CobBauge : Construire en bauge et respecter les normes actuelles, c’est possible

La bauge (mélange de terre et de fibre végétale) dans sa version moderne, offre de belles perspectives de constructions durables, confortables et adaptées à la RE2020, résultats scientifiques à l’appui.

Photo : Terre-fibre de roseau, pour l'isolation intérieure, et terre-chènevotte de lin, pour la partie structurelle de ce "mur idéal". ©Builders

 

Après cinq ans d’études et d’expérimentations menées de part et d’autre de la Manche, le projet franco-britannique CobBauge* s’achève. Les pilotes du programme, des équipes de Builders - École d’ingénieurs Campus de Caen, d’une part, et de l’Université de Plymouth, de l’autre, ont fait le bilan avec les partenaires industriels et institutionnels engagés dans l’aventure.

 

Ils annoncent des résultats très encourageants pour développer un bâti en terre crue construit selon des critères modernes de performance énergétique et environnementale.

 

 

Moderniser le matériau terre

 

 

"Disponibilité de la ressource, comportement du matériau, confort du bâti, … La terre est un matériau de construction ancestral qui offre beaucoup d’avantages par rapport aux enjeux actuels", explique Mohamed Boutouil, directeur de la recherche de Builders – Ecole d’ingénieurs, "Nous avons travaillé à lever des barrières, pour adapter ce matériau et l’intégrer dans une solution constructive moderne et écologique."

 

 

Mohamed Boutouil, directeur de la recherche de Builders – Ecole d’ingénieurs. ©Builders

 

 

Partis de la bauge, un mélange de terre et de fibre végétale, très présent en Bretagne et Normandie, mais aussi dans le sud de l’Angleterre, techniciens et chercheurs des deux côtés de la Manche ont d’abord travaillé à identifier le mélange terre-fibre le plus prometteur et le plus adapté aux besoins actuels. Les premières années ont permis de mettre au point un procédé de construction mixte alliant, dans une double paroi, une terre allégée isolante et une terre assez dense pour la partie structurelle. "A partir d’essais en laboratoire avec une vingtaine de mélanges de terre et de pailles de diverses plantes, aux fibres plus ou moins longues, nous avons retenu les matériaux présentant les meilleures performances techniques, de résistance en compression et de conductivité thermique."

 

Ont remporté la palme un mélange terre-fibre de roseau, pour la partie isolante, et un mélange terre-chènevotte de lin, pour la partie structurelle (il est important d’utiliser des fibres disponibles localement ou non loin du chantier et disponibles en quantités suffisantes). L’un et l’autre ont été mis en œuvre en épaisseur égale : 25 cm de chaque sur les murs est et ouest, et 30 cm au sud et au nord).

 

 

Divers mélanges ont été testés durant les premières années de recherche. ©Builders

 

 

Des bâtiments bourrés de capteurs

 

 

La seconde phase a été consacrée à la construction d’un bâtiment démonstrateur de chaque côté de la Manche. "Il fallait vérifier en conditions réelles les résultats obtenus au labo, réfléchir au mode constructif et réaliser le suivi du comportement du matériau", reprend Mohamed Boutouil.

 

Chaque équipe a réalisé un bâtiment pilote selon une architecture qui lui est propre, mais en respectant le mode constructif arrêté : le coffrage des deux mélanges, mis en œuvre simultanément, par des levées successives, sur une épaisseur de 50 à 60 cm (quand la bauge est classiquement mise en œuvre sur 80 cm environ) :

 

"Pendant la construction, nous avons étudié le comportement du matériau tandis qu’il passait de la phase humide à la phase sèche. La teneur en eau est un facteur clé ; les courbes de séchage varient selon les conditions météo. Le temps de séchage a été étudié pour tenter “d’ajuster la cadence” du chantier et parvenir à accélérer le processus. Les Britanniques ont construit un dôme pour abriter le chantier des intempéries ; nous avons opté pour une saisonnalité du chantier. Intégrer le temps de séchage et les variations climatiques est nécessaire pour prévoir l’organisation du chantier."

 

L’expérience a montré que le bâtiment était stabilisé après 3 mois de séchage. Il est utilisable au bout de 6 mois environ et il continue de sécher pendant un an. "Les données ne sont pas encore entièrement analysées ; il faut notamment optimiser le temps de décoffrage pour phaser le chantier plus précisément."

 

La troisième et dernière phase du programme a consisté à détailler la partie architecturale : comment poser les linteaux, les fenêtres, la couverture, intégrer les prises de courant, etc. Tous les points techniques seront prochainement réunis dans un guide de pose.

 

 

Deux bâtiments démonstrateurs ont été construits et instrumentés pour valider les résultats de laboratoire. Ici, le prototype Normand en cours de réalisation. ©Builders

 

 

Le suivi post-construction

 

 

De nombreux paramètres sont étudiés pour caractériser le matériau et la solution constructive. "Plus de 100 capteurs ont été intégrés aux murs, ce qui permet de suivre le comportement du bâtiment pendant mais aussi après la phase de construction : température, hygrométrie, teneur en CO2 de l’air intérieur, sondes mesurant la rétractation des murs, … Les premiers retours de l’instrumentation in situ sont encourageants. Le confort d’été est là, avec une bonne inertie : l’humidité est adaptée et la température est montée aux environs de 25 °C à l’intérieur lors des pointes à 36°C extérieurs durant l’été dernier."

 

Quant au bilan carbone, dont on se doute qu’il sera excellent, il sera bientôt disponible, grâce à l’Analyse du Cycle de Vie en cours.

 

 

Former, un point crucial pour développer la construction terre

 

 

Démontrer que la bauge remplit le cahier des charges du bâtiment d’aujourd’hui ne suffit pas à motiver les vocations de constructeur en terre crue. "Peu d’entreprises sont formées à la construction terre. Le matériau est méconnu et peut créer doutes et appréhension. Il est primordial de montrer que la bauge n’est compliquée ni à produire ni à mettre en œuvre, et que les résultats sont là, dès lors que certaines règles sont respectées. Nos modules vidéos de formation, ouverts à tous sur le site du projet, doivent permettre de démystifier la construction en bauge."

 

Divers guides techniques sont aussi accessibles librement sur le site www.cobbauge.eu. La prochaine étape (qui se déroule en dehors du cadre européen, Brexit oblige…) sera de compléter les outils de formation au fur et à mesure de l’analyse des données, pour favoriser le transfert de compétences, aussi bien en direction des artisans que des grands groupes de la construction.

 

Builders, l’école d’ingénieurs Campus de Caen, forme bien entendu ses élèves-ingénieurs. "Les architectes s’intéressent eux aussi au principe constructif, et des assureurs suivent nos résultats. Il s’agit de toucher toutes les parties prenantes pour développer ce mode constructif, adapté aux maisons individuelles comme aux bâtiments collectifs", assure Mohamed Boutouil.

 

 

L'intérêt de la bauge est d'utiliser des ressources locales ou peu éloignées du site de construction : terres et fibres sont abondantes sur le territoire. ©Builders

 

 

Des perspectives raisonnablement optimistes

 

 

Du côté français, le projet CobBauge devrait connaître des prolongements dans le cadre du Projet National Terre. A la suite des modules de formation et des guides techniques, seront probablement produites des Règles Professionnelles. D’ici-là, il s’agit de rassurer les acteurs de la construction qui voudraient se lancer en affinant et diffusant les résultats, et en multipliant les projets de référence.

 

La question de la fin de vie des constructions, notamment, doit être étudiée de près : si le matériau est réutilisable et compostable, la question du traitement des accessoires se pose. La conception architecturale des bâtiments est donc décisive.

 

Bien d’autres aspects sont à approfondir pour intégrer de plus en plus d’éco-conception dans les mois et années à venir. "Il faut travailler sur des projets réels et donc convaincre quelques maîtres d’ouvrages précurseurs", admet Mohamed Boutouil, qui est résolument optimiste : "Nous sommes dans une période d’accélération : les besoins en constructions performantes et peu impactantes pour l’environnement, la demande de bâtiments sains, les éléments techniques disponibles, …, tout cela devrait converger assez rapidement." Le directeur de recherche note en tous cas une réelle appétence de ses élèves ingénieurs pour ce mode constructif vertueux.

 

L’école reste en lien avec ses homologues britanniques et, en complément de la construction in situ, réfléchit notamment à la possibilité de préfabriquer des modules dans des ateliers localement implantés ; une technique constructive aux multiples avantages qui rencontre de plus en plus d’adeptes.

 

 

Divers outils destinés à faciliter l’adoption de cette technique de construction sont accessibles gratuitement pour les artisans, architectes, maîtres d’oeuvre, entreprises de BTP, étudiants et enseignants. ©Builders

 

 

 

*CobBauge est un programme Interreg VA France (Manche) / Angleterre, mené de 2018 à 2023 avec un cofinancement des Fonds Européens de Développement Régional (FEDER) à hauteur de 2,8 millions d’euros.

 


Source : batirama.com / Emmanuelle Jeanson

↑ Allez en Haut ↑