L'impression 3D s'industrialise pour le gros œuvre

La diffusion de l'impression 3D dans le bâtiment et les travaux publics a franchi une nouvelle étape avec l'ouverture d'ateliers de fabrication, équipés de manière industrielle. (Photo © Spie Batignolles)

En une décennie, l'impression 3D, également appelée fabrication additive, s'est imposée dans le secteur du bâtiment avec une industrialisation qui a franchi récemment une nouvelle étape. L'actualité est marquée par deux faits marquants : la création d'ateliers industriels de préfabrication (Spie Batignolles, Carsey 3D, Concreative de Freyssinet...) et la livraison à mi 2022 des maisons Viliaprint du bailleur Plurial Novilia avec des murs imprimés structurels.

 

 

D'autres matériaux que le béton sont employés de manière plus artisanale pour l'impression de bâtiments comme la terre crue mise en œuvre par l'italien Wasp (ici impression avec le sol local à Ravenne de l'éco habitat Tecla conçu par l'agence Mario Cucinella Architects) ou le bioplastique fondu extrait d'huile de colza chez DUS Architects aux Pays-Bas. © Wasp

 

 

La filière béton est en tête pour la maturité des procédés. Elle est représentée en France principalement par XtreeE et Constructions-3D. Crée en 2015, la startup XtreeE dans laquelle ont investi Lafarge/Holcim France et Vinci Construction, a développé un bras d'impression robotisé en atelier qui a fait la preuve de sa précision sur plusieurs projets dont les murs des maisons Viliaprint ou des poteaux aux formes arborescentes. Ce système est déployé dans des ateliers d'impression 4.0 chez Concreative de Freyssinet (Vinci Construction) à Dubaï et chez Spie Batignolles pour sa marque EmPrinte à Ollainville (91). De son côté Constructions-3D ambitionne de démocratiser l'accès à l'impression 3D avec une gamme de machines d'impression 3D allant des plus petites (MiniPrinter) pour le mobilier urbain, aux plus grandes (MaxiPrinter) pour construire des murs de bâtiments sur site.

 

 

Constructions-3D a démarré l'impression de son troisième bâtiment, celui-ci à étages, sur le site de son siège social à Bruay-sur-L'Escaut (59) près de Valenciennes avec une MaxiPrinter. © Constructions 3D

 

 

 

Le défi du structurel

 

 

 

Technique émergente, l'impression 3D en béton n'a pas encore passée les essais nécessaires pour être utilisable en structurel. Elle sert généralement à fabriquer des coffrages perdus de poteaux ou de murs, dans lesquels sont insérés des ferraillages et coulé du béton. Une première exception en France est l'opération Viliaprint à Reims réalisée par l'agence Coste Architecture et Demathieu Bard pour le bailleur Plurial Novilia. Un des objectifs principaux du projet était d'être certifié avec une ATex (Appréciation technique expérimentale) du CSTB de cas B pour les murs imprimés structurels, afin de débloquer l'assurabilité du projet. "L'encre pour l'impression est encore chère mais la technique va assez vite devenir équivalente en coût aux techniques traditionnelles. C'est le premier exemple de bâtiment imprimé en France et tous les majors se mettent à l'impression 3D avec des partenaires. De leur côté, les cimentiers travaillent sur ce sujet dans leurs labos avec un nouvel axe, le béton imprimé bas carbone", présente Jérôme Florentin, directeur de la MOA chez Plurial Novilia.

 

 

Le programme Viliaprint de cinq maisons individuelles a été livré en juin 2022 avec des murs fabriqués hors site, mélange d'éléments préfabriqués en traditionnel et de pièces toute hauteur imprimés en 3D par XtreeE et Vicat pour le mortier. © Demathieu Bard

 

 

Le bailleur est engagé sur une nouvelle opération, ViliaSprint2, toujours avec des murs imprimés mais cette fois-ci de résidence collective à étage (R+2) qui compose 85% de leur patrimoine immobilier. L'autre objectif du programme est de savoir répondre à la performance thermique demandée par la RE 2020 ainsi qu'au prochain palier de 2025. Une différence importante est que l'impression se fait sur site avec la technologie de la société allemande Peri, qui a développé en partenariat avec Cobod une solution d'impression 3D robotisée sous forme de portique.

 

"La tête d'impression sur portique, amovible en trois dimensions, s'installe sur chantier et encadre le gabarit du bâtiment. Elle permet d'imprimer sur site l'ensemble des murs du bâtiment avec des granulats locaux, en circuit court, sans nécessité de transport d'éléments préfabriqués. Pour les parties qui ne sont pas imprimées, nous allons utiliser du béton bas carbone ou du bois. Globalement nous évoluons de plus en plus vers la mixité des modes constructifs avec aussi un intérêt pour le circuit court", poursuit Jérôme Florentin.

 

Outre le Groupe Peri et le cimentier Holcim qui travaille sur un béton imprimable bas carbone, l'équipe du projet compte l'agence Hobo, l'entreprise générale Demathieu Bard, le BE structure Amodis et le bureau de contrôle Socotec qui va faire le suivi de la nouvelle Atex. L'enveloppe sera imprimée en trois cordons auto-portants de teinte gris clair, avec deux cordons intérieurs et visibles, un vide de 20 à 25 cm dans lequel sera intégré un matériau isolant, et un cordon extérieur de 8 cm. Un peu de ferraillage est prévu dans certains endroits plus sensibles, comme les linteaux, les meneaux et les liaisons façades aux dalles. Si l'intérieur est plus classique, l'ensemble des murs intérieurs porteurs sont aussi imprimés.

 

Le démarrage des travaux de ViliaSprint2 est prévu pour début 2024. Le bâtiment est conçu en deux parties, de 11 à 12 mètres de large, sur trois niveaux avec 10 m de hauteur avec acrotères. © Agence Hobo

 

 

 

L'ambition d'un maillage territorial

 

 

 

L'autre nouveauté est l'industrialisation d'une offre d'impression 3D sur mesure en ateliers comme en témoigne la marque EmPrinte créée fin 2022 par Spie Batignolles. Deux POCs (Proof of Concept) réalisés avec XtreeE, sur un noeud de poutre préfabriquée et sur un coffrage perdu d'une boîte de réservation d'un voile béton, avaient permis à Spie Batignolles de valider sur des cas concrets les bénéfices du procédé.

 

"Fort de ces deux POCs, nous avons acquis un premier robot fin 2021 auprès de XtreeE et ouvert un atelier pour l'impression 3D à Ollainville (91), recruté une équipe et acquis la maîtrise de l'outil et du procédé en étant accompagné pendant plusieurs semaines par XtreeE. En particulier dans le cas de la substitution du procédé manuel de coffrage et décoffrage par l'impression 3D, les points positifs sont l'économie de bois de coffrage, fortement employé sur les chantiers ainsi que l'économie de temps et la réduction de la pénibilité sur chantier", présente Gregory Fouant, directeur matériel des méthodes & du GIE Fabrication Additive chez Spie Batignolles.

 

 

En 2022, la nouvelle équipe de Spie Batignolles a répondu à des cas d'usage interne avec parmi les plus intéressants, comme sur la photo, des massifs de charpente pour un chantier de réhabilitation à Poitiers, sur lesquelles sont venues se fixer les platines, des coffrages perdus pour des poteaux de la future piscine d'Aubervilliers, ainsi que d'autres coffrages pour des murets courbes et pour un bac à douche plug&play pour une résidence à Nancy qui, après pose du treillis soudé et coulage du béton, est directement opérationnel. © Spie Batignolles

 

 

Afin d'avoir un maillage territorial de ce nouveau service d'impression 3D, la décision a été prise par la direction de Spie Batignolles de commander un deuxième robot qui sera installé dans la métropole lyonnaise et ultérieurement d'ici un an un troisième robot destiné à la région sud ouest. À Paris, le robot est surélevé de 2 mètres, permettant d'imprimer dans un volume jusqu'à 3 mètres de côté.

 

"Comme la production peut monter jusqu'à 3 tonnes par jour, il est prévu qu'à Lyon, le deuxième robot sera mobile. L'espace d'impression y sera organisé en quatre zones afin d'augmenter la cadence, en effectuant des rotations entre les phases d'impression et de séchage. La couleur de base est gris ciment avec quelques ouvrages en blanc, et côté finition, les poteaux par exemple sont laissés bruts. En revanche lorsqu'il faut de l'étanchéité, par exemple pour des plots sur toitures, la surface imprimée est réenduite et lissée", complète Gregory Fouant.

 

Parmi les nouveaux projets de 2023 figure la réalisation des acrotères du dernier étage de la Tour Keiko à Issy-les-Moulineaux.

 

 

 

Préfabrication 4.0

 

 

 

Un autre exemple est donné par le groupe Carsey, une PME avec une expertise en préfabrication béton pour les travaux publics et le bâtiment au travers de ses filiales Chapsol et Sotubema. "En préfabrication, nous demeurons contraints par les moules. Il est difficile de faire une pièce unique et les délais pour recevoir les moules traditionnels sont de six mois après avoir passé la commande auprès du mouliste. Aussi nous sommes intéressés à l'impression 3D que nous avons testée ces dernières mois avec Sika et qui accroît le potentiel de la préfabrication en s'affranchissant des moules. Nous nous sommes équipés d'un portique robotisé pour l'impression 3D, qui imprime dans un volume de 4x4m et 2,4m de hauteur. Il est utilisé chez Chapsol suivant deux axes, la fabrication de pièces uniques ou de petites séries, et la production de moules avec une très grande réactivité. Notre bureau d'études interne a complètement intégré cette problématique et nous pouvons imprimer en 72 heures avec la 3D une pièce ou un moule", présente David Poulain, directeur marketing et commercial du groupe Carsey.

 

Le Groupe a démarré officiellement son activité d'impression Carsey 3D fin 2022 à Courbet (77). L'impression 3D permet de résoudre des problématiques mal traitées avec la préfabrication classique, comme illustrées par un chantier de fabrication d'une gaine technique en cours d’étude. D'une longueur d'environ 100 mètres, la gaine doit être réalisée en béton traditionnel sauf quelques points singuliers, des angles spéciaux et des connexions, qui seront dessinés et imprimés en 3D. Cette option représente un gain de 30% du planning de travaux par rapport à une version 100% réalisée in situ.

 

Un débouché pour Carsey 3D est la fabrication de mobilier urbain ou de pièces architectoniques. L'impression 3D permet de faire des séries de pièces uniques, sans être contraint par les moules. Le procédé est industriel, avec la possibilité de mettre neuf palettes dans l'espace du portique et d'imprimer neuf pièces différentes. © Carsey 3D

 

 

Le Groupe Carsey espère à terme équiper l'ensemble de ses quatre usines, la deuxième en île-de-France, celle en région Rhônes-Alpes et celle de Bordeaux. Le portique automatisé d'impression 3D a été développé par Sika avec l'aide de l'industriel suisse LCA. Le principe du système d'impression développé par Sika est d'utiliser une encre fluide Sikacrete-7100 3D avec un activateur introduit au niveau de la tête d'impression. L'encre fibrée présente une résistance d'environ 70 MPa en compression et de quasi 10 MPa en flexion. Les fibres sont pour la tenue aux chocs et la maintenabilité du produit imprimé. La couleur de base est blanche, il est donc possible de colorer à façon.

 

"Actuellement nous avons trois sites qui impriment avec la technologie d’impression 3D béton Sika, un aux Etats-Unis, le site de Carsey à Coubert et un site en Suisse chez Affentranger 3DCP", précise Fabrice Decroix, directeur innovation France chez Sika. Un des atouts du procédé 3D est d'alléger les structures, en optimisant la topologie des pièces, en mettant la matière là où les efforts seront portés sur la structure.

 



Source : batirama.com/ François Ploye

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