Notre patrimoine bâti ancien, c’est-à-dire antérieur à 1948, représente un tiers de nos logements. Mais les réhabiliter nécessite une grande précaution pour ne pas emprisonner la vapeur d’eau et causer des pathologies.
"Lorsque je faisais mes études, il y a une vingtaine d’années, aucun semestre ne portait sur la réhabilitation. Aujourd’hui cette discipline concerne pratiquement la moitié de l’enseignement", témoigne l’architecte du patrimoine Louis Putot, associé dans l’agence d’architecture Commune. Il était temps. Car le chantier est immense : les deux tiers de nos logements ont été construits avant 1975 et ne sont pas adaptés à nos exigences en termes de performance énergétique.
1975, date à partir de laquelle les premières réflexions sur les économies d’énergies appliquées au bâtiment apparaissent. Mais dans ce parc de logements, deux types de construction n’ont rien à voir car la moitié a été bâtie après-guerre et l’autre avant le 1er septembre 1948. Cette dernière catégorie est appelée "bâti ancien" et a ses caractéristiques propres pour être réhabilitée.
Le bâti ancien, des constructions qui ont aussi leurs performances
"Après 1948, on remplace les matériaux traditionnels – la pierre, le bois – par des matériaux industriels : le béton, l’acier et verre. […] On va oublier les principes du bioclimatisme, on ne tient plus compte de la course du soleil, des vents dominants et de l’environnement", expliquait Gilles Alglave, président des associations Maisons paysannes de France lors du Mois de l’architecture et du patrimoine en 2023.
Grâce à cette conception bioclimatique, le bâti d’avant 1948 est particulièrement bien adapté pour le confort d’été grâce à la forte inertie des murs façonnés. Un avantage non-négligeable au regard des épisodes caniculaires et des besoins croissants de fraîcheur. "En revanche, au niveau du confort d’hiver, le bâti ancien peut présenter des performances médiocres", explique Andrés Litvak, ingénieur au Cerema et coordinateur du Creba, le centre de ressources pour la réhabilitation du bâti ancien.
Trop de méconnaissance dans la réhabilitation du bâti ancien
La problématique récurrente pour rénover le bâti ancien réside surtout dans la conservation des flux d’air pour faire respirer le bâtiment. "Dans ce bâti, il y a toujours de l’air qui passe : les fenêtres ne sont pas très jointives, les jours sous les portes ou les cheminées permettent le passage des flux d’air", explique l’architecte Louis Putot, spécialisé dans la rénovation du bâti ancien. "Mais dès qu’un bâtiment est isolé – en changeant les menuiseries en plus d’une protection thermique à l’intérieur ou à l’extérieur – les flux d’air sont complètement stoppés."
La restauration de la ventilation est indispensable. Trop souvent négligé, cet aspect conduit à l’emprisonnement de la vapeur d’eau et à la création de moisissure. "C’est un constat qui est très courant dans la réhabilitation du bâti ancien", explique Andrés Litvak, du Cerema. "Les raisons sont multiples : trop de méconnaissance de l’approche technique de la part des maîtres d’œuvre ou des artisans. Très peu utilisent d’ailleurs des logiciels de modélisation de ces phénomènes de la migration de la vapeur d’eau, à travers la masse de l’enveloppe. À cela s’ajoute des contraintes réglementaires où les architectes du bâtiment de France peuvent interdire la mise en place de bouches d’entrées d’air apparentes sur les façades." Or, la VMC est la solution la plus simple à mettre en place.
Les matériaux biosourcés, chouchous des architectes du bâti ancien
Devant cet enjeu de perspirance, les matériaux se développent, car la demande augmente et les fabricants sont incités à étoffer leur offre. Le fournisseur PRB, qui a d’ailleurs rebaptisé sa gamme de matériaux Historia, déploie une dizaine de produits (badigeons, enduits, mortiers d’assainissement et de réparation) destinés notamment au bâti ancien. "Nous poursuivons continuellement nos recherches sur nos recettes", explique Jean-Loup Boissou, responsable au sein de PRB. "Le squelette de nos formules est constitué par le sable. Nous testons différentes granulométries et dosages pour trouver l’équilibre entre l’esthétique et l’apport préventif ou curatif du matériau."
À gauche, des enduits récents, à pierre et traditionnel. Sur le mur de droite un enduit ancien. © Commune architectes
Les architectes du bâti ancien plébiscitent les matériaux biosourcés. "Par exemple, j’adore le chanvre, c’est un matériau extraordinaire et cela permet de faire respirer la maison en l’isolant", explique Lorenzo Mazzei, architecte spécialisé dans la conception durable (Gea Architecture) basé en Île-de-France. Ce dernier utilise pour cela les produits de la gamme Tradical, commercialisées par Weber, une entité de Saint-Gobain. Ces chaux aériennes, notamment à base de chanvre, s’utilisent pour le maçonnage, le rejointoiement ou l’enduisage. "Tradical est pertinent pour le bâti ancien car ils font ces enduits hydrothermiques en chanvre sont une bonne alternative valide aux produits classiques", ajoute l’architecte. "On voit souvent sur des réhabilitations de bâti ancien des murs en pierre ou en moellons avec des joints en béton. C’est comme si vous mettez un sac plastique sur la tête qui empêche la respiration. Il faut retirer ces joints en ciments pour les remplacer par de la chaux."
Les murs intérieurs avec une isolation chanvre-chaux. © Commune architectes
Le sable, la terre… les produits locaux sont les meilleurs
Les enduits représentent un élément clé aussi bien pour la perspirance que pour l’esthétique. "Les enduits traditionnels sont à explorer comme ceux mélangés à la terre ou au sables locaux que l’on les retrouve dans les granges des campagnes", conseille l’architecte Louis Putot. "C’est bien mieux que les enduits monocouches, prêts à l’emploi et très peu intéressants en termes d’expression."
Citons également Saint-Astier, spécialisé notamment sur le bâti ancien et qui propose des chaux hydrauliques naturelles. Parexlanko dispose également d’une Gamme Patrimoine à la chaux et la Compagnie des Chaux et Mortiers propose un mortier (Thermotilia et Microtilia) visant à la fois l'assainissement et l'isolation thermique, tout en conservant les caractéristiques de perméabilité.
Le dilemme de l’isolation des belles façades
L’isolation par l’extérieur constitue une véritable problématique pour la conservation des façades. La Drac rappelle que l’isolation extérieure est proscrite pour certains types de façades :
– les façades traitées en pierres apparentes / pierres de taille ;
– Les façades en briques au mortier de chaux ;
– Les façades alignées les unes aux autres, ne permettant pas de surépaisseur ;
– Les façades présentant des modénatures notables (corniches, chaînages d’angle, encadrements d’ouvertures ouvragés, faux appareillages, joints tirés au fer...) ;
– Certaines façades (enduites) en moellons de pierre.
Pour la préservation des façades, il existe des enduits minces de quelques millimètres à quelques centimètres d’épaisseur qui permettent de ne pas recouvrir les ornements d’une façade (par exemple, le Calce Clima Thermo commercialisé par Fixit). Cependant la Drac rappelle que l’isolation des murs extérieurs n’est pas forcément la plus judicieuse : les toits représentent le point majeur de déperdition thermique d’une maison traditionnelle (entre 25 % et 30 % de la chaleur qui s’échappe).
Répartition de déperditions de chaleur dans le bâti non-isolé. L’isolation des murs n’est pas l’unique intervention à réaliser, ni forcément la plus judicieuse. © Ministère de la Culture, Amélioration thermique du bâti ancien, juillet 2025
Attention à l’isolation par l’intérieur qui peut faire perdre la qualité du mur à rester frais l’été. "C’est notamment le cas avec de l’isolation avec des laines minérales ou même biosourcés", ajoute l’architecte Louis Putot. "Il n’y a pas de solution idéale car comme toujours dans le bâti ancien, c’est du cas par cas."
Pour guider les maîtres d’œuvre et artisans, rappelons que le Creba a mis à disposition 16 retours d’expériences de réhabilitation de bâti ancien, particulièrement bien détaillés (problématiques, matériaux, solutions, etc.). 166 fiches sont également disponibles.
L’aération : une obligation lors de la réhabilitation
La réglementation dans l’existant ou dans le cadre du remplacement de menuiserie oblige de prévoir un renouvellement d’air. Si des menuiseries fuyardes sont remplacées par des menuiseries étanches, il est impératif de prévoir un système de renouvellement d’air. Or, les constructions d’avant 1948 n’étaient pas soumises à cette obligation de renouvellement d’air, celui-ci étant assuré par la nature perméable des matériaux. "Les rénovateurs n’ont bien souvent pas conscience de cette obligation", abonde Andrés Litvak du Cerema. "Il est vivement conseillé de réaliser un diagnostic pour bien comprendre les mécanismes de migration de la vapeur d’eau dans la maison, quitte à réaliser un carottage. Cela évite de réaliser une réhabilitation qui va ensuite créer des pathologies de moisissure."
Source : batirama.com / Roman Epitropakis / © Roman Epitropakis