Ouate de cellulose : un sel nocif peut en cacher un autre

La confusion règne sur le marché de la ouate de cellulose alors que les produits avec sel de bore suspendus depuis le 30 septembre, sont à nouveau autorisés par le CSTB! La filière est-elle en danger ?

 

Quand un représentant de la Capeb 56 lance en pleine conférence sur la toxicité des matériaux «  Attention à ne pas nous retrouver avec un dossier type amiante" alors qu'il évoque la ouate de cellulose, on s'interroge ! Comment ce produit "biosourcé", chouchou des artisans à la fibre écologique, sensibles à ses vertus 100% développement durable, peut-il ainsi être mis en accusation ?

 

La question du sel de bore, additifs aux vertus fongicides et ignifuges, mais dont la reprotoxicité (altérant la fertilité) a été reconnue par la directive européenne biocide, a déjà été réglée. La Commission chargée de formuler les avis techniques (CCFAT) a même suspendu le 30 septembre 2012 tous les avis techniques (AT) de ouate de cellulose contenant ce produit.

 

Forte odeur d’ammoniac

 

C'est justement la nouvelle formulation sans sel de bore de certaines ouates de cellulose qui pose problème... Les industriels ont été contraints de revoir la composition de leurs produits et ont remplacé le sel de bore par un autre sel, celui d'ammonium. Avec comme conséquences inattendues mais très rapides, des dégagements de vapeurs d'ammoniac rendant certaines maisons inhabitables en l’état.

 

Une centaine de litiges serait répertoriée pour un total de quelque 24 000 tonnes de ouates mises en œuvre (source Ecima). Autres événements préoccupants, une gène respiratoire sur les sujets les plus sensibles comme cet artisan breton qui, après un chantier de soufflage, s'est retrouvé aux urgences, victime d'une crise d'asthme que la ventoline ne suffisait pas à calmer.

 

Pour autant, la victime, Pascal Legris, fervent défenseur de cet isolant, ne met pas formellement en cause la ouate de cellulose. « Je ne sais pas ce qu'il s'est passé mais j'ai voulu vérifier la composition de la nouvelle formulation et là, rien, impossible de savoir ce qu'il y a dans le nouveau produit », déplore t-il.

 

Son épouse, Marie-Annick dénonce cette opacité : « Sur les anciens sacs de notre fournisseur (avec sel de bore, ndlr), tout les composants étaient indiqués. Pourquoi ne pas en faire de même aujourd'hui ? On ne peut même pas se procurer de fiche de déclaration sanitaire et environnementale (FDES) ! », déplore t-elle.

 

Le sel de bore à nouveau autorisé par le CSTB

 

C’est Olivier Legrand, président d’Ecima, le syndicat regroupant 6 fabricants de ouates de cellulose (dont 4 français) qui a lui même alerté les autorités compétentes dès la mi-octobre. Début novembre, dans l’urgence, la Commission chargée de formuler les avis techniques ouvre à nouveau la porte aux ouates avec sel de bore.

 

« C’était ça ou tuer la filière », estime Georges Debiesse, président de la CCFAT qui a du arbitrer une réunion très animée, entre les membres de la commission qui étaient pour la ouate avec sel de bore et ceux qui s’y opposaient fermement.

 

« Nous étions allés volontairement au-delà de la législation européenne en vigueur en interdisant complètement les sels de bore dans le produit », reconnaît le président de la CCFAT.

 

En effet, si la directive biocide classe l’acide borique dans la catégorie des produits reprotoxiques, le cadre réglementaire de gestion des substances chimiques (Reach) stipule que la concentration en sel de bore dans le produit fini ne doit pas dépasser 5,5%. Or, les ouates de cellulose retirées du marché français n'excédaient pas ce seuil…

 

Un produit qui se doit d’être irréprochable

 

Dès lors, pourquoi la CCFAT a t-elle décidé de suspendre tous les AT ? « La ouate de cellulose est un très bon isolant, explique Georges Debiesse. Elle bénéficie d’un très bon bilan carbone car elle ne nécessite presque pas d’énergie pour être fabriquée.

 

C’est un produit biosourcé, très attractif qui porte les trois piliers du développement durable (écologique, économique et social, ndlr). Par conséquent, il se doit d’être irréprochable. » Un avis partagé par Denis Fourkal, directeur général d’Univercell, premier industriel a avoir obtenu un AT sans sel de bore, dès juin 2011.

 

« Dès 2009, nous avons démarré nos travaux de recherche pour reformuler nos produits sans sel de bore, confie le DG d’Univercell. En tant qu’industriel responsable, il nous semblait évident d’arrêter d’utiliser cet additif. »

 

Univercell a substitué le sel de bore en partie par celui d’ammonium. « Nous avons réussi à stabiliser notre produit et ne sommes donc pas concernés par les litiges actuels », assure Denis Fourkal qui reconnaît toutefois avoir rencontré des problèmes similaires au départ mais les avoir résolus.

 

Une campagne de mesure dans les maisons

 

La CCFAT a demandé aux fabricants français de ouate de cellulose de travailler avec le CSTB pour établir les causes de ces émanations d’ammoniac. « Nous sommes dans le même bateau, confie un industriel. Les bons élèves ont intérêt à être solidaires car c’est toute la filière qui joue gros si le produit est discrédité. »

 

La Commission a donné une nouvelle échéance au 30 juin 2013, date à laquelle les Avis Techniques du CSTB avec ouates avec sel de bore seront à nouveau suspendus sur le marché français.

 

D’ici là, la Direction de l’Habitat, de l’Urbanisme et des Paysages (DHUP) sous couvert des Ministères du Logement et de l’Ecologie, a commandé une étude sur la qualité de l’air intérieur des maisons isolées avec de la ouate de cellulose à base de sels d’ammonium.

 

« Une campagne de mesure est en cours sur un échantillon de maisons concernées, précise Georges Debiesse. Elle devrait nous permettre d’y voir plus clair. »

 

En attendant, la ouate de cellulose fera l’objet d’une attention particulière de la Commission Prévention Produit (C2P) de l’Agence Qualité Construction qui se réunira dans quelques jours.

 

Source : batirama.com/ Céline Jappé

 

« Tous les fabricants d’isolants souhaitent améliorer leurs produits »

 

« Le sel de bore n’a jamais été interdit pour ses qualités initiales d’ignifugeant. Il est toujours utilisable dans l’ensemble de l’Europe ainsi qu’en France pour cela », précise Olivier Legrand, président d’Ecima et directeur d’NRGaïa, fabricant de ouate de cellulose. Selon lui, la position de la CCFAT de demander la suspension des Avis Techniques relève d’une interprétation du règlement Reach, interprétation revue positivement récemment d’où la réactivation des Avis Techniques.

 

« Sans entrer dans un débat technique, ce sont les effets cyto reproductifs du sel de bore qui sont reprochés au produit. Nous pourrions avoir le même débat sur des produits mortels actuellement inclus dans des isolants actuellement distribués sur le marché : isocyanate ou formaldéhyde par exemple. Ces produits sont effectivement extrêmement nocifs pour l’Homme et font pourtant l’objet d’Avis Techniques du CSTB et d’Acermi. »

 

Olivier Legrand pense que tous les acteurs de la filière souhaitent améliorer leurs produits. « Néanmoins, comme pour les entreprises fabriquant les isolants utilisant les substances ci-dessus indiquées, les industriels doivent avoir le temps de développer et de valider les solutions techniques dans un cadre maîtrisé et surtout concerté. »

 

Dates clés

9 août 2011

: entrée en vigueur de l’arrêté du 22 juin 2010 prévoyant l’interdiction d’utilisation des produits à usages biocide (dont l’acide borique). Toutefois, l’utilisation de l’acide borique à usage ignifugeant (usage initial revendiqué pour la ouate) reste autorisée.

30 juin 2012

: suspension des Avis Techniques du CSTB des ouates avec sel de bore (dérogation exceptionnelle

au 30 septembre 2012

, date à laquelle les produits avec sel de bore ne bénéficient plus d’Avis Techniques du CSTB pour le marché français

5 novembre 2012

: la CCFAT fait réactiver les Avis Techniques pour les ouates formulées avec sel de bore

30 juin 2013

: Nouvelle échéance pour laisser le temps aux industriels de stabiliser le sel d’ammonium dans leur formulation afin de fabriquer des produits sans sel de bore.
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