La symphonie des matériaux de la rénovation du patrimoine (2/2)

Deuxième partie de notre dossier sur la rénovation du patrimoine historique, dont la fabrication et la mise en œuvre des matériaux demeurent souvent proches des techniques d'origine.

Photo : un sujet pour la restauration de la couverture du Château de Chanteloup est une pente exceptionnelle de la toiture à 76° sur 13m, représentant un défi pour les compagnons de l'entreprise Toit'Avenir. © Toit'Avenir

 

Retrouvez ici la partie 1 du dossier "La symphonie des matériaux de la rénovation du patrimoine", qui porte sur les planchers bois et les couvertures en ardoise.

 

Pose acrobatique pour plus de 2.000 m² de tuiles

 

Lors de la 12ème édition du Concours Terroirs de Terreal qui s'est tenue en novembre 2023, le prix hors catégorie a été attribué par le jury à la rénovation de la couverture du Château de Chanteloup à Cognac (16) construit dans les années 30. Plus de 2.000 m² de couverture en tuiles plates ont été posés par l'artisan couvreur Toit'Avenir (membre du "Club By Terreal") ainsi que 1,5 tonnes de zinc, 2 tonnes de cuivre et 2 tonnes de plomb. Les travaux de réfection de la couverture incluant le traitement de la charpente au fongicide contre les termites, ont commencé en octobre 2021 pour se terminer en mars 2023.

 

"Le propriétaire de ce patrimoine d'exception nous a demandé une rénovation à l'identique. Un sujet du chantier étant l'échafaudage, nous avons répondu en association avec l'entreprise d'échafaudage LR Echafaudage et avec l'assistance du bureau d'ingénierie mécanique Hooke pour dimensionner l'échafaudage parapluie", présente Romain Péré, gérant de Toit'Avenir. Indispensable pour démonter la couverture et mettre à nu la charpente, l'échafaudage parapluie facilite le travail au quotidien. Il a été conçu pour abriter un bâtiment de dimensions impressionnantes avec ses 55 m de longueur de façade, 32 m de largeur de pignons et 29,50 m en hauteur.

 

Le modèle de tuiles plates utilisées est Pompadour Monuments Historiques en dimensions 27x18cm, fabriquées à l'usine Montpon-Ménestérol (24) de Terreal et fournies en deux teintes brun noir et brun ébène panachées à 50/50. "Ce type de panachage est effectué à l'initiative du couvreur qui propose des couleurs au client. Une contrainte du chantier fut la crise sanitaire avec une chaîne logistique déstabilisée, ce qui a compliqué pour arriver à livrer l'ensemble des tuiles nécessaire à ce projet d'une ampleur exceptionnelle", avoue Vincent Cailleau chez Terreal. La surface à couvrir était de 2.100 m² et de 2.300 m² avec la terrasse. Les anciennes tuiles de 1930 étant gelivées, il a fallu toutes les déposer ainsi que le lattis et contre lattis. Les gouttières ont été posées à moitié encaissées avec les tuyaux en cuivre se réduisant en becs de cygne afin de rattraper l'aplomb du mur. Ensuite ont été posés le pare-pluie et le lattis. Les tuiles neuves étaient alors panachées en partant du bas et clouées sur un contre lattis mis en place au fur et à mesure de l'avancée.

 

La grue déposait au pied de l'échafaudage les palettes de tuiles qui étaient montées par un tapis-glisse jusqu'au bas de la toiture à plus de dix mètres de hauteur puis stockées sur le lattis. © Toit'Avenir

 

De nombreux cas particuliers ont nécessité du tranchis (coupe en biais des tuiles). Plus de 2 km de tuiles ont ainsi été découpées avec des disqueuses électro-portatives pour les égouts, les arêtiers, les lucarnes, les noues, etc. "Un travail conséquent a porté sur l'étanchéité des points singuliers, pour les lucarnes, les chiens assis, les outeaux plats avec des tuiles plates, qui n'avaient pas assez de pente suivant le DTU aussi nous avons préféré faire les joints debout en cuivre. Nous avons aussi fait les noues en cuivre ainsi que l'abergement des cheminées et des souches aussi en cuivre, mais avec du plomb à l'arrière. Sur la terrasse, il y a aussi un terrasson en zinc avec une verrière. Il s'agit vraiment du projet d'une vie, d'un chantier exceptionnel avec un client qui depuis 15 ans a su renouveler sa confiance à une entreprise locale", confie Romain Péré. Le travail de couverture a été réalisé par une équipe entre 4 et 6 personnes.

 

La pose a commencé par les gouttières en cuivre fabriquées sur mesure dans l'atelier de l'artisan à la plieuse à commande numérique. © Toit'Avenir

 

Des briques restaurées suivant la tradition "hollandaise"

 

Inscrite monument historique depuis 1984, la gare de Tourcoing a les caractéristiques typologiques des gares du Nord de la France. Construite en 1906 par l’architecte Sydney Dunnett avec des matériaux locaux, elle n’a subi que très peu de campagnes de travaux. La coopération entre les équipes de SNCF Gares & Connexions Lille, le studio Patrimoine d’Arep et le groupement d’entreprise Chevalier Nord, en bonne collaboration avec la Drac Hauts-de-France, a permis de restaurer complètement le clos et le couvert du bâtiment-voyageurs. En 2020, l’appel d’offre chantier est remporté par un groupement d'entreprises mené par Chevalier Nord réunissant des artisans charpentiers, couvreurs, menuisiers, tous spécialisés en restauration du patrimoine. Le budget et le planning des travaux prévus pour 18 mois ont été tenus et les travaux se sont terminés à l'été 2022.

 

L'analyse historique de l’édifice et la cartographie de l'état sanitaire de l’ouvrage ont servi à proposer un parti pris de restauration en accord avec son histoire. © SNCF Gares & Connexions-AREP / Photo © Maïwenn Autret

 

Les joints des façades de la gare, qui dataient de 1906, présentaient un état sanitaire variable selon leur exposition. "Nous avons envisagé trois façons de les restaurer. Côté quai, les joints d’origine ont été conservés, nettoyés et restaurés. Les joints des façades latérales, trop dégradés ont été purgés et refaits de manière traditionnelle. Et sur la façade principale, les joints 'hollandais' d’origine ont été restitués. La spécificité de ces joints réside dans leur composition, un mélange de mortier de chaux hydraulique et de poudre de brique. Leur mise en œuvre est longue, car elle s’effectue en plusieurs temps. Après le rejointoiement au mortier de chaux et de briques, on vient tirer un joint de sable blanc, en creux", décrit Maiwenn Autret, cheffe de projet pour la restauration de la gare de Tourcoing - Monument Historique. 

 

Restitution des joints 'hollandais' d’origine sur la façade principale. © SNCF Gares & Connexions-AREP / Photographe : Maïwenn Autret

 

Des pièces de la charpente bois ont été remplacées par le charpentier Battais Charpente et l’ensemble des menuiseries par le menuisier Bouillon. Avec les années, la couverture fuyarde avait fini par altérer les charpentes, les planchers et la maçonnerie. Les brisis du pavillon, recouverts tardivement de bardeaux bitumeux amiantés, ont été désamiantés. Le reste des couvertures a été refait à neuf. "En outre, l’ornementation en zinc du campanile, très vétuste, a été déposé pour être restitué à l’identique en atelier, en s’appuyant également sur les archives historiques, ce qui a permis de rendre à la gare son blason d’origine. Des traces de dorure ayant été retrouvées sur le zinc, certaines parties du campanile ont été redorées", précise Maiwenn Autret.

 

L'ornementaliste zinc 'Ornemente Ton Toit' a fabriqué le campanile en atelier. L’ensemble de l’ouvrage a ensuite été monté par le couvreur 'Bernard Battais & Fils Couverture'. © SNCF Gares & Connexions-AREP / Photographe : M. Autret

 

"Un sujet pour les Gares est ainsi celui de la restauration des couvertures anciennes en plomb ou en zinc, aux vitrages en verre armé. Bien entretenus, leur durée de vie peut-être supérieure à 70 ans. Ces vitrages ont souvent été remplacées dans les années 80 par du bac acier et du polycarbonate dont la durée de vie est de trente ans. Ces modifications de matérialité ouvrent aussi vers de nouvelles possibilités comme celle de transformer les couvertures en des panneaux solaires, tout en vérifiant la faisabilité d’ajout de charges ponctuelles sur la structure", confie Véronique Veston, responsable du studio patrimoine chez Arep.

 

Taille de la pierre, un savoir-faire séculaire

 

Un groupement de trois entreprises a gagné la restauration des pierres de taille des murs extérieurs du Château de Villers-Cotterêts, le mandataire Léon Noel, Pradeau Morin et Charpentier PM. Le chantier a duré sur deux ans et demi mobilisant une vingtaine de compagnons pour Pradeau Morin. "Nous avons la chance d'avoir à proximité du Château les pierres riches en calcaire qui ont servi à sa construction. Une grande quantité de pierres était nécessaire aussi deux provenances ont été choisies avec les mêmes caractéristiques de capillarité, de dureté, etc, soit une carrière souterraine à Noyant proche de Soissons et une carrière à Bonneuil-en-Valois située à environ 15 kilomètres.

 

La restauration se fait en respectant l'édifice et en comprenant le type d'appareillage et d'outils qui ont été employés lors de sa construction", présente Frédéric Létoffé, directeur général de Pradeau Morin, filiale du groupe Eiffage. Le travail en carrière d'extraction des pierres et de leur débit en morceaux, se fait mécaniquement mais la taille demeure manuelle. Une quantité importante de pierres (représentant 600 m³ au total pour le groupement) était à remplacer car certaines étaient dégradées avec l'usure du temps. Un défaut d'étanchéité de la toiture et les chocs thermiques ont entraîné une desquamation de la pierre. Par ailleurs, les façades avaient été modifiées en particulier lorsque l'édifice avait servi d'hôpital, des ouvertures disgracieuses avaient été percées, nous demandant de restituer les façades comme à l'origine. "Nous observons l'existant, comme les parements protégés des intempéries, pour étudier les traces des outils d'origine et les réutiliser. Un sujet est le nettoiement des parements par micro-gommage avec une poudre très fine, de granulométrie 100 μm, avec un peu d'eau. Le nettoyage au laser, qui évite toute abrasion, commence à se faire sur des parties sculptées mais le futur est d'exploiter ce procédé à grande échelle", confie Frédéric Létoffé.

 

Les compagnons utilisent pour la taille des pierres des ciseaux, des gouges et beaucoup les taillants qui donnent un aspect strié ainsi que des tailles brettelées au profil dentelé. © Pradeau Morin

 

Au départ du chantier, l'appareilleur fait un relevé de l'édifice et en accord avec l'architecte, établit un calepin d'appareil, qui une fois validé, sert à produire le bordereau de débit. Les pierres sont débitées aux dimensions en carrière et transportées sur chantier où elles sont dépalettisées. L'approvisionnement des pierres se faisait avec des ascenseurs (lifts) jusqu'au niveau de plancher, puis la manutention avec des transpalettes électriques, suffisamment petites pour passer au travers des fenêtres, jusqu'aux petits treuils ou palans à chaîne pour mettre la pierre en place. La pierre est débitée avec une surépaisseur pour la taille de finition qui est réalisée sur l'ouvrage avec l'outil historique. Les pierres ayant des dimensions de type hauteur du pied 33 cm, longueur 40 à 50 cm et profondeur 30 cm, forment un moyen appareil (hauteur visible de 20 à 35 cm) qui nécessite une pose avec joint. Les pierres sont fichées et scellées par injection d'un coulis de chaux hydraulique et de sable, sous pression gravitaire.

 

Le château dispose essentiellement de parements droits en pierre de taille, de quelques éléments sculptés et des moulures de style Renaissance. © Cruard Charpente

 

Une isolation intérieure biosourcée

 

Spécialiste du biosourcé, l'agence Landfabrik a gagné il y a deux ans le concours du chantier de rénovation et extension de la Médiathèque de Mer (41), qui comporte plusieurs bâtiments. La partie la plus ancienne date de 1900 et comporte plusieurs ailes dont une partie avec des lambris bois à l'intérieur des années 70. Le but est d'en faire une médiathèque avec un auditorium. Une petite extension abritera l'entrée principale vitrée. Elle est prévue en ossature bois avec isolation extérieure en paille, des bardeaux extérieurs en bois châtaigner en façades et couverture en zinc. Les ABF ont accepté une rupture assumée avec la partie réhabilitée.

 

L'ancien bâtiment de la Médiathèque de Mer est construit en traditionnel avec des murs en pierre de la région avec un doublage placo et un enduit extérieur ciment pas respirant. © Landfabrik

 

La cave voûtée est très humide. Après une phase d'études, les travaux ont démarré en septembre 2023 par le curage et un peu de désamiantage et dix mois de travaux sont prévus. Pour l'existant, les ABF ont poussé à l'extérieur après décroutage pour le recours à un enduit à la chaux, un matériau sain et pérenne avec peu d'empreinte carbone, qui est respirant et ne bloque pas l'humidité. Il sera de couleur claire comme d'autres bâtiments à proximité. "Nous avons prévu une isolation par l'intérieur en béton de chanvre sur une épaisseur de 20 cm, un matériau hygroscopique et respirant, pour la régulation de l'humidité intérieure. Pour l'interface avec le sol, la cave voûtée va être réhabilitée en reprenant en sous-oeuvre des fondations et en augmentant le drainage", décrit l'architecte Benoît Rougelot, co-gérant de Landfabrik. Pour la couverture sur charpente bois, les ardoises vont être intégralement changées.

 


Source : batirama.com/ François Ploye

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