Cathédrale Notre-Dame : comment reconstruire la charpente ?

L?enjeu de la reconstruction de la charpente de Notre-Dame de Paris anéantie se pose déjà. Sera-t-elle en bois ou pas ? Un débat qui en relance un autre : celui de l'usage constructif et urbain du bois...

Photo©Océane Wourm

 

Alors que la cathédrale brûlait encore, Emmanuel Macron a d’emblée donné le ton en évoquant la reconstruction de l’édifice sinistré. Les appels aux dons se sont mis en route et des promesses de don colossales ont été énoncées dans la foulée.

 

En l’état actuel, une chose semble tangible : nous ne sommes pas aujourd’hui dans la situation de l’architecte Viollet-le-Duc, contraint d’arracher les financements au compte-goutte en étirant la rénovation de l’édifice sur de longues années.

 

L’enjeu économique de la réouverture rapide de la cathédrale est majeur pour l’économie du centre de Paris, centrée sur le tourisme. L’échéance des JO de 2024 semble évidente et sans doute tenable au vu des moyens actuels de préfabrication

 

 

Charpente de ND de Paris ©Compagnons du Tour de France

 

Les plus beaux chênes de France prêts à venir à Paris

 

 

Première question : la charpente sera-t-elle reconstruite en bois ou bien en métal comme à Reims ou plus récemment pour l’hôtel des Bernardins à Paris ? Dans la mesure où la charpente n’est pas visible, la question sera posée.

 

Toutefois, la dimension affective du drame mobilise déjà la filière bois. Ainsi, le Syndicat de la filière bois (SFB), qui est en fait le vilain petit canard de la filière bois officielle, saisit l’occasion pour annoncer que les adhérents du syndicat, compétent pour sélectionner les meilleures qualités de chêne, seront mobilisés pour mettre de côté chacun une dizaine de belles grumes tout en offrant les plus belles pour la reconstruction.

 

Mais va-t-on, le cas échéant, reconstruire en chêne ? Selon Laurent Maréchaux, délégué général de SFB, les exploitants forestiers ne sont pas en mesure de juger des techniques constructives, mais au moins, ils peuvent mobiliser les plus beaux chênes de France pour le cas où la reconstruction se ferait en chêne.

 

 

Charpente de ND de Paris ©Compagnons du Tour de France

 

Débat technique : respecter la tradition ou adopter la modernité ?

 

Qu’en pensent les ingénieurs bois d’IBC ? L’association regroupe non seulement les ingénieurs spécialisés dans la construction bois moderne, mais aussi des experts de l’ingénierie du patrimoine comme Gaëtan Genès, référent d’IBC en la matière.

 

Selon Sylvain Rochet, Président d’IBC, il est bien difficile aujourd’hui de penser sereinement au mode de reconstruction, car on est encore dans le temps de l’émotion et du deuil. Mais il ajoute : « Il est clair qu’il va falloir faire un choix entre une forme d’imitation de la charpente d’origine et le recours à des techniques constructives modernes, sachant qu’il peut sembler acquis que la reconstruction se fera en charpente bois.

 

Entre la reconstruction à l’identique qui butera sur des modes de calcul actuels privilégiant les assemblages métalliques, et le recours à une charpente moderne en lamellé-collé voire CLT, il existe peut-être des solutions intermédiaires comme le recours à des poutres en lamellé-collé de chêne et des assemblages par goujons collés qui ont l’avantage d’être protégés du feu par le bois.

 

Parmi les éléments à prendre en considération, il y a le fait que la charpente de la cathédrale est non visible. D’ailleurs, en termes de réglementation actuelle, nous sommes dans une configuration d’ERP où la tenue au feu requise d’une charpente invisible n’est que d’une demi-heure.

 

A l’aune de notre réglementation, la charpente d’origine a bien rempli sa fonction. Il est vrai qu’un débat est en cours sur la performance feu des ouvrages actuels de plus en plus haut : faut-il s’en tenir aux exigences actuelles ? »

 

Quid des ouvrages en bois prévus pour les JO en 2024 ?

 

De toute évidence, l’incendie du 15 avril, spectaculaire et longtemps hors de contrôle, va relancer le débat au sujet de l’usage constructif et urbain du bois. Avec une incidence directe sur le chantier des Jeux Olympiques 2024, à double titre.

 

Premièrement, la création de quartiers urbains entiers en bois fait apparaître le risque d’un embrasement général comme on l’a connu par le passé dans les villes construites en bois, et comme l’a révélé de façon saisissante la destruction rapide de la « forêt » de la charpente de la cathédrale.

 

Mieux vaut d’ailleurs se poser cette question dès maintenant, à un moment où le bois est appelé à prendre largement le relais du béton dans la construction urbaine durable et face aux nécessités du choc climatique.

 

La seconde incidence précise du drame de la cathédrale est celui de la prise en compte de la protection feu en phase chantier pour des ouvrages en bois. L’an dernier, une douzaine de maisons d’un lotissement en bois ont été détruits à Bussy St Georges.

 

Le Prix International d’Architecture Bois décerné par la presse pour l’année 2019 se rapporte à une salle polyvalente de la commune de Le Vaud en Suisse, qui avait été entièrement détruite une semaine avant son inauguration, suite à d’ultimes travaux d’étanchéité de toiture réalisés sans respecter les consignes de prévention en matière d’incendie.

 

La protection en phase chantier

 

Stéphane Cochet, agence A003architectes et concepteur d’un immeuble de logements sociaux  tout bois et passif R+5 à Montreuil, estime à ce sujet :« Pour la filière bois, il faudrait surtout que les différents corps d'état qui interviennent sur ces ouvrages soient formés au bois : faire de l'étanchéité au chalumeau sur des ouvrages bois demande une certaine formation...

 

Le problème, c'est que, pour gagner de l'argent, on découpe les lots sans donner au lot bois la responsabilité du Clos et Couvert. Du coup, on se retrouve avec des sous-traitants de sous-traitants et des gens qui font n'importe quoi ».

 

L’architecte en profite pour attirer malicieusement l’attention sur la longévité exceptionnelle de la charpente qui s’est finalement consumée hier : « La charpente de la cathédrale avait 850 ans, ce qui ne correspond pas à la Durée de Vie Typique ni aux scénarios de fin de vie que l'on utilise dans le configurateur E+C-.

 

La longévité exceptionnelle de la charpente et la fin de vie du bois

 

A savoir le scénario fin de vie du bois suivant FCBA, qui est repris dans toutes les fiches FDES: extrait fiche FDES du CLT français: "La fin de vie du panneau CLT se base sur le scénario moyen français des déchets bois de construction : 67% des déchets bois atteignent une plateforme de tri (avec recyclage ultérieur du bois en panneaux de particules et incinération des fines de broyage), 16% sont incinérés avec valorisation énergétique, 17% sont enfouis.

 

Ce scénario est décrit plus en détails dans le rapport : FCBA CSTB DHUP CODIFAB FBF, Convention DHUP, CSTB 2009 Action 33 Sous-action 6 – ACV & DEP pour des produits et composants de la construction bois – Volet 2 Prise en compte de la fin de vie des produits bois – Phase 3 Modélisation ACV et calculs d’impacts pour le recyclage matière et la réutilisation, 2012. »

 

En fin de compte, le drame du 15 avril ne renvoie pas tant à l’antienne selon laquelle « le bois, ça brûle » qu’à notre honte de citoyens du 21e siècle de n’avoir pas pu éviter la fin de l’extrême longévité d’une charpente dont on dit que certaines poutres ont été fabriquées à partir d’arbres plus vieux que Charlemagne.

 

Source : batirama.com / Jonas Tophoven

 

Le béton, une solution également à ne pas exclure

 

Le matériau béton aura-t-il sa place dans la liste des matériaux qui seront utilisés pour la rénovation de la cathédrale Notre-Dame de Paris ? En tant que tel, Benoist Thomas, secrétaire général du syndicat national du béton prêt à l’emploi (SNBPE), ne le pense pas dans l'immediat.

 

D’expérience, depuis la fin du XIXe siècle, les grandes rénovations de bâtiments parisiens détruits – il cite l’Hôtel de Ville de Paris, incendié lors de la Commune de 1871 – ont toujours fait appel aux matériaux traditionnels, notamment la pierre et le bois. Le seul matériau qui pourrait entrer dans la nomenclature serait le coulis de ciment, souvent exploité à titre de composant pour renforcer les maçonneries.

 

S’il admet que des matériaux pourraient convenir à une reconstruction, en parois verticales ou en planchers de béton léger, il reconnaît que ce sujet est bien balisé et ne laisse aucune ouverture. D’une part, la Commission du Vieux Paris et la Compagnie des architectes en chef des Monuments historiques veillent au respect de choix techniques conformes à ceux d’origine ;

 

"Ne pas modifier la valeur universelle exceptionnelle du bien"

 

D’autre part, la Commission du patrimoine mondial de l’Unesco a établi une règle contraignante et quasiment rédhibitoire : l’emploi de matériaux contemporains pour la restauration ou la rénovation d’un ouvrage ancien doit être sérieusement évalué pour ne pas modifier « la valeur universelle exceptionnelle du bien ».

 

En cela, tous respectent la Charte de Venise établie en 1964 par le Conseil International des Monuments et Sites. Ce texte précise que la restauration « se fonde sur le respect de la substance ancienne et de documents authentiques » (article 9). Par ailleurs « les éléments destinés à remplacer les parties manquantes doivent s’intégrer harmonieusement à l’ensemble, tout en se distinguant des parties originales, afin que la restauration ne falsifie pas le document d’art et d’histoire » (article 12). On imagine mal des touristes étrangers venir en masse admirer un tel patchwork. Un tel risque est d’ailleurs écarté par l’article 14 : les sites dits « monumentaux » ont valeur d’exemples.

 


Source : batirama.com / B. Reinteau

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