Printemps précoce pour la construction biosourcée française

À l’occasion du salon de l’agriculture, le ministre Marc Fesneau a annoncé 92 nouveaux projets lauréats pour la filière bois et bois-construction, soutenus à hauteur de 317 millions d’euros.

Jamais l’État n’a mis autant d’argent sur la table pour "soutenir la massification de la construction ou rénovation bois et pour anticiper une montée en charge de la construction bois et biosourcée", comme "pilier important de la transition écologique", ainsi que le souligne le commmuniqué de presse. En décembre 2021, les dix premiers lauréats de l’appel à projets "Industrialisation de produits et systèmes constructifs bois et autres biosourcé" (nom de code SCB), avaient débloqué 16 millions d’euros. Les 59 nouveaux lauréats décrochent dix fois plus : 187 millions d’euros. À elle seule, cette somme correspond à des investissements de plus d’un milliard d’euros, puisque les aides représentent en moyenne entre 20 et 30 % des montants investis hors immobilier.

 

 

De PIA 4 à NextGenerationEU

En 2021, l’appel à projets fonctionnait encore dans le cadre du PIA 4, c’est-à-dire le 4e Programme d’Investissement d’Avenir de l’État en faveur de la filière bois. Tandis que s’annonçait la mise en route de la RE2020 pour le 1er janvier 2022, lors du 10e Forum Bois Construction en juillet 2021, la ministre Emmanuelle Wargon avait annoncé que l’enveloppe du PIA 4 serait gonflée de 20 à 50 millions en faveur de la construction biosourcée. Depuis, cet appel à projet bénéficie de la manne européenne NextGenerationEU, soit 806,9 milliards d’euros pour sortir l’Europe de la pandémie et rendre l’Europe plus saine, verte et numérique. De cette façon, le gouvernement tient pour la filière forêt-bois des promesses électorales regroupées sous l’égide France 2030.

 

Rahuel, spécialiste de la transformation du châtaignier et des feuillus, fait partie des 59 lauréats de l'aap SCB. © Jean-Luc Hery architecte

 

 

 

Économie carbone

Une manne ? En fait, NextGenerationEU est un emprunt qui court jusqu’en 2058. Il doit être remboursé par de nouvelles recettes, notamment le système d’échange de quotas d’émissions (SEQE) et le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières. On entre donc pleinement dans l’économie du carbone, en prélevant chez les pollueurs pour donner aux pauvres vertueux de la construction biosourcée, entre autres. Le problème, c’est que les mécanismes européens ne tolèrent pas que l’État aide ses entreprises au-delà d’une certaine fraction d’un montant d’investissement, car cela constituerait une entrave à la concurrence. Ainsi, lors de la première liste des dix lauréats, l’entreprise Schilliger a obtenu une aide de quelques millions d’euros pour développer en Alsace un site de production industriel de panneaux CLT. L’investissement total était sept fois supérieur. L’aide conditionne souvent les crédits des banques, et les 16 millions de 2021 correspondaient à des investissements de plus de 100 millions d’euros. Une somme désormais décuplée.

 

 

 

Quatre familles d’appels à projet

L’appel à projets SCB n’est que l’un des quatre relatifs à la filière bois, dont les lauréats ont été annoncés samedi sur le salon. Il faut donc rajouter les 20 lauréats de l’appel à projets "Biomasse chaleur et industrie du bois" (BCIB) pour 113 millions d’euros, pour augmenter les capacités de séchage du bois. Un appel à projets baptisé "Mixité pour la construction bas carbone" aura surtout séduit le groupe Fehr (béton préfa) pour deux projets, auxquels s’ajoute le projet occitan Caméléon qui vise le développement de systèmes constructifs "préfabriqués et mixtes associant le bois, les coproduits agricoles (paille, chanvre, tournesol) et la terre crue".

 

L'équipe de Thébault au Forum Bois Construction de Lille en avril 2023, présentant son projet de site de production de LVL en sapin, lauréat de l'aap SCB. © Jonas Tophoven

 

 

Noël à Pâques

Cerise sur le gâteau, l’appel à projet "Soutien à l’innovation dans la construction : matériaux bois, biosourcés et géosourcés"(SIC), est une très bonne nouvelle. Il ne s’agit que des dix premiers lauréats, le montant n’est pas précisé et ne renvoie pas dans ce cas à une décuplement de l’investissement privé. Les projets lauréats ont pour critère commun une diffusion large et gratuite de l’ensemble de leurs résultats, afin de permettre "une meilleure valorisation de la ressource forestière française, en majorité feuillus, et d’autre part le développement du bois dans la construction". À quelques semaines du 13e Forum Bois Construction, il n’y a donc pas de quoi cracher dans la soupe.

 

 

 

Bémol

Quel est le modèle technique vers lequel tendent ces investissements ? Depuis 20 ans au moins, la construction bois française est marquée par l’utilisation de bois collés en épicéa souvent importés des pays scandinaves ou germaniques, alimentant des machines de taille à commande numérique et le déficit de la balance commerciale. Cette orientation n’est pas la panacée dans un monde qui réfléchit sur les possibilités de réemploi de bois structurel, mais elle a sensiblement facilité le travail des charpentiers et accéléré la préfabrication. Les projets de bois ou de panneaux collés ne sont pas particulièrement présents chez les lauréats de l’appel à projets SCB. Ils restent insuffisamment représentés en France. Par quels modèles économiques va-t-on les compléter ?

 


Source : batirama.com / Jonas Tophoven

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