Pourquoi le procès du cimentier Lafarge pour financement du terrorisme est-il renvoyé ?

Le procès du groupe Lafarge et de huit anciens responsables, soupçonnés d'avoir payé des groupes jihadistes en Syrie jusqu'en 2014 pour maintenir l'activité d'une cimenterie, a été renvoyé au 18 novembre. Explications.

Le tribunal correctionnel de Paris a évacué ce mercredi 05 novembre 2025 une première salve de questions procédurales soulevées à l'ouverture du procès pour financement du terrorisme par le groupe Lafarge et de huit anciens responsables, soupçonnés d'avoir payé des groupes jihadistes en Syrie jusqu'en 2014 dans le but d'y maintenir l'activité d'une cimenterie. Toutefois, les débats procéduraux se sont poursuivis  jusqu'à ce que le tribunal correctionnel de Paris constate "l'irrégularité de l'ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel" concernant un des prévenus, Bruno Pescheux, et renvoie cette ordonnance au parquet national antiterroriste pour régularisation.

Les débats reprendront le 18 novembre et s'achèveront le 19 décembre 2025.

 

 

Premier jour 

Le premier jour de ce procès, mardi 04 novembre 2025, a été consacré à la défense de sept questions prioritaires de constitutionnalité (QPC), déposées aussi bien par des avocats des prévenus que des parties civiles. Le tribunal, présidé par Isabelle Prévost-Desprez, a rendu son délibéré mercredi et refusé de transmettre l'ensemble de ces QPC à la Cour de cassation, jugeant que la plupart d'entre elles étaient dépourvues de caractère sérieux.

La deuxième journée d'audience n'a pas pour autant permis d'aborder le fond du dossier car les avocats de la défense ont présenté une deuxième salve de requêtes procédurales, pour :

– demander l'annulation de la procédure ;

– Constater l'incompétence du tribunal pour juger cette affaire ;

– ou encore ordonner un supplément d'information.

 

Au côté de Lafarge, absorbé en 2015 par le groupe suisse Holcim, sont jugés l'ancien PDG du cimentier français Bruno Lafont, cinq ex-responsables de la chaîne opérationnelle ou de la chaîne de sûreté et deux intermédiaires syriens, dont l'un est visé par un mandat d'arrêt international.

Dans ce dossier, le groupe français est soupçonné d'avoir versé en 2013 et 2014, via sa filiale syrienne Lafarge Cement Syria (LCS), plusieurs millions d'euros à des groupes rebelles jihadistes – dont certains, comme l'organisation État islamique (EI) et Jabhat al-Nosra, ont été classés comme "terroristes" – afin de maintenir l'activité d'une cimenterie à Jalabiya, dans le nord de la Syrie. Alors que les autres multinationales avaient quitté le pays en 2012, Lafarge n'a évacué cette année-là que ses employés de nationalité étrangère, et maintenu l'activité de ses salariés syriens jusqu'en septembre 2014, date à laquelle l'EI a pris le contrôle de l'usine.

 

 

Deuxième jour 

Les avocats des prévenus ont donc présenté une deuxième série de requêtes procédurales. Parmi les arguments avancés, la question de l'accord de plaider-coupable ("guilty plea" en anglais) conclu en octobre 2022 aux États-Unis par Lafarge SA. La société, devenue une filiale de Holcim après une fusion en 2015, a reconnu avoir versé à l'État islamique et Jabhat près de 6 millions de dollars, et accepté de payer une sanction financière colossale de 778 millions de dollars.

Or, "l'ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel évoque ce guilty plea, elle s'appuie dessus", a regretté Me Solange Doumic, avocate de Christian Herrault, ancien directeur général adjoint de Lafarge, y voyant une "atteinte à la présomption d'innocence" de son client.

 

L'accord de plaider-coupable est une "procédure où il convient de s'accuser le plus possible, on s'auto-incrimine au maximum [...] pour pouvoir ensuite mieux négocier" avec la justice, a expliqué Me Solange Doumic. © Freepik

 

Holcim, qui a toujours pris soin de se désolidariser des faits commis antérieurement à sa fusion avec Lafarge, a ainsi "dealé sa capacité à continuer à faire des affaires aux Etats-Unis", où il dispose de plus de 350 sites, a abondé Me Jacqueline Laffont, qui défend l'ancien PDG de Lafarge, Bruno Lafont. Dans cet accord, "Lafarge dit : mes cadres ont fauté", a-t-elle observé, ajoutant que ces derniers n'avaient jamais été informés des discussions en cours entre le groupe et la justice américaine.

 

 

Rendez-vous le 18 novembre

Bruno, qui avait dirigé la filiale syrienne de Lafarge de 2008 à 2014, avait été mis en examen pour des faits commis entre 2012 et juillet 2014, mais l'ordonnance a allongé cette période jusqu'au 19 septembre 2014. Or, selon la jurisprudence de la Cour de cassation, ceci est un motif d'irrégularité de l'ordonnance.

Le tribunal, qui avait été saisi de plus d'une dizaine de requêtes déposées par les avocats de la défense, a en revanche joint au fond les conclusions des autres prévenus, ce qui signifie qu'il se prononcera sur ces requêtes quand il rendra son jugement.

Les débats reprendront le 18 novembre et s'achèveront le 19 décembre 2025.

 


Source : batirama.com / AFP / Laure Pophillat / © Dimitar Dilkoff / AFP

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