La RE2020 et la loi Climat deviennent obsolètes avec le programme européen « Fit for 55 »

En décembre 2019, le European Green Deal a fixé les buts à atteindre. La Loi Européenne sur le Climat les a inscrits dans le droit européen. Le programme « Fit for 55 » détaille les moyens pour y parvenir.

Le programme Fit for 55 met en musique la toute récente Loi Européenne sur le Climat. Adoptée ce mois-ci, elle demande notamment une réduction des gaz à effet de serre de 55% d’ici 2030, par rapport à 1990, ainsi que la neutralité carbone de l’Europe dès 2050.

 

Le programme Fit for 55 (Prêt pour 55, soit prêt pour une réduction des émissions de gaz à effet de serre de 55% d’ici 2030), présenté le 14 juillet 2021 par la Commission Européenne, dresse une liste des moyens pour y parvenir.

 

Insuffisant, prudent, suicidaire ou très favorable

 

Concrètement, la Commission propose de réviser plusieurs Directives et Règlements européens dans le sens d’une réduction des consommations d’énergie et des émissions de gaz à effet de serre nettement plus importante que ne le prévoient les textes actuels. Il s’agit d’une vraie accélération. Les réactions ont été rapides et très contrastées. La plupart des grandes associations mondiales engagées dans la Défense de l’Environnement, de Greenpeace au WWF, ont tout de suite indiqué que ce programme ne suffirait pas à respecter les engagements des Accords de Paris.

 

De manière non-moins véhémente, d’autres associations plus ciblées soulignaient que les mesures envisagées ne suffiraient pas pour atteindre les buts européens. La eFuel Alliance, par exemple, qui promeut en Europe les combustibles d’origine biologique, estime que concentrer l’avenir énergétique des transports sur l’électricité et l’hydrogène, sans évoquer ni le biofioul, ni le biogaz, est une grosse erreur.

 

Certains lobbies ont immédiatement dénoncé ce programme comme suicidaire pour l’activité économique, notamment les armateurs et les transporteurs routiers.

 

Plus prudent, Cembureau, qui rassemble les industriels européens du ciment, a bien accueilli le programme « Fit for 55 », soulignant toutefois qu’il faudrait une barrière carbone aux frontières de l’Europe pour ne pas pénaliser les cimentiers européens qui s’engageraient dans d’importants investissements pour décarboner leur production.

 

De même Cembureau sera attentif aux évolutions de l’ETS (EU Emission Trading Scheme) qui permet l’échange de quotas carbone entre les industriels européens.

 

Dans le bon sens pour les énergies renouvelables

 

Un troisième groupe, enfin, comme le SER (Syndicat des Energies Renouvelables) et Solar Heat Europe qui défend le solaire thermique, pensent au contraire que ces propositions vont dans le bon sens en ce qui concerne les Energies Renouvelables. Solar Heat Europe attend notamment de « Fit for 55 », un nouvel élan en faveur du solaire thermique et une accélération d’une transition de l’économie européenne vers 100% d’énergies renouvelables.

 

Dans ce troisième groupe, SolarPower Europe, l’association qui défend le photovoltaïque, a indiqué que le programme constitue un pas en avant, mais demeure tout de même un peu timoré. L’association demande notamment que le niveau de production photovoltaïque à atteindre soit nettement relevé, passant de 32 à 45% du bilan énergétique européen, exprimé en énergie finale, dès 2030.

 

SolarPower Europe demande également que le stockage d’électricité soit rendu obligatoire dans tous les bâtiments neufs et en cas de rénovation lourde. Bref, chacun voit midi à sa porte et exerce un fort lobbying dans le sens qui l’arrange le plus.

 

Quelles sont les propositions de la Commission dans « Fit for 55 » ?

 

Mais, en réalité, que contient « Fit for 55 » ? Soulignons d’abord, qu’il s’agit d’une série de 12 propositions de révisions de Directives et de Règlements Européens.

 

Il faudra des années pour y parvenir. Réviser une Directive prend au moins 5 ans, 2 à 3 ans pour un Règlement Européen. Les Directives nouvelle manière n’ont plus besoin d’être transposées en droit national, ce qui pouvait ajouter 5 à 10 ans. Elles s’appliquent dès leur parution et les dispositions qu’elles contiennent entrent en vigueur à la date indiquée par la Directive.

 

Quant au contenu de « Fit for 55 », commençons par ce qui ne concerne pas directement le bâtiment. La Commission propose de réviser l’ETS, le mécanisme qui met un prix sur la tonne d’équivalent carbone relâchée dans l’atmosphère et organise un marché du carbone en Europe.

 

Au cours des 16 dernières années, ce mécanisme a permis une baisse des émissions de GES par les producteurs d’électricité et les industries lourdes de 42,8%. La Commission propose d’abaisser les plafonds d’émission autorisés et de mettre en œuvre des réductions sur 15 ans à un rythme accéléré.

 

Elle propose également, en l’espace de dix ans, d’annuler les quotas d’émission gratuites allouées au transport aérien, à l’exception du fret aérien et, pour la première fois, d’inclure le fret maritime dans ce mécanisme de quotas.

 

Planter 3 milliards d'arbres en europe d'ici 2030

 

D’autre part, la Commission souhaite sévériser le Règlement (UE) 2018/842 qui fixe des réductions annuelles de GES à chaque Etat Membre, en tenant compte de leur PNB par habitant respectif.

 

La Commission veut aussi fixer aux Etats Membres des objectifs annuels de puits carbone naturels pour atteindre 310 millions de tonnes d’émissions de CO2 stockées annuellement d’ici 2030. Cet objectif, tout en rappelant qu’il doit être possible de continuer à exploiter la biomasse de manière renouvelable, s’accompagne d’un plan pour planter 3 milliards d’arbres à travers l’Europe d’ici 2030.

 

 

 

La mesure la plus spectaculaire est certainement celle qui demande que les voitures et camionnettes neuves voient leurs émissions baisser de 55% d’ici 2030 et de 100% (toujours par rapport à 1990) d’ici 2035. Ce qui signifie, en gros, qu’en 2035, les constructeurs ne pourront plus commercialiser en Europe que des véhicules à hydrogène ou électriques. ©PP

 

 

Enfin, la Commission appelle à une sorte de taxe aux frontières, tout en se défendant du fait qu’il s’agit d’une taxe, qui frapperait les importations, produit par produit, si les producteurs à l’étranger ne sont pas soumis aux mêmes contraintes de réduction du contenu carbone de leur production que les industriels européens. Les fabricants russes d’aluminium et d’acier ont protesté dès le 15 juillet.

 

Le bâtiment est particulièrement concerné

 

Dans les domaines qui touchent directement le bâtiment et ses équipements techniques, dans un document de 578 pages, la Commission propose de renforcer les exigences de la Directive sur l’efficacité énergétique, la fameuse Directive ecoDesign. Il s’agit de porter l’amélioration de l’efficacité énergétique à 36-37% en 2030 (par rapport à un scénario établi en 2007) au lieu de 32,5% initialement prévus.

 

Tous les secteurs économiques seront concernés, de la finance à l’agriculture. Mais le bâtiment figure en premier chef dans cette sévérisation. La Commission considère en effet que 70% des bâtiments existants en Europe ont une performance énergétique médiocre.

 

La Commission rappelle donc que les bâtiments publics neufs doivent être à consommation d’énergie quasi-nulle et que cette obligation doit s’étendre aux bâtiments publics faisant l’objet d’une rénovation lourde (page 38 du document de 578 pages).

 

D’une manière plus large, la Commission souhaite page 49 de ce document que les Etats Membres convertissent tous leurs bâtiments en « consommation énergétique quasi-nulle ». Une grosse accélération de la rénovation est à prévoir.

 

La Commission souligne également qu’au cours de l’hiver 2019 environ 34 millions de ménages dans l’Union Européennes étaient trop pauvres pour se chauffer correctement. Elle prévoit un budget spécifique pour soutenir la rénovation de ces logements occupés par des familles précaires, mais appelle les Etats Membres à redoubler d’efforts sur ce point.

 

 

 

Ce très long document contient encore une masse de recommandations sur le développement des réseaux de chaleur et de froid, sur le soutien des technologies les plus efficaces pour le chauffage et le rafraîchissement et sur le développement des ENR dans le bâtiment. A suivre dans de prochains articles sur batirama.com. ©BDR-Thermea

 

La Directive sur la promotion des énergies renouvelables sera modifiée pour que la contribution des ENR soit portée à 40% du bilan annuel de consommation d’énergie en Europe, exprimé en énergie primaire. De plus, des critères de durabilité devront être développés dans chaque Etat pour réguler l’emploi de la biomasse.

 

En France, la RE 2020 et la loi Climat deviennent obsolètes

 

Ce qui ressort immédiatement des propositions « Fit for 55 » est que l’ensemble des lois et règlements en préparation en France, de la loi Climat et Résilience à la RE2020, sont devenus inactuels d’un seul coup.

 

Avant même sa parution, la RE2020, qui a abandonné toute référence à une consommation quasi-nulle et au BEPOS (Bâtiment à Energie POSitive), ne contient aucune obligation spécifique pour les bâtiments publics et ne favorise pas particulièrement le solaire photovoltaïque, ni le solaire thermique, semble donc déjà obsolète.

 

Dans un communiqué de presse publié le 14 juillet, le Gouvernement « se félicite de la publication par la Commission européenne de propositions d’actions concrètes pour accélérer la lutte contre le changement climatique, atteindre la neutralité climatique en 2050 et tenir l’objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre de 55% au moins en 2030 par rapport à 1990 »

 

Et, continue le communiqué, « La France salue le travail réalisé par la Commission, qui reprend un certain nombre de priorités françaises telles que le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières. Ces propositions vont désormais faire l’objet de négociations approfondies pendant plusieurs mois au sein du Parlement européen et du Conseil des ministres, qui représente les Etats membres. La Présidence française de l’Union européenne qui débutera en janvier 2022 permettra de faire avancer ces négociations. »

 

Il n’est à aucun moment question de modifier les textes en cours de discussion pour ajuster leurs ambitions à la hausse. Au contraire, la France a tout bien fait, puisque « Cette approche globale correspond à celle que la France a adopté avec le plan France Relance et le projet de loi Climat et Résilience : c’est ce qui permet d’avoir un plan d’action crédible, concentré sur les résultats, l’efficacité et la justice sociale des politiques climatiques. »

 


Source : batirama.com / Pascal Poggi

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