Jean-Luc Sandoz, la philosophie du bois et la RE2028

Le premier palier carbone de la RE2020 est entré en vigueur en janvier 2025. Parallèlement, l’efficacité des politiques environnementales du Bâtiment est questionnée, notamment les seuils de la RE2028. Point de vue.

Le thermomètre planétaire dépasse les 1,5 °C, ce qui signifie pour les climatologues que nous sommes désormais dans une situation incontrôlable. Cela a entre autres pour conséquence que, même avec la meilleure volonté, nous ne maîtrisons plus notre trajectoire carbone dans la perspective de 2050. Est-ce une raison pour l’abandonner ? Devons-nous au contraire la renforcer, ou l’adapter ? Les questions, vitales, vont bien au-delà d’une interrogation libérale sur les contraintes administratives et la façon de résoudre une crise de l’immobilier de logements.

 

Expo 02, 20 ans d'avance en termes de ré-usage ! © CBS-Lifteam

 

 

 

Revenir à la matière naturelle

Jean-Luc Sandoz, chercheur, inventeur, industriel, entrepreneur, expert, coche beaucoup de cases d’un monde professionnel du Bâtiment qui doit être sondé dans le cadre d’une remise en cause de la RE2020, interpellant loin au-delà des organisations professionnelles constituées. Ces dernières années, à chacune des ses nombreuses interventions dans des colloques et congrès, Jean-Luc Sandoz apporte une vision macroscopique dans laquelle s’inscrit le monde du Bâtiment. Au Forum International Bois Construction du Grand Palais, en février dernier, son analyse de la courbe du carbone induit sa conclusion : "La matière doit être une rupture, on doit revenir à la matière naturelle, et tout ce qu’on voit ce matin  est encourageant."

 

Coriolis, quinze ans d'avance sur la RE2028. © CBS-Lifteam

 

Selon Jean-Luc Sandoz : "Dès 1992, à la conférence de Rio alors que j'étais un scientifique à l'EPFL, j’alertais sur l’urgence climatique. Aujourd’hui, la réglementation RE2020 impose une réduction de 30 % des émissions de gaz à effet de serre des bâtiments neufs d’ici 2031 par rapport à 2020, ce qui se traduit par une amélioration continue de la performance énergétique et une généralisation de l’usage du bois et des matériaux biosourcés. Même les constructeurs traditionnels s’y mettent : c’est une évolution indispensable. Pour moi, l’avenir du BTP, c’est le Bois, la Terre et la Paille : ces matériaux permettent de concilier performance environnementale, création de valeur locale et innovation constructive. Les collectivités doivent poursuivre cet élan, soutenir la filière et payer le juste prix : c’est un levier concret pour relancer l’économie locale et répondre efficacement à l’urgence climatique". 

 

 

 

Le seuil 2028

Est-ce que la prochaine étape de la RE2020, soit la RE2028 applicable en principe en 2028, va dans ce sens ? RE2028, c’est le renforcement des seuils carbone (baisse de 35 % par rapport à 2022), l’obligation d’utiliser au moins 50 % de matériaux biosourcés, un seuil minimal d’autoproduction d’énergie renouvelable, l’amélioration de l’isolation et de la gestion passive de la qualité de l’air, une prise en compte obligatoire de l’adaptation climatique. Depuis plus de trente ans, Jean-Luc Sandoz applique les principes aujourd’hui portés par la RE2028, selon l’adage : "Plus d’ingénierie, moins de matière."

Jean-Luc Sandoz déclare : "Depuis plus de 40 ans, je m’engage à stocker durablement du carbone en construisant en bois. En privilégiant les matériaux locaux, la filière bois française permet de maintenir environ 60 % de la valeur ajoutée sur nos territoires, tout en limitant l’empreinte carbone liée au transport, puisque plus de 60 % du bois de construction utilisé en France est d’origine nationale".

Dès les années 90, comprenant qu’un mètre cube de bois stocké une tonne de CO2, il dépose des brevets pour les systèmes Ariane et O’Portune, sans colle et à assemblage cloué, permettant la préfabrication hors site, le transport optimisé et la réutilisation intégrale des composants. Ils illustrent déjà les principes émergents actuels de démontabilité et de circularité. L’Expo.02 (exposition nationale suisse) en est une démonstration magistrale : 50 000 m2 de plateformes offshore en bois (surface équivalente à dix terrains de football) ont été intégralement démontées après six mois, puis réassemblées ailleurs. Le centre aqualudique de Chambéry reprend cette logique de structure démontable, pensée pour être reconditionnée à la fin de son cycle de vie.

 

Le Wood, préfiguration du tertiaire RE2028. © Renaud Araud

 

 

 

Projets exemplaires à haute valeur environnementale

Le bâtiment Descartes Coriolis, livré dès 2010, est un exemple précurseur de structure bois industrialisée. Réalisé en caissons bois préfabriqués, isolés en ouate de cellulose, il démontrait déjà les performances thermiques et environnementales exigées par la RE2028, avec un temps de chantier fortement réduit, un chantier sec et une emprise carbone minimale. 

Dix ans plus tard, le Palazzo Méridia de Nice est la première tour bois R+9 labellisée E3C2 en France, réalisée exclusivement en bois local. 

En 2022, les logements Paul Meurice à Paris, lauréat du Prix National de la Construction Bois, sont également un projet E3C2 et une démonstration de la faisabilité de logements collectifs bois bas carbone.

 

Cour intérieure du PTS de Langon, juste avant le lancement d'une communication mondiale sur ce projet hors norme. © ABF-LAB

 

 

Le Pôle Territorial de Solidarité de Langon, livré récemment, est un bâtiment public pionnier. Il s’étend sur plus de 2 700 m2, en ossature bois isolée en paille, avec un enduit en terre argileuse appliqué sur site. L’ensemble intègre des briques de terre crue pour renforcer l’inertie thermique et réduire les besoins énergétiques passifs. Il est équipé d’une ventilation bioclimatique naturelle, sans système mécanique, exploitant les principes de tirage thermique et d’hygro-régulation des matériaux bruts. Ce bâtiment illustre une circularité complète, de la provenance des matériaux à leur fin de vie anticipée. Il intègre également des matériaux de réemploi comme les portes et les radiateurs de l’ancienne gendarmerie du site.

 

 

Langon, déjà mieux que le niveau RE2031 pour les bureaux. La présentation en atelier B6 du dernier Forum International Bois Construction au Grand Palais se justifiait tout à fait. Cela dit, les résultats définitifs sont en attente, et le niveau de 500 s'entend sans les équipements techniques carbonés. Selon Paul Azzopardi d'ABF-LAB, le  PTS serait plutôt à un Eges_PCE de 791 kgeqCO2/m² ce qui placerait le PTS sous le seuil jusqu’en 2028  © ABF-LAB

 

 

 

Difficile d’aller plus loin

La livraison du projet de Langon a été précédée en 2024 par celle du projet Wood, également E3C2, également présenté au dernier Forum International Bois Construction au Grand Palais, dans l'Atelier "La folle époque des bureaux en bois (A3)". À ce sujet, l’AMO Thomas Laquerrière (C+POS) de l’opération estime que la "RE2028 sera plus difficile à obtenir pour les bureaux que pour les logements. Nous n’avons pas été mandatés pour calculer si le Wood entre dans les critères de la RE2028, mais je pense qu’il devrait les atteindre, en tout cas pour le carbone. Le Wood est le bâtiment de bureaux le plus exigeant que nous ayons jamais réalisé. On peut difficilement aller plus loin, sauf peut-être dans le réemploi que la RE2028 devrait valoriser, notamment par l’installation de planchers techniques et de luminaires de ré-usage."

 

 

 

Le réemploi, justement

Développé par Jean-Luc Sandoz à l’EPFL (IBOIS), le Sylvatest est un dispositif non destructif de caractérisation mécanique des bois par ultrason. Il permet de classifier les bois en œuvre, facilitant leur réutilisation structurelle dans les projets de réhabilitation. 

Exemples : à l’Hôtel Hilton, Paris (Magasins Généraux), plus de 600 poutres testées et reclassées pour permettre leur réemploi in situ. Notre-Dame de Paris (2023) : diagnostic et sélection des bois pour la flèche de la charpente reconstruite grâce au Sylvatest, validant la qualité des grumes avant et après taille. Le Sylvatest, qui ouvre véritablement la voie au réemploi massif du bois structurel, constitue une réponse concrète à l'exigence de traçabilité et de circularité de la RE2028.

 

 

 

Une stratégie industrielle d’avance

La philosophie de Jean-Luc Sandoz s’articule autour de quatre piliers techniques :

– réduction de l’impact environnemental par l’usage systématique de bois local, de matériaux biosourcés, de chantier sec et de structures démontables ;

– Réversibilité structurelle intégrée dès la conception ;

– Préfabrication avancée, assurant qualité, rapidité, maîtrise du coût et faible empreinte chantier ;

– Capitalisation technologique, via des bases de données sur le comportement des matériaux (Sylvatest) et la modélisation structurelle.

 

Les fiches techniques disponibles sur le site de CBS-Lifteam et CBS-CBT documentent l’ensemble de ces innovations, dans une logique d’open engineering au service des collectivités, maîtres d’ouvrage et filières professionnelles.

Comme le souligne Jean-Luc Sandoz au 14e Forum International Bois Construction à l’attention des congressistes : "on sait faire, on peut faire, on va le faire, et il faut le faire vite."


Source : batirama.com / Jonas Tophoven / © CBS-Lifteam

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