Selon le GIEC, il est urgent d'introduire le concept de sobriété dans le bâtiment

Yamina Saheb, analyste principale des politiques climatiques chez Open Exp, l'une des autrices principales du rapport du GIEC publié lundi 4 avril, a présenté les conclusions du rapport en ce qui concerne le secteur du bâtiment le 6 avril dans une conférence en ligne organisée par l'Ecole des Ponts.

Dans le cadre d'un cycle de conférences internationales en ligne sur le thème de la stratégie neutralité carbone dans l'immobilier et le bâtiment à travers le monde à l'horizon 2050 organisé par l'Ecole des Ponts ParisTech, Yamina Saheb, l'une des autrices principales du troisième rapport du GIEC pour sa partie immobilier et bâtiment, a fait part de son analyse et de ses conclusions.

 

Yamina Saheb. © DR

 

Pour rappel, le rapport du GIEC, groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat, est écrit par 278 auteurs venus de 65 pays dans le monde. Depuis une trentaine d'années, le GIEC s'emploie à travailler sur l'évolution du climat dans le monde. Pour ce dernier rapport publié ce lundi 4 avril 2022 et qui revient sur les évolutions des politiques d’atténuation des changements climatiques de ses sept dernières années, il a fallu trois ans de travail. Environ 18 000 articles scientifiques ont été épluchés afin de faire un bilan sur l'évolution des politiques climatiques et tenter d'y apporter mise à jour des solutions qui fonctionnent.

 

Le GIEC est indépendant et ses auteurs sont bénévoles. Son travail de recherche n'est pas prescriptif. Ce sont aux gouvernements de chaque pays dans chaque région du monde de se saisir du rapport et de mettre en place des politiques adéquates. 

 

 

Priorité, la politique d'aménagement du territoire

 

 

Une bonne nouvelle, tout d'abord : le rapport indique qu'il est possible de réduire de moitié les emissions mondiales de CO2 d'ici à 2030. Mais il faut agir maintenant. "C'est si, et seulement si on met en place les politiques nécessaires, des politiques ambitieuses, que nous pourrons atteindre ce niveau de réduction des émussions. Pour cela il est important d'introduire le concept de sobriété, qui va bien au delà de la sobriété énergétique telle que comprise jusqu'à présent dans le bâtiment", indique Yamina Saheb.

 

Mais qu'est-ce que la sobriété énergétique ("sufficiency" en anglais)? Elle vient d'être définie, dans le rapport, comme "toutes les mesures qui permettent d'éliminer l'utilisation d'énergie, de matériaux, de terres et d'eau tout en garantissant le bien être de tous dans le cadre des limites planétaires".

 

En effet, l'analyse de différents scenarios, montrant l'évolution des émissions de CO2 si on continue les choses telles qu'on les fait aujourd'hui, ou à contrario si l'on met en place différentes politiques, indique clairement que nous devons agir et changer les choses. En effet en 2019 le bâtiment a représenté 12 gigatonnes de CO2, soit 1/5 de l'ensemble des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Sans rien faire, les choses ne feront qu'empirer.

 

Si de nombreux efforts ont déjà été entrepris afin de réduire les émissions des bâtiments en phase d'utilisation grâce à la mise en place de mesures d'éfficacité énergétique, "tout ce qui a été gagné a été perdu lorsque le concept de sobriété n'a pas été respecté", indique la chercheuse.

 

En effet, entre 1990 et 2019, on remarque une augmentation forte du nombre de m² par personne pour les habitations. Or, tandis que cela est acceptable pour les pays en voie de développement (la moyenne en Afrique est de 10m²/personne), cela l'est moins dans les pays développés (Europe : 40m²/personne). "Il faut à tout prix des politiques qui n'encouragent plus l'étalement urbain", explique Yamina Saheb. En effet, contrairement à d'autres régions du monde où la famille a tendance à être regroupée sur plusieurs générations dans un seul et même logement, le modèle occidental tend plutôt vers des familles de très petites tailles (familles monoparentales, personnes âgées isolées...). Résultat : plus d'habitations, plus de mètres carrés par personnes mais aussi plus de matériaux nécessaires, plus de besoins en chauffage etc... 

 

"Bonne nouvelle," ajoute la chercheuse, "les mesures de sobriété ne coûtent pas d'argent. Il faut prendre des décisions au niveau de l'aménagement du territoire. Eliminer l'étalement urbain. Réaménager les mètres carrés existants qui ne sont plus utilisés. Faire en sorte que les gens puissent facilement changer de logement en fonction de l'évolution de leurs besoins. Aujourd'hui, bouger, c'est trop compliqué..."

 

Les industriels ont également leur part à jouer : "Quand on a des grandes maisons, on utilise des grands équipements. On consomme donc plus. Aujourd'hui un grand frigo va être bien noté pour sa performance énergétique. Mais allez trouver un petit frigo, pour un petit appartement, qui ait une note A++. Les petits frigos sont plutôt classés en B."

 

 

Prendre en compte tous les gaz à effet de serre

 

 

Le rapport du GIEC essaye d'avoir une analyse plus fine de la problématique du climat. "Il n'y a pas que le CO2 qui constitue un gaz à effet de serre. Il ne faut pas oublier le CH4, N2O, et les gaz réfrigérants. Aujourd'hui on incite à remplacer les chaudières par des pompes à chaleur. Mais si les pompes à chaleur émettent moins de CO2, il ne faut pas oublier qu'elles émettent plus de gaz réfrigérant. Et cela n'est pas encore pris en compte dans l'estimation des émissions de GES du bâtiment."

 

Pour le calcul des émissions de CO2, il est aussi important d'inclure non pas uniquement les émissions des bâtiments en utilisation, mais aussi l'énergie grise, celle qui est émise pendant le processus de fabrication, depuis la fabrication des matériaux jusqu'à la phase de construction.

 

"Pour rester dans les limites d’augmentation de température indiquées dans l’Accord de Paris, il faut que les émissions de gaz à effet de serre commencent à décliner à partir de 2025," indique Yasmina Saheb. "D'ici 2050, on pourra arriver à un stock de bâtiments avec zéro émissions."

 

Pour consulter le rapport complet, téléchargeable par chapitre, c'est ici (disponible en anglais uniquement).



Source : batirama.com / Emilie Wood / Photo © jcomp

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