour rafraîchir le siège de l’ONU.
Une petite fraction de Paris est rafraîchie par le réseau d’eau fraîche, ici en bleu sur le plan. © Fraîcheur de Paris.
L'effet albédo
Les urbanistes peuvent également miser sur l’albédo des routes, c’est-à-dire leur capacité à rejeter la chaleur via la couleur. "Nous devons travailler sur des revêtements clairs plutôt que noirs de manière générale, rien que cette solution permet d’abaisser de 15 ° à 20 °C la température de surface des revêtements en plein soleil", explique Jean Marc L’Huillier, directeur technique Eiffage route grand sud. "C’est extrêmement facile à mettre en œuvre."
Les sols clairs se salissant très rapidement sur les chaussées, ils s’avèrent donc plus pertinents à déployer sur les mobilités douces, typiquement les trottoirs ou les pistes cyclables. L’inconvénient réside cependant dans le coût des enrobées – dont la couleur a été changée – qui sont deux fois plus chers.
Dire non à la climatisation
Enfin, les élus doivent désinciter au maximum à la prolifération de la climatisation dans leurs communes. Une étude du centre national de recherche météorologique (CNRM) de 2010 avait calculé la contribution de la climatisation au phénomène du l’îlot de chaleur urbaine. Il en ressort que celle-ci engendre une "augmentation de la température de 0,5 °C à l’échelle de l’arrondissement, de 2 °C à l’échelle du quartier et jusqu’à 3 °C à l’échelle de l’îlot."
Solution de court terme pour les particuliers, les climatisations réchauffent considérablement leur voisinage, ajoutant jusqu’à + 3 °C dans les îlots de chaleur. © Unsplash / Rob Menting
Des outils numériques qui mâchent le travail des mairies pour rafraichir les villes
De plus en plus, les communes s’appuient sur des équipements numériques de pointe pour végétaliser leur ville. Depuis 2024, la ville de Meudon utilise le jumeau numérique développé par Dassault Systèmes, 3DEXPERIENCE pour transformer au mieux la ville. "Le logiciel analyse la façon dont le vent ou le soleil agit sur les températures d’une place publique avec un historique des relevés", explique à Batirama Denis Larghero, maire de Meudon. "Il nous donne ensuite la meilleure façon d’implanter les arbres, leur nombre, les essences, les façons de tailler pour que le gain de fraîcheur soit maximal."
La ville de Meudon a sollicité de logiciel de Dassault Systèmes, 3DEXPERIENCE et Simulia pour maximiser le gain de fraicheur de la végétalisation en fonction du vent et du soleil. © ville de Meudon
Le coût de cette solution est inférieur à 40 000 € pour la ville de Meudon qui, à titre de comparaison, engage 300 000 euros pour la reconfiguration de la place Tony de Graaff. De son côté, Bertrand Thuillier a développé un logiciel (privé) référençant 450 essences d’arbres permettant de faire la meilleure sélection de végétaux pour les villes.
"Paris en 2030, c’est + 8 degrés", explique Bertrand Thuillier qui travaille aujourd’hui à Lumia. "Cela signifie que les essences d’aujourd’hui, les érables, les boulots ne résisteront pas si on les plante maintenant." Sa solution a été utilisée pour le chantier la ligne 17 du métro du Grand Paris qui prévoyait initialement des essences indigènes.
Enfin, la start-up, supportée par l’Ademe, a également développé un outil de gestion pour que les maires puissent, comme au supermarché, voir en quelques clics toutes les solutions pour rafraichir la ville. Réseau de froid ? Désimperméabilisation ? Façade végétalisée ? Fontaine ? Jardins suspendus ? Chaque projet est décrit avec les degrés gagnés, le délai des travaux et, évidemment, une fourchette de coût.
Et bien entendu, le levier numéro un pour limiter nos îlots de chaleur reste de réduire nos émissions pour limiter le réchauffement de la planète…
Source : batirama.com / Roman Epitropakis / © Jérôme Boccon-Gibod