L'Europe décide que le gaz naturel et le nucléaire sont "verts"

La Commission Européenne a publié un acte délégué complémentaire qui permet d?inclure le nucléaire et le gaz naturel dans la taxonomie Européenne. Il sera très vite contesté.

Nous vous avons décrit la taxonomie Européenne par le menu dès mai 2021. C’est une classification des activités économiques que l’Europe considère comme favorables à la protection de l’environnement (environmentally sustainable activities). Le but de la Commission Européenne est tout à la fois de diriger les investissements vers ces activités vertes et de protéger les investisseurs contre le greenwashing en leur fournissant une liste sur laquelle ils peuvent s’appuyer pour investir vert.

 

La Commission Européenne estime que la taxonomie Européenne couvre 170 activités, qui représentent 40% des sociétés cotées dans l’Union Européenne, dans des secteurs responsables d’environ 80% des émissions directes de gaz à effet de serre.

 

En creux, toutes les activités qui ne figurent pas dans la taxonomie Européenne ne sont donc considérées ni comme soutenables, ni comme favorables à la restauration de l’environnement pour atteindre les objectifs du Green Deal Européen. L’acte Délégué qui institue la taxonomie Européenne est applicable depuis le 1er janvier 2022.

 

Par conséquent, les investissements dans ces activités hors-taxonomie seront plus coûteux et ne pourront pas bénéficier des procédures de finances vertes développées par l’Europe, comme les Green Bonds (obligations vertes), …

 

C’est de là que vient le problème.

 

 

A juste titre, pensent de nombreux observateurs, les activités économiques liées au nucléaire et au gaz naturel ne figuraient pas dans la liste dressée par le Premier Acte Délégué du 4 juin 2021. Du coup, la construction de nouvelles centrales nucléaires et le projet de Grand Carénage en France aurait été encore plus coûteuses. ©PP

 

 

Deuxième manche : le gaz et le nucléaire sont inclus sous conditions

 

 

Mais voilà, prise entre le marteau et l’enclume, aussi appelés la France et l’Allemagne, la Commission Européenne a cédé et a publié le 2 février 2022 un « acte délégué complémentaire » relatif aux objectifs climatiques pour accélérer la décarbonation.

 

 

La France voulait l’inclusion du nucléaire, tandis que l’Allemagne, qui a renoncé au nucléaire, envisage de passer ses centrales électriques du charbon vers le gaz naturel. ©PP

 

 

Négociations, négociations opaques, mais acharnées, puis miracle : cet acte délégué complémentaire – qui au passage restaure le mot taxinomie dans la version française, au lieu de l’anglicisme taxonomie pourtant désormais universellement adopté – contient certaines activités liées au gaz naturel et au nucléaire.

 

Le collège des commissaires est parvenu à un accord politique sur le texte et estime que les investissements privés dans des activités gazières et nucléaires ont un rôle à jouer dans la transition. « Les activités gazières et nucléaires sélectionnées, précise le communiqué de la Commission, sont conformes aux objectifs climatiques et environnementaux de l'UE et nous permettront de délaisser plus rapidement des activités plus polluantes, telles que les centrales à charbon, au profit d'un avenir neutre pour le climat, où seront essentiellement utilisées des sources d'énergie renouvelables ».

 

 

Des conditions « strictes et précises »

 

 

L’acte délégué complémentaire, seulement disponible en anglais, pour l’instant, fixe des conditions précises pour inclure des activités liées au gaz ou au nucléaire dans le champ d’application de la taxonomie de l’Union Européenne.

 

A la fois pour le gaz naturel et le nucléaire, il faut que ces activités « contribuent à la transition vers la neutralité climatique ». Les activités nucléaires doivent « satisfaire à des exigences de sûreté nucléaire et environnementale ». Les activités liées au gaz, pour leur part, doivent contribuer « au délaissement du charbon au profit de sources d’énergie renouvelables ».

 

En lisant tout le texte de l’acte délégué complémentaire, on se rend compte, en ce qui concerne le gaz, que les centrales électriques devront émettre moins de 270 gCO2/kWh. La Base Carbone gérée par l’Ademe indique 204 gCO2/kWh pour le gaz naturel périmètre France. Les nouvelles centrales à gaz devront obtenir leurs permis de construire avant 2030 et remplacer des centrales polluantes, comme les centrales à charbon ou au fioul.

 

L’objectif est de basculer du gaz naturel vers du biogaz ou de l’hydrogène vert en 2035. Cependant, les étapes intermédiaires – 30% de gaz renouvelable au minimum en 2026 et au moins 50% en 2030 - qui figuraient dans le premier acte délégué ne figurent plus dans l’acte délégué complémentaire.

 

A propos des centrales nucléaires, les nouveaux projets devront obtenir un permis de construire avant 2045 et les pays qui les abriteront devront disposer d’une gestion sûre – le mot n’est pas autrement défini – des déchets radioactifs d’ici 2050.

 

C’est sévère, très sévère.

 

 

Plus de transparence dans la communication

 

 

Le 2 février, la Commission Européenne a également modifié les règles de communication sur les informations à publier par les acteurs économiques en lien avec la taxonomie, afin que les investisseurs puissent repérer quelles possibilités d'investissement comprennent des activités gazières ou nucléaires et faire des choix éclairés.

 

L‘acte délégué complémentaire, dit le communiqué de la Commission, « sera officiellement adopté une fois traduit dans toutes les langues de l'UE et sera officiellement transmis aux colégislateurs pour examen ». C’est là que commencera la troisième manche, après l’adoption de l’acte délégué en 2021 et de l’acte délégué complémentaire début 2022.

 

 

Le calendrier de la troisième manche

 

 

Ces colégislateurs sont le Parlement Européen et le Conseil qui ont délégué à la Commission le pouvoir d'adopter les actes délégués liés au règlement instituant la taxinomie. Ils disposeront de quatre mois pour examiner le document et pour exprimer des objections s'ils le jugent nécessaire. L'une et l'autre institutions peuvent demander de prolonger la période d'examen de deux mois supplémentaires.

 

Le Conseil pourra faire objection par un vote à la majorité qualifiée renforcée, ce qui signifie qu'il faudrait au moins 72 % des États membres, soit au minimum 20 États membres, représentant au moins 65 % de la population de l'UE, pour s'opposer à l'acte délégué.

 

Pour sa part, le Parlement européen pourra faire objection par un vote négatif de la majorité de ses membres, soit au moins 353 députés, réunis en session plénière.

 

Une fois la période d'examen terminée et si aucun des colégislateurs n'a exprimé d'objection, l'acte délégué complémentaire entrera en vigueur et s'appliquera à partir du 1er janvier 2023.

 

 

Dissensions Franco-allemandes

 

 

En réalité, même le donnant-donnant franco-allemand – ton nucléaire et mon gaz – ne semble pas fonctionner parfaitement. Lors de son arrivée à Amiens le 20 janvier 2022, où il participait à la réunion des ministres Européens de l’Environnement organisée par Barbara Pompili, Stefan Tidow, le nouveau secrétaire d’Etat allemand à l’environnement, a indiqué que le nucléaire « n’est pas une énergie verte, ni durable. La question de la gestion des déchets n’est pas résolue. Ce n’est pas économique non plus ».

 

Bref, il s’opposait à l’ajout des activités liées au nucléaire dans la taxonomie Européenne. L’Autriche a déjà annoncé qu’elle engagera une action en justice contre la proposition d’inclure le nucléaire dans la taxonomie. Le Luxembourg pourrait suivre.

 

Bref, nous ne sommes pas au bout de l’affaire.


Source : batirama.com / Pascal Poggi

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